Switch

Film : Switch (2010)

Réalisateur : Frédéric Schoendoerffer

Acteurs : Eric Cantona (Damien Forgeat), Karine Vanasse (Sophie Malaterre), Karina Testa (Bénédicte Sertaux)

Durée : 01:40:00


Un polar rythmé et complexe qui frôle le mystère de l'iniquité et de l'identité.

D'abord écrivain, Jean-Christophe Grangé est aussi le scénariste de quelques films majeurs dans le cinéma français. Il est ainsi à l'origine des Rivières pourpres (Matthieu Kassowitz, 2000), Vidocq (Pitof, 2000), L'empire des loups (Chris Nahon, 2004) et Le concile de Pierre (2006) avec Monica Bellucci et Catherine Deneuve mais dont il ne signe pas personnellement le scénario. Ces œuvres ont en commun une certaine noirceur et d'être à la limite du fantastique. Le réalisateur Frédéric Schoendoerffer (Scènes de crimes en 2006, Agents secrets en 2003, Truands en 2006) est quant à lui davantage intéressé par le réalisme mais les deux amis sont parvenus à trouver un terrain d'entente pour cosigner le scénario de Switch. Outre l'envie de travailler ensemble, le but des deux compères était clair : « il y avait, chez Jean-Christophe comme chez moi, le désir de faire avant tout un film divertissant, qui fasse passer un bon moment aux spectateurs… Revenir à ce qui nous a fait aimer le cinéma, retrouver un principe de plaisir, jouer et inviter le spectateur au jeu... » (Frédéric Schoendoerffer, in dossier de presse). C'est donc un projet de pur entertainment, diraient les américains, qui a vu le jour et il faut admettre que le pari est tenu.


Le scénario a ici une grande importance. Un thriller ou « film à suspens » repose généralement sur quelques principes fondamentaux visant à mettre le spectateur en tension et à jouer sur ses peurs. Le scénario doit donc être construit dans cette optique en soignant le rythme, les manipulations d'intrigue, et l'identification. Le maître incontesté du genre est évidemment Alfred Hitchcock que les cinéastes n'hésitent pas à invoquer comme modèle pour « la précision de la mécanique, la tension constante, les retournements psychologiques » (Frédéric Schoendoerffer). Indéniablement, lorsque l'on visionne le film, il est difficile de ne pas penser à La mort aux trousses (1959) où le héros s'échappe pour prouver son innocence, exactement comme l’héroïne de Switch. Vu comme ça on pourrait s'indigner du peu d'imagination du scénariste qui se contente d'essayer grossièrement de réchauffer un chef d’œuvre. En réalité, si l'ombre du surnommé Hitch plane constamment, Schoendoerffer et Grangé ont su donner une personnalité à leur histoire. Pour Grangé une autre influence a été déterminante : « j’ai une grande passion pour les «Giallo», ces films italiens des années 70, ces polars qui ne racontent finalement que ça : un type qui a été traumatisé par une histoire et qui tue tout le monde ! Un type en noir qui tue des gens et qui est poussé par une motivation sourde, obscure, terrible qui vient toujours de l’enfance. » L'histoire prend une dimension humaine intéressante lorsque l'on comprend les mystérieux rapports (un peu tirés par les cheveux) entre la « méchante » et la victime. Ce qui en effet intéresse Grangé et que l'on retrouve dans le film ce sont les causes du mal, les raisons qui transforment une personne en monstre. Ainsi, à la thé matique hitchcockienne de la lutte contre la fatalité qui fait tout le moteur du suspens, vient s'ajouter celles de le souffrance et de la vengeance. Pour le spectateur l'intérêt est double puisqu'il est confronté à la question du comment l'héroïne parviendra-t-elle à s'en sortir, mais aussi à celle du pourquoi, qui au lieu d'être relégué au simple rang de prétexte scénaristique alimente de façon significative l'intrigue et donc le suspens. C'est donc aussi un pur film policier d'enquête classique où un personnage charismatique et rendu parfaitement crédible par Éric Cantonna découvre progressivement l'ampleur de la machination.

