Michael Kohlhaas

Film : Michael Kohlhaas (2013)

Réalisateur : Arnaud des Pallières

Acteurs : Mads Mikkelsen (Michael Kohlhaas), Mélusine Mayance (Lisbeth), Delphine Chuillot (Judith), David Kross (Prédicant)

Durée : 02:02:00


Un film lent à démarrer, intéressant sur le fond, qui pose volontairement de nombreuses questions sur la frontière entre justice et vengeance,  mais soulève le problème d'une représentation noircie du monde de la Renaissance.

Fresque historique ? Adaptation simple du roman d'Heinrich von Kleist ? A l'instar de l'auteur qui aimait brouiller les pistes (comme dans son livre La marquise d'O, dans lequel il fait tout pour faire croire à une histoire vraie), Arnaud des Pallières plante son film dans un décor flou, ce qui présente avantages et inconvénients.

Avantage d'abord, parce que l'œuvre est une quête de justice, et que le flou ambiant qui obscurcit le contexte historique permet de se concentrer sur les personnages, leur ressenti et, enfin, sur le thème principal du film : une quête de justice flirtant avec la vengeance (cette primauté très romantique du ressenti sur le contexte historique semble confirmée par le réalisateur : « Pour que la représentation d’un coin d’Europe au XVIème siècle soit vraie, vivante, qu’elle nous touche par la qualité des êtres, leurs sentiments plus que par la beauté des costumes et des décors dans lesquels ils évoluent, j’ai voulu que l’image et le son du film soient sophistiqués. Que le film respire au présent. Comme un documentaire XVIème siècle. »).

Cette dernière question est non seulement posée mais véritablement pétrie par le scénario en la personne de ce pasteur qui vient tenter de raisonner le héros, en lui expliquant que le devoir du chrétien (Michael Kohlhaas est un homme pieux) n'est pas de prendre les armes contre son seigneur mais de savoir endurer la souffrance pour Son Seigneur.

Éternel dilemme du chrétien persécuté, tenté de prendre les armes (ce qui, historiquement, l'a presque toujours conduit à la défaite) mais dont on retient de préférence les innombrables martyrs, immolés comme des agneaux par l'intolérance de maints régimes politiques. Faut-il rengainer l'épée au fourreau et tolérer l'injustice (à l'image d'un saint Pierre), ou lutter pour une condition meilleure (comme les marxistes) ?

Le cinéma a ceci de passionnant qu'il autorise la concrétisation de cas d'école. Ici tout y est. Le pouvoir en place est tout à fait lacunaire (en particulier dans l'exercice de la justice, court-circuitée par les bonnes relations), Michael Kohlhaas absolument innocent (en tout cas avant sa prise d'armes). Afin de ne pas flétrir son héros, Heinrich von Kleist a pris soin d'en faire une sorte de saint, poussé à l'extrême par la barbarie, impitoyable à l'égard des pilleurs de son propre camp, volontaire et déterminé : « Qu’un homme gagne, par son courage et sa détermination, la possibilité de prendre le pouvoir mais y renonce par droiture morale, explique le réalisateur, est à mes yeux une des plus belles histoires politiques qu’on puisse raconter. »

Pourtant le décor est ainsi posé de façon bien plus caricaturale que dans l'histoire de France, ce qui pose un problème majeur.

Car, inconvénient oblige, on peut se demander l'impact d'un tel film sur un public prédisposé à haïr la période d' « Ancien Régime. » Ce sont de nouvelles injustices, de nouveaux massacres, une nouvelle relecture de l'histoire à l'aulne de la lutte des classes. La princesse est distante dans ses actes et inaccessible dans son statut, la justice n'aurait qu'une porte d'entrée verrouillée par les gens bien nés, bref, tout l'opium étalé complaisamment dans les manuels de l'éducation nationale : dormez tranquilles braves gens, car quelles que soient vos souffrances, ce ne sera jamais pire qu' « avant. »

Dans le dossier de presse, les mots du réalisateur sont sans ambiguïté : « Dans les villes, un nouveau monde se développe, au sein duquel des bourgeois éduqués manquent encore d’un véritable poids politique. Trois principales figures s’affrontent. Celle, féodale, déjà spectrale, du jeune baron, de l’injustice. Celle du marchand Kohlhaas, futur citoyen de droit, d’injustice et capable d’une révolte dont la limite sera l’individualisme. Enfin, préfigurant le révolutionnaire, celle du jeune valet Jérémie, porteur des utopies. »

