Un réquisitoire politico-social

Film : Capharnaüm (2018)

Réalisateur : Nadine Labaki

Acteurs : Zain Al Rafeea (), Yordanos Shiferaw (), Boluwatife Treasure Bankole (), Nadine Labaki (Nadine), Kawthar Al Haddad (), Fadi Kamel Youssef (), Nour el Husseini (), Cedra Izam ()

Durée : 2h 0m


Le nouveau film de Nadine Labaki, en salles, plonge le spectateur dans le véritable capharnaüm contemporain de Beyrouth et de ses alentours aux conditions de vie extrêmement précaires. Récompensé à Cannes en 2018 par le Prix du Jury, Capharnaüm se fait l’écho des petites voix presque inaudibles. Celles des enfants tout d’abord, sans âge, confrontés beaucoup trop tôt à la rudesse du monde adulte ou encore considérés comme une simple main-d’œuvre ; puis, plus généralement, celle des immigrés, dont seul un bout de papier pourrait prouver l’existence, perçus comme «des moins que rien, des parasites».

 

Nadine Labaki réalise ainsi une fiction. Cependant, tous les faits mis en scène ont été réellement vécus. C’est par là que le film semble le plus touchant. Le récit devait être authentique, dépourvu de superficialité : « Le terme “jouer” m’a toujours posé problème, et précisément dans le cas de Capharnaüm où le propos requiert une sincérité absolue. » Ainsi, le casting ne se fit pas parmi des acteurs mais au sein même des bidonvilles. Selon la réalisatrice, Capharnaüm se présente comme un plaidoyer au sein duquel les protagonistes « connaissent les conditions dont il est question ». 

 

C’est à travers les yeux d’un petit garçon que l’on découvre l’horreur et la rudesse des conditions de vie dans les bidonvilles de Beyrouth. Zain Al Rafeea, âgé de 12 ans, entame un long et pénible périple après avoir quitté sa famille, incapable d’élever leurs enfants et de leur témoigner le moindre signe d’affection. Ce garçon perce l’écran par son attitude et sa personnalité. Le choix de placer la caméra à la hauteur de ses yeux, tout à fait justifié, permet de renforcer la compassion éprouvée par le spectateur. Ce dernier, à travers les différentes péripéties, est confronté à des images qui le portent à s’émouvoir, créant un pathos de plus en plus imposant. Ce phénomène est également renforcé par le caractère documentaire de Capharnaüm. Les événements sont relatés à travers une mise en scène particulièrement dynamique. L’énergie est captée non seulement par les personnages mais aussi par les plans eux-mêmes, lesquels présentent une ville en mouvement perpétuel, animée d’un brouhaha continu associé à une bande-son de « chœurs dissonants », et dont les couleurs bariolées surchargent l’écran. Ces éléments contribuent cependant à provoquer une certaine lassitude et à créer certaines longueurs dans le récit. 

 

Dès le début, Capharnaüm présente ce qui sera la ligne rouge du récit : Zain, au tribunal face au juge, attaque ses parents en justice « pour [lui] avoir donné la vie ». Le film, au travers d’un flashback, est ainsi fondé sur une mise en abyme où chacun des protagonistes fait entendre sa voix. Le film, par l’authenticité même de Zain, les conditions de vie et les péripéties véritablement éprouvées par les personnages, échappe d’une certaine manière au politiquement correct des films militants : « une manière de leur offrir ce film comme champ d’expression, un espace où eux-mêmes ont exposé leurs souffrances ». Ce garçon devient alors le porte-parole des enfants privés de leur innocence. 

 

Le film traite de la responsabilité des parents envers leurs enfants. Pourquoi avoir des enfants si l’on ne peut subvenir à leurs besoins, si on les prive de leur jeunesse, si on les vend contre de la volaille ?  Cependant, personne ne peut juger et jauger l’amour que des parents portent à leurs enfants : « Comment me suis-je autorisée à haïr ou juger ces gens dont je ne sais rien du vécu, du quotidien ? » Bien que la réalisatrice se pose cette question, le film ne laisse pas de place à une véritable argumentation. Celle-ci semble submergée par un trop-plein d’émotions, de plus en plus intenses au cours du récit. 

 

La finalité du film de Nadine Labaki n’est pas de proposer un débat, d’exposer des points de vue divers en fonction des protagonistes. Il s’agit d’une mise en accusation de parents qui ne peuvent assurer un avenir à leurs enfants ainsi que d’un exposé de la situation des sans-papiers. Le spectateur assiste ainsi à une réalisation qui se situe entre le film et le documentaire, voire le réquisitoire. En montrant les faits à travers les yeux d’un jeune garçon, Nadine Labaki entend présenter les faits de manière objective, sans discours trop politique.  Ce propos peut cependant paraître paradoxal car la réalisatrice ne montre que sa propre vision des choses, alors que leur complexité et l’importance du sujet auraient rendu intéressante la confrontation des analyses.