Time Out

Film : Time Out (2011)

Réalisateur : Andrew Niccol

Acteurs : Amanda Seyfried (Sylvia Weis), Justin Timberlake (Will Salas), Cillian Murphy (Raymond Leon), Vincent Kartheiser (Philippe Weis)

Durée : 01:41:00


Une film de science-fiction original virant rapidement au film d'action qui pose de bonnes questions sur le temps et l'argent mais qui se perd un peu dans sa morale.

Sujet : « Le temps est-il de l’argent ? » Vous avez trois heures ! Un petit retour au bac de philo ne fait jamais de mal et Time out est l’occasion d’une petite piqûre de rappel. Andrew Niccol part d’un concept séduisant, celui de donner au temps une réelle valeur marchande. Prendre le bus vous coûtera donc deux heures de votre vie mais lorsque vous travaillez, vous gagnez du temps. Travailler plus pour vivre plus, en quelque sorte. Par conséquent, si le chômage est mortel, il est aussi possible de vivre éternellement sans avoir besoin de travailler, grâce à des rentes. Vous l’aurez deviné, le film est
tout simplement métaphorique. Niccol fait un usage judicieux de la science-fiction pour pousser un concept de capitalisme à son paroxysme, un peu comme Georges Orwell le fit avec le socialisme, à ceci près que
1984 serait davantage de l’anticipation que de la science-fiction.

Les scénarii d’Andrew Niccol s’attaquent souvent à un système : avec Lord of War (Andrew Niccol, 2005), il pointe du doigt les financements pervers de la guerre ; dans The Truman Show (Peter Weir, 1998), il s’en prend à la téléréalité ; Le Terminal (Steven Spielberg, 2004) raconte la situation absurde d’un apatride... On peut dire que le fil rouge de son travail est la
dilution de l’individu dans un système qui le dépasse. Avec un brin de méchanceté on peut aussi dire qu’il sait exploiter à merveille le filon de la crainte du complot, mais on le croit volontiers moins opportuniste que ça.

Ce qui est sûr, c’est que Time out s’inscrit remarquablement dans l’actualité bien que le script ait semble-t-il été écrit il y a quelques années. D’ailleurs Harlan Ellison a accusé le réalisateur et la production d’avoir plagié sa nouvelle Repent Harlequin publiée en 1965 (sources : site premiere.fr). Qu’importe l’
anecdote, cette aventure trouve un écho tout particulier dans le contexte actuel de crise économique.

Le scénario repose sur un certain nombre de poncifs sur l’argent mais transposé au temps : les pauvres enrichissent les riches, il y a assez de temps (comprendre «argent») pour tout le monde mais les puissants empêchent la juste répartition des richesses... D’ailleurs, si l’argent n’avait pas été remplacé par le temps, l’histoire se serait noyée dans la masse importante de films sur la crise. L’intérêt de cette substitution est le gain de dramatisation. Lorsqu’on a plus assez de temps... on meurt instantanément ! Le cinéaste accentue ainsi l’enjeu. D’une mort
sociale (perte d’un emploi, d’un logement...) on passe à une mort physique. C’est d’ailleurs l’occasion de quelques scènes tragiques comme (attention, révélations) le suicide d’Hamilton qui refuse l’éternité, ou la mort de la mère de Will (Justin Timberlake) dont on comprend mal les circonstances.

Ce passage fait partie des petits raccourcis scénaristiques du film, en mode «Cherchez pas à comprendre ! On vous dit qu’elle n’a plus de temps !» Ah, d’accord... En réalité, le film bascule rapidement dans le genre «action» au détriment de la «science-fiction». Les dix premières minutes donnent une vague explication
scientifique et on s’amuse de voir un compte à rebours sur les bras des personnages. Après, c’est poker, courses-poursuites, coups de feu et talons aiguilles... Ça n’en fait pas un mauvais film pour autant. Les acteurs donnent le change (surtout Justin Timberlake et Vincent Kartheiser qui s’est admirablement distingué dans la série des
Mad Men), la photographie du talentueux Roger Deakins (fidèle des frères Cohen) est remarquable, et les scènes d’action sont peu transcendantes mais honorables. Sur ce dernier point, certaines séquences pêchent par leur manque de vraisemblance : nos deux héros tourtereaux sont les personnes les plus recherchées des États-Unis mais ils prennent le temps de faire un strip-poker ! Voici les noms de quelques producteurs pour ceux qui voudraient leur envoyer des mots doux en représailles : Marc
Abraham, Eric Newman, Andrew Niccol... De même, leur accident de voiture décapotable est certes spectaculaire mais il ne faut pas nous prendre pour des billes, ils avaient au mieux une chance sur un million de s’en sortir vivant, et une chance sur un milliard de ne pas finir tétraplégiques (étude statistique ultra sérieuse réalisée par nos soins)... Faut-il également mentionner l’incroyable aisance avec laquelle ils parviennent à piller les banques ? Ces faiblesses révèlent un paradoxe assez préjudiciable pour la qualité du métrage : on pourrait croire que la science-fiction sert de prétexte à l’action, mais on constate d’un autre côté que la cohérence de l’action est souvent sacrifiée au profit du concept. Ainsi, non seulement l’idée n’est pas suffisamment développée, mais l’action elle-même
est souvent simpliste. Un film comme
The Island (Michael Bay, 2005) finissait certes dans la pure action sensationnelle, mais sa première partie avait au moins le mérite de proposer un bon développement de la psychologie des personnages et du problème bio-éthique.

