Il était une fois en Amérique

Film : Il était une fois en Amérique (1984)

Réalisateur : Sergio Leone

Acteurs : Robert De Niro (David « Noodles » Aaronson), James Woods (Maximilian 'Max' Bercovicz), Elizabeth McGovern (Deborah Gelly), Joe Pesci (Frankie Minolti), Burt Young (Joe), Tuesday Weld (Carol...

Durée : 04:18:00


Un monument du cinéma américain mettant en scène des acteurs remarquables dans un scénario excellemment bien construit. Malheureusement, la qualité technique de l'oeuvre ne saurait faire oublier son contenu particulièrement licencieux, à la fois dans le fond (la vie des gangsters), et dans la forme (la violence et le sexe y sont omniprésents, et Sergio Leone sait y mettre l'intensité que son talent lui permet).

Il était une fois une bande d’amis juifs de Brooklyn, manquant tous d’un père, mafieux dès l’adolescence, et la peinture de toute une société traversant le siècle de l’Amérique reine du monde.

Dernier film d’un monstre sacré du 7e art, Sergio Leone (Pour une poignée de dollars, Il était une fois dans l’Ouest, Le bon, la brute et le truand …), tourné en deux fois, avec les acteurs jeunes, puis vieux, Il était une fois en Amérique est une fresque.

Fresque sociale d’abord, pour ce que peut devenir une jeunesse désaxée. Parmi les fumées de Brooklyn, des gosses qui font les poches des ivrognes, un flic moustachu, surpris dans les bras d’une jeune fille (trop jeune pour être légal…), un règlement de compte de rue, un trou dans le mur pour voir danser la jolie voisine… Vols, voyeurisme, prostitution pour des viennoiseries… Tout est crasse, certes ! Mais le talent de Sergio Leone transcende ce spectacle médiocre ; « J’ai pétri de la boue, et j’en ai fait de l’or » disait Baudelaire.

Fresque dramatique ensuite. L’Amérique n’est pas forcément le personnage principal, car le film est surtout une histoire d’amitié, et d’amour. Le film montre, avec toute la complexité du parcours de son premier rôle (Noodles), long comme s’il venait d’un roman, comment un individu lutte contre les mauvaises habitudes contactées jeune, dans un environnement sans morale. Comment l’homme se bat contre lui-même, et ne gagne pas toujours.
L’homme, loin du « déterminisme social » qu’on nous ressert souvent, subit certainement la mauvaise influence d’une éducation ratée, mais apprend avec l’âge, aussi, où sont le bien et le mal, apprend le pardon plutôt que la vengeance, la prudence plutôt que la fougue, la mesure plutôt que la cupidité, et l’acceptation plutôt que la rancœur.

Le réalisme des personnages, fin comme dans un classique littéraire, atteint son paroxysme à travers cette lutte peu bruyante du personnage de Noodles. Il doit toujours faire des choix, parfois sans retour possible. Sorti d’un long séjour en prison, doit-il être fou comme avant, ou apprendre la sagesse ? Doit-il se détacher de ses amis sans scrupules, qui sont comme ses frères depuis tant d’années ?

Toujours tiraillé entre le droit chemin, qui semble ennuyeux de son jeune point de vue des rues de Brooklyn, et la folie des filles faciles, des petits braquages et des potes encore plus dingues, Noodles a le choix de réussir aussi un amour qui semble écrit d’avance (avec la jolie Déborah, jouée par Jennifer Connely adolescente – Un Homme d’exception, Noé …), ou la vie de gangster. « Les copains d’abord », comme on dit ? Noodles, c’est aussi l’histoire des choix faits trop vite, chez cette jeunesse qui vole à 12 ans, frappe à 13 et couche à 14…

L’histoire dresse donc un portrait complexe, pourtant joué avec une simplicité bouleversante par De Niro. Il incarne à merveille la mélancolie et le parfum de regret qui font toute l’ambiance du film, loin du jeu très nerveux qui l’a caractérisé plus tard (chez Scorsese notamment ; c’est ici le De Niro du Dernier Nabbab, du Parrain II aussi …). Il fait même un peu d’ombre aux talents qui l’entourent, bien qu'on ne peut imaginer les personnages joués par d’autres.

Et pour finir, une fresque cinématographique. Narration mystérieuse, décomposée, plans larges composés comme des tableaux, répliques cultes (« j’ai glissé » …), transitions intelligentes (les changements de lieux et d’époque sont admirablement maîtrisés), les 4h11 de cette version longue, riche de la plupart des scènes qu’on avait coupées (il manquera à jamais 14 minutes, la version présentée par Leone à la production faisait 4h25), passent comme un bon film de deux heures. Et au bout de ces aventures de vieux copains, de déceptions, de trahisons, de révélations et de rebondissements, on a envie que cela ne s’arrête plus. On assiste à une leçon de cinéma en trois actes.

L’univers créé par Sergio Leone est réaliste, (très) violent, authentique (même si vous avez peut-être vu le sigle de la SNCF dans une scène se déroulant à New-York, et tournée Gare du Nord …) ; il donne une peinture romanesque qu’aucun, depuis n’a égalée (Il était une fois le Bronx, de Robert de Niro justement, d’autres encore...).
Doté de cette inspiration qui fait d’un film un monument du cinéma, tant sur l’histoire, les plans, ou même la musique (Ennio Morricone, forcément !), Il était une fois en Amérique demeure tout de même assez sauvage pour être réservé à un public averti.

Il était une fois aussi, un film maudit, sorti aux USA dans une version de 2h19, remettant les événements dans l’ordre chronologique, dénaturant toute la mélancolie faisant sa richesse ; une barbarie orchestrée par les producteurs soucieux de faire des entrées, et n’en tirant au contraire qu’un immense gâchis (2,5 millions de dollars de recettes US, une misère pour un film au budget de 30 millions). Cette version massacrée n’existe même plus aujourd’hui. Cette faute incroyable fit passer le film à côté des Oscars, même pour Ennio Morricone (à cause de son absence au générique, version 2h19). Sergio Leone, écœuré, ne tourna plus rien jusqu’à sa mort.
Triste fin pour un géant qui tenait peut-être sa plus grande œuvre.