De ce point de vue, la noirceur du film (filmé comme un western lent, ce qui affaiblit la portée des scènes qui méritaient vraiment, elles, de l'être) coïncide avec la désespérance de l'auteur original : Heinrich von Kleist n'ayant pas su porter la gloire militaire de sa famille, haïssant Napoléon, tombé en dépression à la lecture de Kant, assassin de son amante Henriette, désespéré de n'avoir pu trouver un amour qu'il idéalisait, et tout cela avant de se suicider. On comprend mieux les mots qu'il prête au pasteur du roman (et du film) : « la mort est un choix. » Arnaud des Pallières a su parfaitement retranscrire en images les lignes de cet auteur tourmenté, quoiqu'il ait rajouté des éléments au roman afin de le rendre moins glauque (dans le film il a une fille, un ami prédicant, et quelques autres accompagnants inventés).

Si l'on accepte ce contexte historique morbide, Michael Kohlhaas est-il un vengeur, ou un homme juste ?

La philosophie réaliste impose d'établir des distinctions que le film ne fait pas. Michael Kohlhaas dupé par un prince met en gage des chevaux magnifiques qu'il récupère dans un état épouvantable, il est débouté trois fois par l'organe judiciaire suite aux relations du dit prince et sa femme est assassinée en voulant porter sa cause auprès de Marguerite de Navarre. Il y a là deux injustices au sens strict, et une injustice au sens large (l'assassinat). S'il a effectivement été débouté pour les chevaux, il ne l'a pas été pour l'assassinat, et c'est définitivement cet acte ignoble qui va le faire basculer dans la révolte. L'injustice portant sur les chevaux vaut-elle que l'on prenne les armes ? Probablement pas. Celle du meurtre le justifie-t-elle ? Peut-être, mais au moins après avoir épuisé les voies légales (il est plus facile pour un prince, même à l'époque n'en déplaise à l'Éducation Nationale, d'enrayer la justice pour une histoire de prêt de chevaux que pour un meurtre !). Même s'il avait été débouté également de sa plainte au sujet de son serviteur sur qui les valets du prince avaient lâché les chiens, les charges commençaient à peser singulièrement.

Le film ayant tout fait pour justifier l'acte de Kohlhaas n'y parvient donc pas tout à fait. Porter un tel jugement sur l'histoire peut paraître dur et cruel, mais lorsque la morale s'encombre de sentiments, elle finit par pourrir jusqu'aux jugements actuels de notre bonne vieille Cour de cassation.

Enfin, mettre en doute la révolte du marchand de chevaux n'équivaut pas à le condamner. Il n'est coupable que si, en conscience (cette conscience devant laquelle le place d'ailleurs le pasteur), il n'agit que pour assouvir une vengeance.

De plus le film va au bout de l'horreur puisque Michael Kohlhaas obtient finalement réparation pour le vol de chevaux, lui-même et son serviteur, mais finit la tête tranchée (privilège habituellement réservé aux nobles soulignons-le) pour sa révolte. L'avait-il mérité en réalité ? L'histoire (la vraie) est sombre, mais puisque dans le film il pendit un de ses soldats pour pillage, il est à craindre que cette pratique ait été exercée et qu'il en ait été, indirectement, responsable. C'est d'ailleurs ce que semble sous-entendre le réalisateur dans le dossier de presse : « Michael Kohlhaas est une nouvelle de Heinrich Von Kleist, inspirée de l’histoire vraie d’un marchand qui, victime de l’injustice d’un seigneur, mit une province d’Allemagne à feu et à sang pour obtenir réparation. »

Quoi qu'il en soit, le film a donc le mérite insigne de poser de vraies questions, de tenter d'y répondre, ce qui est rare, et de mettre sous la dent du spectateur un spectacle qui mettra à l'épreuve sa réflexion.

Qu'en penses-tu Mad ?

- « Je ne crois pas qu’un film doive forcément nous apprendre quelque chose. Tant mieux si c’est le cas mais ce n’est pas ma première préoccupation. Sinon je serais politicien ou pédagogue, pas acteur. » (Mads Mikkelsen, in Dossier de presse).

- Ha bon... Alors ne t'abonne pas à L'écran, tu te foulerais un neurone...