Nous y voilà ! Qu’en est-il réellement des messages ? «Time Out porte des thèmes qui résonnent chez tout le monde. Nous nous sentons tous concernés par une histoire sur les nantis et les défavorisés, ce qui est en fin de compte le thème principal du film» (Andrew Z. Davis, producteur exécutif,
span>in dossier de presse). La guerre des pauvres exploités par les riches a évidemment des relents de bon vieux marxisme. Mais il serait trop réducteur de s’en tenir à la lutte des classes. Marx n’a d’ailleurs jamais eu le monopole sur la question de la répartition des richesses et du pouvoir. Ici, plus que le pouvoir politique, quasi absent de l’histoire (sauf au travers des gardes du temps), ce sont les banques qui sont principalement visées. Du moins c’est ce que l’on comprend puisque le principal «méchant» est le richissime patron d’une énorme banque. Les cinéastes ne s’encombrent pas tellement de pédagogie. On ne comprend pas vraiment le pourquoi du comment mais on devine que les riches prennent l’argent des pauvres, les premiers pouvant alors vivre éternellement. L’
objectif n’est donc pas tellement de démontrer mais plutôt d’émouvoir sur le contraste richesse/pauvreté et d’éveiller le sentiment d’injustice. Il n’est cependant pas inutile de rappeler la perversité du système financier reposant sur le profit et la spéculation. Mais la solution proposée par le film est idéaliste et anarchique. Que se passera-t-il une fois que nos deux Robin des bois auront réussi (si possible !) à redistribuer équitablement le temps à tout le monde ? En fait l’analogie doit s’arrêter là. Car si tout le monde pouvait vivre éternellement, il y aurait de sérieux problèmes de régulation des naissances. Qu’en est-il alors de la véritable idée sous-jacente ? Sans entrer dans des considérations économiques trop complexes, il y a deux questions : est-il possible de répartir &
eacute;quitablement les richesses ? Si oui, serait-ce un bien pour l’humanité ? Cette manière d’aborder le problème est très matérialiste, car au lieu de poser la question du bien et de l’être, il pose la question de l’avoir. On comprend que posséder du temps est important puisqu’il s’agit, dans le film, d’une question de vie ou de mort, mais l’argent n’a clairement pas la même importance.

Mais le tour de passe-passe fonctionne assez bien grâce à la seconde thématique majeure de l’œuvre : le phantasme de l’éternité. ! «... je pense que le public appréciera certaines idées,
certains thèmes que nous explorons, parce que
Time out parle de notre désir de rester éternellement jeunes. Même si l’on est incapable d’endiguer la dégradation génétique comme on le fait dans le film, on peut aller très loin pour rester jeune» (Andrew Niccol, in dossier de presse). L’immortalité a toujours fasciné l’homme apeuré par la réalité brutale de la mort. Notre société actuelle le prouve constamment en investissant des sommes astronomiques dans la recherche pour des médicaments ou des cosmétiques. Time out montre en définitive qu’il y a ceux qui cherchent l&
rsquo;éternité mais aussi ceux qui souffrent de l’avoir et qui se suicident ou vivent dans le déni. Il en ressort l’idée assez saine que la valeur de la vie n’est pas dans sa longévité ni dans la capacité à posséder.

Enfin, Niccol pose la question des moyens, notamment le problème du vol qui est en principe une injustice. Les protagonistes affirment plusieurs fois que prendre ce qui a déjà été volé ce n’est pas du vol. Certes il n’est évidemment pas immoral de récupérer un bien qu’on nous a illégitimement volé, mais on est dans une situation sensiblement plus complexe et le cas du film est plus extrême
que la réalité. Dans le film, le vol viendrait de l’augmentation du coup de la vie qui permet à la fois d’enrichir la banque et de réguler la démographie. Dans le contexte particulier de l’histoire, on pourrait parler de «vol» au sens large, mais dans la réalité les taxes ou l’inflation sont le fruit de mécanismes plus compliqués que la décision unilatérale d’une personne, à moins de croire à la mainmise des Illuminatis sur le monde. Pour que le vol soit justifié le but ne peut pas être simplement de s’enrichir, il faut viser un bien plus grand que la propriété (qui n'est pas un absolu), la vie par exemple, ou être dans un état de nécessité (survivre). Quoiqu’il en soit, le réalisateur brouille quelque peu les notions entre ce qui est nécessaire et ce qui ne l'est pas, puisque Will décide
de dépouiller une inconnue qui n’est a priori responsable de rien... les circonstances d’un état de nécessité sont douteuses.

Néanmoins, on dépasse le simple vol. Il s’agit davantage d’un acte révolutionnaire qui consiste à renverser un système de spoliation qui conduit des populations entières à la mort précoce, à la délinquance et à la pauvreté. Comment une révolution peut-elle se justifier ? Il faut regarder sa fin, son but (en l'occurrence, sauver des vies et répartir le temps pour un système plus juste), les moyens (braquages de banques et vol, ce qui met nécessairement quelqu'un en danger), ainsi que leurs cons&
eacute;quences. C’est essentiellement sur ce dernier point que
Time Out n’est pas très clair. L’avantage de la fiction est que l’on peut aisément s’inventer une fin heureuse. On peut toutefois noter que faire tomber brutalement le système bancaire (banque de temps) peut coûter la vie à des populations entières. Par ailleurs, au niveau des moyens, on ne lance pas une révolution en braquant simplement des banques et en libérant les gens sans avoir la possibilité de contrôler un minimum les insurgés et surtout de remplacer le système tyrannique par un système viable. C’est ici loin d’être le cas.

Toute analogie connaît ses limites mais l’idée du film est originale et permet surtout de s’interroger sur des questions aussi essentielles que notre rapport à l’argent et au temps.