Tu seras mon fils

Film : Tu seras mon fils (2010)

Réalisateur : Gilles Legrand

Acteurs : Niels Arestrup (Paul de Marseul), Lorànt Deutsch (Martin de Marseul), Patrick Chesnais (François Amelot), Anne Marivin (Alice)

Durée : 01:42:00


Un film magnifique et poignant qui raconte les rapports difficiles d'un viticulteur avec son fils.

Le thème de la paternité n'a décidément pas fini de nourrir le cinéma. Rien que cette année, The tree of life (de Terrence Malick), Monsieur papa (de Kad Merad), Avant l'aube (de Raphaël Jocoulot), Mon père est femme de ménage (de Saphia Azzeddine) ou même Nicostratos le pélican (d'Olivier Horlaix) traitaient directement de la relation père-fils, sans compter ceux qui l'abordaient incidemment, comme Sanctum (de Alister Grierson), par exemple.

Cette fois le thème est assez original, quoique assez proche de Avant l'aube, puisque le film raconte l'histoire d'un père, chef d'une exploitation viticole, qui peine (c 39;est le moins qu'on puisse dire) à reconnaître la valeur de son fils, qui souhaite ardemment lui succéder. Dans le film de Raphaël Jacoulot, le fils refusait au contraire de reprendre l'hôtel, mais dans les deux films les pères respectifs trouvent en quelqu'un d'autre le fils dont ils rêvaient.

Dans ce film de terroir tourné au Clos Fourtet (premier grand cru classé de Saint-Émilion) qui fleure bon la France des clochers, des vignobles et des traditions, le spectateur partage la vie de grands amoureux de la terre, pour qui le vin est la noblesse suprême. Les oenologues, les esthètes, et même les amateurs de belles chaussures trouveront leur affaire dans ce contexte raffiné.

« Pour mieux découvrir le monde du vin, d& eacute;clare Gille Legrand, je me suis immergé dedans, guidé par une amie, journaliste oenologue, Laure Gasparotto. Nous avons beaucoup sillonné la Bourgogne et le Bordelais et, très vite, je me suis rendu compte que tous ces grands vignerons avaient une préoccupation commune, celle de la transmission : à double titre. Transmission du savoir et transmission du patrimoine. Et que cela pouvait facilement générer de sérieux conflits dans les familles. »

Ambiance de cave donc, pour une intrigue douloureuse remarquablement bien interprétée. Lorànt Deutsch, qui a déjà montré son attachement à la France en 2009 dans son livre Métronome, l'histoire de France au rythme du métro parisien et contrarie quelque peu ses anciens petits camarades de jeu en se déclarant fier d'être catholique et royaliste (véritable délit d'opinion !), est la vraie star de ce film, quoique Niels Arestrup, son père dans l'histoire, lui donne brillamment la réplique. Il campe un jeune homme profondément attachant et forme avec Anne Marivin un couple chaleureux et soudé.

Passionné par le vin, Lorànt Deutsch alias « Martin, » souhaite donc reprendre l'affaire de Paul de Marseul, son père. Sportif, parlant couramment plusieurs langues, la tête sur les épaules, il a toutes les compétences requises pour ce faire, malgré quelques maladresses souvent imputables à la présence de son père.

Or il va être mis en concurrence avec Philippe, le fils du maître de chai, bourlingueur expérimenté, qui revient de sa vigne californienne pour soutenir son père, Patrick, cancéreux sur la fin. Ce dernier perçoit bien la relation difficile entre Martin et son père, et la déplore, mais la relation que va nourrir Paul avec Philippe va achever de le contrarier. « François n’est pas dupe, explique le dossier de presse, mais il assiste impuissant au martyre de Martin. Il souffre physiquement mais aussi moralement. C’est insupportable pour lui de voir son fils happé par Paul de Marseul. Condamné, il assiste à sa propre descente aux enfers. »

Droit, respectueux de la tradition, il sera extrêmement clair avec son fils : cette terre ne lui appartiendra jamais. Elle est celle des Marseul. Philippe, quant à lui ne veut pas céder aux sirènes de la gloire. Il ne veut pas de cette terre usurpée, mais devant le chantage de Paul, qui menace de la vendre à de parfaits étrangers s'il refuse, il se laisse gagner progressivement et cède à l'appel des richesses.

Gilles Legrand le sonde : « Philippe est a priori quelqu’un de bien : il a été élevé et aimé par ses parents dans un milieu simple, il a fait de solides études et il est parti à l’étranger pour travailler. Il possède une curiosité, une vivacité et des connaissances. Quand il revient voir son père malade, il est disponible, généreux et attentif. C’est donc un personnage positif qu’on a envie d’aimer. Mais progressivement, il révèle sa part d’ ombre et se laisse posséder par Paul de Marseul qui le séduit comme un homme séduirait une femme : Paul l’emmène à Paris, l’invite dans un palace, le met en valeur, l’emmène s’habiller chez Hermès. Alors qu’il a longtemps résisté aux assauts de Paul, Philippe finit par se laisser happer par cet ascenseur social dans lequel il est si facile de monter. »

Cette aventure humaine met volontairement en scène des personnages très contrastés. « À la lecture du scénario, raconte le réalisateur, certaines personnes ont pris parti pour Paul de Marseul et approuvé sa dureté ou son exigence envers son fils. D’autres en revanche ont penché du côté de Martin, le fils martyrisé. En tant que réalisateur, c’est amusant d’amener le spectateur à avoir son propre point de vue plutôt que de lui imposer le sien. Et lorsque les personnages sont complexes et ambigus, chacun se révèle à la vision du film… »

Contre le père qui veut gagner un fils, un fils qui veut gagner un père, et un père qui ne veut pas perdre son fils. Face à l'intransigeance de Paul déployant sa folie au point de vouloir adopter Philippe pour pouvoir lui léguer son domaine, quelle fin le scénario pouvait-il construire ? Il a choisi d'emprunter la voie du meurtre, que notre lecteur nous excusera de dévoiler ici, pour souligner que, quelle que soit la malfaisance de la victime, un meurtre reste un meurtre.

Mauriac n'aurait sans doute pas renié ce petit bijou d'humanité, avec son obscurité et ses doutes, avec ses mystères et ses tragédies.