La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2

Film : La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2 (2013)

Réalisateur : Abdellatif Kechiche

Acteurs : Léa Seydoux (Emma), Adèle Exarchopoulos (Adèle), Salim Kechiouche (Samir), Jérémie Laheurte (Thomas),

Durée : 02:59:00


Un film à la réalisation sommaire qui présente l'homosexualité sous son meilleur jour.

Le voilà enfin, ce film tant attendu par la presse, qui ne cesse de faire parler de lui par les piques incessantes que se livrent depuis le festival de Cannes - où lui échut la palme d'or - les deux actrices et le réalisateur (piques si médiatisées qu'on se demande même s'il ne s'agit pas d'une campagne de communication).

Je m'installe entre deux couples de lesbiennes. A part nous, trois personnes âgées. Devant cette vacuité de la salle, je me demande si le public n'a pas eu vent de l’inutilité des récompenses cannoises. Car en tant que critique, mon travail sera aujourd'hui un peu particulier : je vais devoir juger si le film méritait sa promotion (au moins artistiquement car l'éthique sert aujourd'hui de strapontin aux jurys), ou s'il ne doit son salut qu'à la réaction mesquine d'une élite, qui défendit jadis le violeur Roman Polanski et se raidit maintenant contre les manifestations anti-mariage pour tous.

En tout cas ce film doit être époustouflant, étant donné que la délibération du jury à Cannes n'a été que de quelques minutes !

A première vue, en tout cas, le film n'est pas « engagé. » Son réalisateur Abdellatif Kechiche est très clair dans son dossier de presse : « je n'avais rien à dire de militant sur l'homosexualité. »

Son objectif est simplement de filmer l'homosexualité « comme n'importe quelle histoire d'amour, avec toute la beauté que cela comprend. » Pas militant, donc, mais ouvertement partisan. Pour ce faire, il décide donc d'adapter à l'écran la bande dessinée Le bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh. Pour vous donner une idée de l'orientation idéologique, apprenez que cette BD place le drapeau français au milieu des pictogrammes d'insultes homophobes (moi non plus je ne vois pas le rapport mais j'imagine que quand on aime la France, on est homophobe, ou que quand on est homophobe, on aime la France !..).

On y apprend également que « ce qui est horrible, c'est que des gens s'entretuent pour du pétrole et commettent des génocides... et non pas de vouloir donner de l'amour à une personne. » Une telle prose m'a instantanément renvoyé aux propos identiques d'un pédophile que j'étudiais en criminologie. Que les esprits étroits rengainent leurs armes. Je n'ai pas dit que c'était la même chose, j'ai dit que l'argumentation était la même : inexistante.

Quoiqu'il en soit, il faut au moins remarquer une chose, c'est que contrairement à Julie Maroh, notre brave réalisateur ne sait pas gérer l'ellipse temporelle. Alors que dans la bande dessinée les cartouches expliquent clairement les sauts dans le temps, dans le film il est souvent difficile de se repérer. Du coup, le lesbianisme de Clémentine (dans la BD) est long et progressif (ce qui permet de montrer très en détails les méchants homophobes), alors que celui d'Adèle (dans le film parce que « ça veut dire justice en arabe, ça me plaisait bien ») est brutal et assez soudain. On n'assiste donc pas aux interminables tortures psychologiques de la bande dessinée, mais on voit quand même deux adolescentes homophobes beaucoup plus vulgaires que dans la bande dessinée (il faut bien qu'on comprenne que ce sont vraiment, vraiment les méchantes !).

Le constat est le même dans les deux œuvres : si Adèle souffre (voilà pour le coup quelque chose qui est très bien rendu dans le film) c'est de la pression sociale, et non d'une difficulté liée à un désordre dans la nature (d'ailleurs, si vous osez penser cela au pays de la démocratie, sachez que la bande dessinée vous représente sous les traits du Ku Klux Klan. Ça vous apprendra !).

Incontestablement, le film mérite la « palme des gros patins baveux. » A la sortie de la salle, un des couples de lesbiennes s'embrassait et l'une disait à l'autre : « quand même c'est dégueulasse ! T'imagines si je te faisais ça tout le temps ? » LOL, comme on dit. Le film de lesbiennes qui écœure des lesbiennes. Re-LOL !

