Limitless

Film : Limitless (2011)

Réalisateur : Neil Burger

Acteurs : Bradley Cooper (Eddie Morra), Abbie Cornish (Lindy), Robert de Niro (Van Loon) 1h45.

Durée : 01:45:00


Une maîtrise de l’image et une créativité époustouflantes pour accompagner l’ascension enivrante d’un toxicomane séduisant mais peut-être présomptueux.

C’est indiscutable et phénoménal, Neil Burger (réalisateur) et Jo Willems (directeur de la photographie) ont de l’or dans les mains! Ils entraînent les spectateurs dans la folie d’une intrigue vraiment originale, dénichée par la scénariste Leslie Dixon, qui a déjà brillé dans des blockbusters, tels que  Madame Doubtfire ou Hairspray. En s’inspirant du roman d’Alan Glynn Champs de ténèbres, Leslie Dixon a su séduire une nouvelle fois et fournit des fondements précieux pour l’édification d’ un chef-d’œuvre plastique.

En effet réalisateur et directeur de photographie se sont surpassés : Ils nous entraînent dans les courses effrénées d’Eddie Morra (Bradley Cooper) à travers un New-York perçu par le cerveau de cet homme drogué. On devine l’euphorie, la folie dans la multiplicité des décors, la rapidité, la fluidité, l’intensité de couleur dans l’image qui défile. C’est à la fois extrêmement réaliste et vertigineux. « Je désirais entrer dans la tête d’Eddie, montrer comment il perçoit le monde quand il est sous l’emprise de la drogue», a déclaré Neil Burger (in : Dossier de Presse). Le réalisateur talentueux de l’Illusionniste n’a pas manqué son but. Le contraste entre les images « floues, rugueuses » du monde réel et celles « fluides, lisses » (in : Dossier de Presse), si précises de la réalité déformée par la drogue permet de percevoir le monde d’Eddie. «La perception, voilà la clef de Limitless, il nous fallait un réalisateur visuel pour raconter cette histoire afin d’en tirer le meilleur parti, » a pensé le producteur Scott Kroopf. La maîtrise de l’image est la technique de prédilection de l’équipe pour plonger le public dans quatre mondes différents. Neil Burger explique : « Il y a un style visuel qui correspond au « Eddie normal », un autre quand il commence à prendre la drogue, un quand il est complètement sous son influence et un autre quand il ne l’est plus. Chaque phase possède sa propre palette de couleurs, ses mouvements de caméra, son concept en matière de décors et de jeu d’acteur» (in : Dossier de Presse). Vous l’avez compris, tout est mis en œuvre pour éblouir au sens propre du terme, pour aveugler jusqu’à en perdre ses repères. « Quand vous voyez le film, vous avez du mal à mettre le doigt dessus, mais c’est quelque chose que vous ressentez » (Neil Burger in : Dossier de Presse). De fait sa technique est parfaite au point qu’elle disparaît derrière ses effets. Éblouissant, vous dis-je, vertigineux ! On est pris dans un rythme d’action très rapide et bouillonnant.

Tant de peine pour mettre en scène une histoire fort séduisante. On est vite pris au jeu lorsqu’on découvre l’existence d’une molécule… Elle se nomme NZT. La nouveauté de cette pilule attire. Elle attise la curiosité et chatouille l’intelligence. Le spectateur est invité à faire l’expérience virtuelle, sans conséquence ni responsabilité, de ses effets aux côtés du séduisant Bradley Cooper. Grisant.

Mais qu’est-ce donc que cette pilule prodigieuse ? Elle est produite par des laboratoires pharmaceutiques, pas encore testée, on la vend donc en toute illégalité. Aux yeux des personnages et de l’équipe artistique, il s’agit au premier abord d’un médicament (in : Dossier de Presse). Le NZT semble avoir des effets positifs. Il démultiplie le potentiel latent du cerveau humain en stimulant l’activité de cet organe à cent pour cent. Ce genre de produits excitants existe déjà, explique la scénariste (in: Dossier de Presse) mais la puissance des substances chimiques (comme le Provigil ou l’Adderall) est ridicule en comparaison de ce qu’a imaginé Alan Glynn. Par conséquent, la perception de la réalité est totalement métamorphosée par cette nouvelle molécule. En effet, un esprit dans son état normal identifie la réalité par l’intelligence, elle-même informée par les sens. Mais ici, la faculté de raisonner et la perception par les sens acquièrent une puissance extraordinaire et garantissent une productivité maximale. C’est bien la raison pour laquelle on insiste tant sur la perception dans cette œuvre. Tout est mieux connu, de façon plus nette, à une vitesse fulgurante. Il semble donc que l’intelligence soit ainsi bien plus performante et s’approche bien plus du vrai grâce à ce qu’on peut alors appeler un médicament aux effets positifs. L’ascension fascinante d’Eddie le prouve bien et séduit tout le monde, du réalisateur au spectateur en passant par le redoutable financier Carl Van Loon (Robert de Niro).