Malgré les quelques approximations du sc& eacute;nario qui relèvent du détail, l'ensemble reste cohérent, solide et surtout intelligible. En guise d'exemple, on ne sait pas comment la police a connaissance du meurtre dans l'appartement. Si on en déduit que quelqu'un les a prévenus, on se demande pourquoi ça ne fait pas partie des éléments de l'enquête (Qui a prévenu?). Le spectateur se contente juste d'admettre le principe de l'arrestation injuste de la Québécoise.


L'autre point fort du film qui doit d'ailleurs être inhérent au genre est la gestion de l'action. Le film est constamment en crescendo jusqu'au point culminant de la scène finale dans la fonderie. Les séquences d'action, comme la poursuite au milieu des pavillons, sont remarquablement filmées et très découpées. Le montage est précis et alterne adroitement les plans rapprochés montrant la détresse des personnages et les plans larges qui donnent au spectateur le sentiment d'être de simples passants, témoins objectifs d'une étonnante course. Le découpage des scènes, et notamment des combats, rappelle le style réaliste et épileptique des Jason Bourne dont Schoendoerffer dit s'être inspiré. Par ailleurs, la musique de Bruno Coulais, fidèle compositeur du réalisateur, soutient admirablement l'action, tantôt rythmée, tantôt majestueuse.


Un scénario bien ficelé, de l'action et du suspens, pour un film de genre divertissant qui ne s’embarrasse pas de questions morales trop compliquées. Le commandant Damien Forgeat représente le bien et la justice. Il est sérieux, directif, impliqué et intuitif. Il représente en fait le parfait policier respecté et réputé pour son professionnalisme. Il ne fait pas de sentiment mais tient à aller jusqu'au bout de son affaire. Peut-être est-ce un hommage que Schoendoerffer adresse aux policiers de la crim' avec lesquels il travaille souvent. On est en tout cas loin des clichés courants de flics véreux et violents. Les cinéastes nous proposent donc un héros simple mais qui fait honneur à tous ceux qui accomplissent consciencieusement leur devoir. Le personnage de Sophie Malaterre, interprété avec force par Karine Vanasse, inconnue en France mais reconnue au Québec, représente le courage et la détermination. Cette mademoiselle Tout-le-monde va trouver au fond d'elle-même la force de se battre. Son combat met en exergue un fondamental dans la vie d'une personne : son identité. Outre l'injustice de se voir attribuer un meurtre qu'elle n'a pas commis, il lui est insupportable d'être prise pour une autre. Les scénaristes construisent donc toute une histoire autour de ce problème d'identité tant pour l'héroïne que pour la méchante avec la question de l'origine : « Qu’est-ce qui est le plus inté ressant dans les histoires policières ? Le mobile, la motivation bien sûr. Or, pour moi, il n’y a pas de motivation plus profonde et plus importante que la question de nos origines, que ces interrogations : comment et pourquoi suis-je venu sur terre ? » (Jean-Christophe Grangé). D'une certaine manière, en dépit d'une histoire complexe et improbable, le film est universel et basique puisqu'il interroge sur l'existence de chacun d'entre nous. La grande souffrance de la meurtrière est d'être tombée dans un contexte familial déroutant. Pourquoi a-t-elle eu cette vie ? Pourquoi n'a-t-elle pas eu la chance d'un foyer heureux ? C'est donc la jalousie, un sentiment d'injustice et un bon brin de folie qui la poussent à commettre ses crimes.


Avec ses allures de film d'action, Switch touche cependant au mystère du mal sans vraiment chercher à y apporter une réponse mais en utilisant adroitement les questions d'origine et d'identité pour nourrir le récit d'humanité.



Jean LOSFELD