Contrairement à la bande dessinée, Abdellatif Kechiche a effectivement le trouble obsessionnel compulsif du très gros plan. D'ailleurs, il le dit lui-même le bougre : « on est touché par quelque chose dans un visage, un nez, une bouche. Pour moi c'est le moteur des choses. » Très gros plan des bouches qui embrassent, et de celles qui n'embrassent pas, des yeux, des nez qui coulent comme des fontaines (incroyable ce que cette pourtant mignonne AdèlenExarchopoulos peut être morveuse !). Ce déluge de sécrétion est donc censé être sensuel.

Sensuelles comme ces scènes carrément pornographiques et incroyablement longues qui ponctuent la pellicule. Le film est volontairement très obscène, puisqu'on voit même la vulve d'une des actrices, ce qui, dans le cinéma « traditionnel » est extrêmement rare. Voilà qui ne va pas dans le sens de l'homosexualité. Chaque fois que celle-ci essaie de se montrer comme une sexualité normale, elle charrie dans son sillage l'obscénité (le film n'est interdit qu'aux moins de 12 ans !!!). Comme la Gay Pride, ce film semble montrer que la transgression est l'apanage de l'homosexualité. Transgression pitoyable, puisqu'elle ne vaut rien dans un système qui l'accepte, mais transgression mise en théâtre.

Alors, dans le film, la sexualité dévore tout. Quand Adèle et Emma vont au musée, la caméra cadre sur les paires de fesses en gros plans, comme si c'est tout ce qu'il fallait retenir de l'art. Les scènes de sexe grignotent tellement la durée du film que celui-ci en devient franchement ennuyeux. Dans les cafés, les bars, sur les bancs publics chers à Brassens, ce ne sont qu'attouchements, patins, danses sensuelles... Si l'on retirait le sexe du film, qu'en resterait-il ? Presqu'autant qu'un film de B. Root sans porno.

Ho bien sûr ! Techniquement il y a bien quelques tentatives de mise en scène (les changements de focale pendant la danse d'une soirée pour calquer la pantomime d'une actrice de cinéma sur les émotions d'Adèle, par exemple), mais c'est si conventionnel !

Autre chose très intéressante : le romantisme. Alors que les couples hétérosexuels se partagent en deux catégories qui peinent d'ailleurs à se comprendre (les adeptes du romantisme et les adeptes de la romance), le cinéma, la télévision et les médias en général semblent ne montrer que du romantisme gay. Vous savez ce bon vieux romantisme qui fait rêver les jeunes filles des meilleurs milieux, dans lequel il est tellement plaisant d'être malheureux par amour ! Le très récent Ma vie avec Liberace nous faisait une nouvelle fois plonger dans la relation glauque du « Je t'aime, moi non plus. » Hé bien c'est reparti pour un tour ! Marrant : pour banaliser l'homosexualité, ses défenseurs ne trouvent rien de mieux que de la calquer sur les mauvais couples hétérosexuels. Mais qui dit « romance » ne dit pas « romantisme » et, je ne le dis qu'à vous, il paraîtrait qu'il existerait des couples, quelque part, qui s'aiment vraiment mais qui n'en souffrent pas !.. Chut !

Franchement je ne sais pas où les médias autorisés ont vu de la beauté. Beauté des corps ? Sans aucun doute, mais on aurait pu les apprécier bien mieux sans léchouillages et dans de nobles attitudes. Beauté de la relation sexuelle ? Non mais sérieusement. Y'en a t-il encore qui confondent beauté et excitation ? Loisir de frustrés, certainement, car dans la salle de cinéma, ils ne proposent même pas de partenaire à consommer une fois l'eau à la bouche !