Ce pouvoir, qui consiste à faire tout ce que l’on veut, éblouit. Toute possibilité devient exploitable, (même celle d’acquérir une puissance économique puis politique incontestable). Comment expliquer néanmoins la corruption que côtoie Eddie à plusieurs reprises ? Comment justifier le meurtre qu’il commet  suite à une overdose ? En fait la pilule est une drogue. Le héros s’en aperçoit progressivement et sa souffrance face à sa dépendance devient intolérable. D’ailleurs il a tous les symptômes du toxicomane : overdose, détresse physique en cas de manque, recherche effrénée de ce produit qui le mène à la corruption, trous de mémoire. Le cas du suicide est aussi évoqué de façon pathétique mais le héros lui préfère l’exploitation de la dernière chance. L’idée qu’il aurait pu ne jamais commencer n’effleure personne.

Un désir de tendre vers une perfection sans limites ne justifie pas les dommages collatéraux tels que la dépendance, la corruption. Si Neil Burger se demande ce que deviennent « la responsabilité individuelle et les limites de l’identité morale » (in : Dossier de Presse), il ne fait pas moins de son homme un parfait truand, accroc en outre. Notre homme est dominé par un désir fou, « un rêve enfiévré » et orgueilleux de la puissance acquise par cette éberluante « explosion, ce feu d’artifice intérieur » (in : Dossier de Presse). Il brise ainsi certaines lois judiciaires et morales en rendant son créancier dépendant du NZT puis en buvant son sang après l’avoir tué. Arrê tons-nous un instant sur ce dernier fait. La scène sidère… mais le héros se trouve dans une situation extrême où il ne lui reste que cette solution pour sauver sa vie. A noter néanmoins, la détresse d’Eddie Morra est le résultat d’une démesure dans laquelle il a choisi de se jeter en y entraînant ses complices.

Après ces constatations un peu sombres, le spectateur pourrait tendre à réprouver l’usage de cette pilule. Mais il ne peut oublier le passage où Eddie demande : « Vous feriez quoi ? » Bonne question& nbsp;qui frôle la malhonnêteté intellectuelle. Bien sûr, tout le monde se précipiterait sur un moyen de devenir meilleur ! Mais certains réfléchiraient peut-être à deux fois avant de prendre une drogue aux effets désastreux, comme celui de réduire singulièrement l’espérance de vie. Et d’autres considéreront la question peut-être autrement : ils ne seront pas disposés à refuser leur nature humaine avec ses limites.

Quelques personnages sont un peu moins obscurs. Parce qu’ils ne frayent pas avec l’inquiétante pilule ils rassurent dans cette affaire vertigineuse. Premièrement, Van Loon, d’une certaine façon incarne en mieux le même idéal de succès que son employé Eddie : Il a atteint les sommets par la force de sa seule nature. C’est en lui qu’Eddie trouve son maître pour un temps. Mais là encore, la corruption et la puissance, aux visages sinistres, si bien rendues par le jeu de l’acteur, semblent une conséquence évidente de la situation professionnelle durement gagnée. De plus, dans les dernières minutes du film, le magnat de la finance trouve son maître puisqu’ Eddie s’est rendu indépendant de sa pilule. C’est un échec des valeurs du monde contemporain du travail. On est dans le r& eacute;cit picaresque qui remet en cause l’autorité de l’homme d’affaire intelligent et bosseur au nom d’un rêve vieux comme le monde : ah si l’homme avait le pouvoir d’utiliser tout son potentiel, il arrêterait enfin de toujours trimer comme un fou !

Le rôle phare de Lindy est plus convaincant. La compagne d’Eddie refuse de vivre avec un drogué. On comprend, vu les effets négatifs déjà évoqués ! Mais surtout elle le considère comme un menteur. Elle déclare qu’on n’est pas soi-même sous l’effet du NZT. Réflexion intéressante. Pour elle le consommateur de cette substance se projette dans le mensonge puisque, grâce à son hyperactivité céré brale il ne voit plus la réalité comme avant. Mais son attitude vis-à-vis d’Eddie reste surprenante. En acceptant de vivre avec lui, elle profite de ses talents hors du commun et de ses cellules ultra-performantes. Eddie n’est plus accroc, certes, cependant son cerveau reste toujours sous l’effet du stimulant. Du coup notre éditrice manque sérieusement de cohérence !

Cécile Chavériat