Reste l'histoire du film, qui démontre combien le cinéma peut être totalitaire (peut-être même un peu plus que la littérature !). Une pauvre fille très mal dans sa peau ne prend pas de plaisir dans une relation hétérosexuelle. Elle rencontre une lesbienne et c'est le feu d'artifice ! La voilà heureuse mais un nouveau problème se présente : le regard des autres (vous savez ce même regard que subissent les parents de familles nombreuses face à leur banquier mais dont, évidemment, personne ne parle !). Dans la bande dessinée, les parents de Clémentine l'apprennent et pètent une durit. Dans le film, ce sont deux camarades d'Adèle apparemment peu sensibles au bourrage de crâne de l'Éducation Nationale. Mais ce problème finit lui aussi par être absorbé. C'est maintenant le couple qui bat de l'aile. Adèle n'est pas très maligne. Elle fricote avec un garçon et ne sait même pas le dissimuler. Emma l'apprend et nous sert une scène violente de femme trompée. Et voilà ! Bravo Adèle !.. T'as tout cassé... Pour toujours.

Voilà exactement ce qui se déroule sous nos yeux ébahis pendant près de trois heures.

Abdellatif Kechiche y rajoute quelques scènes qui tombent comme des cheveux sur la soupe. On y voit par exemple Adèle exercer son métier tout neuf d'institutrice (vous voyez bien qu'on peut être lesbienne et s'occuper très bien des enfants!) dans des passages longs parce que hors sujets et mal amenés. Dommage car en soi ces scènes sont vraiment bien filmées !

D'un point de vue diégétique, c'est donc très très limite. D'un point de vue scénaristique, à peine plus. Mais ce n'est pas vraiment ça qui est intéressant.

Ce qui est réellement fascinant, c'est de lire entre les lignes.

L'art (en l'occurrence le cinéma) possède cette faculté étonnante de pouvoir nous présenter les choses comme si c'était la réalité.

Adèle est une ado mal dans sa peau. N'importe qui se demanderait ce qu'on pourrait améliorer dans sa vie, une existence ne se résumant évidemment pas à la sexualité. Mais pour le film, c'est clair : c'est un problème sexuel. Rien à discuter on vous dit. On vous montre la réalité !

Alors partons sur ce problème de sexualité. Ça n'a pas marché avec son éphémère petit copain. Bon... Admettons... Mais toutes les filles ont-elles joui la première fois ? Sont-elles lesbiennes pour autant ? On se croirait dans une mauvaise revue pour les jeunes, dans lesquelles on fait croire aux petiots que s'ils n'ont pas grimpé au rideau la première fois, c'est qu'ils sont probablement (même pas « possiblement ») homosexuels... Ça pourrait ne pas fonctionner avec Emma non plus, mais, comme par hasard, ça détonne ! Et tout cela c'est la réalité, ne l'oubliez jamais !

Dans les lycées, les gamins qui n'approuvent pas ce genre de relations évitent d'ouvrir leurs bouches. Imaginez ! Vous finissez chez le proviseur, puis livré à un psy dans des séances de rééducation, vos parents sont cloués au piloris comme les méchants homophobes qu'ils sont... Bref... Vous la fermez.

Du coup, même si bien sûr tout le monde n'approuve pas, on imagine difficilement des scènes aussi violentes que celle qui a lieu dans le film, qui plus est avec des phrases aussi ridicules que « ma chatte, tu la boufferas jamais ! »

On n'imagine pas, mais c'est pourtant vrai, puisque le film le montre !

On pourrait continuer comme ça longtemps mais ce serait ennuyeux. Ce qui ressort de tout cela, c'est que le cinéma impose une réalité avec une vraisemblance coupable : ce sont des images qui sont montrées, et le public n'a généralement pas beaucoup d'affinité avec Brecht !

Enfin, puisqu'à L'écran nous aimons la philosophie, une discussion entre Emma et Adèle a retenu mon attention. C'est la seule discussion vraiment intellectuelle du film, et elle porte sur Sartre, dont Emma est visiblement une fan. Coïncidence ? Je me gausse !

Il est une théorie qui dit qu'on construit sa sexualité au cours de sa vie, celle-ci n'étant pas gravée en nous. C'est le gender. Il est même une femme qui a dit : « on ne naît pas femme on le devient. » Cette femme s’appelait Simone de Beauvoir, et elle était la compagne de... Sartre...

On ne se refait pas.

Voi donc un film que vous pouvez ne pas aller voir. Cette œuvre n'a pu être couronnée à Cannes que pour des raisons politiques, et nous pouvons maintenant nous attendre à ce que les médias en tissent la gloire. Il ne suffit pas que la loi soit passée. Il faut en imposer l'esprit.