Quand l'Histoire selon Hollywood croise l'amour selon Bollywood

Film : Le Dernier Vice-Roi des Indes (2017)

Réalisateur : Gurinder Chadha

Acteurs :

Durée : 01:46:00


Ne vous attendez pas à un biopic sur Lord Mountbatten : le titre original du Dernier vice-roi des Indes est en fait The vice-roy’s palace. Façon de justifier un entrecroisement entre les brûlantes semaines de travail pour négocier l’indépendance de l’Inde, et l’histoire d’amour bollywoodienne entre deux autochtones au service du palais en question. 

 

Il s’agit tout de même d’un récit narrant les derniers jours du plus beau joyau de la Couronne britannique. Probablement l’arrêt de mort de l’Empire britannique d’ailleurs, de sa place privilégiée dans le concert des nations, épuisée qu’elle était de la guerre, et lâchant année après année ses historiques possessions. Le début de la fin, comme on dit. 

Mais toute Indienne qu’elle est, la réalisatrice n’a pas cru bon de se pencher une seule seconde sur le vertige des Anglais devant ce quasi-suicide fatal. Ses préoccupations sont ailleurs.

 

Partisane, elle n’a en tête qu’une chose : montrer que l’Inde est comme l’enfant adopté de la Grande-Bretagne (ce qui n’a guère plu à une certaine presse), et qu’ainsi, la seconde ne devait se préoccuper que de l’intérêt de la première. Selon la bonne expression française consacrée, elle aurait voulu le beurre, l’argent du beurre etc. 

L’Angleterre est méchante, pour plusieurs raisons : elle a colonisé l’Inde, et imposé la ségrégation, notamment entre hindous et musulmans. Ensuite, pour reprendre une figure de style bien française aussi, issue du passé récent du pouvoir élyséen, l’Angleterre elle est méchante parce qu’elle laisse la guerre civile se produire entre hindous et musulmans, et puis l’Angleterre elle est méchante aussi parce qu’elle a promis un Pakistan aux musulmans (qui sont des gens agressifs, sanguins, et anti-romantiques comme s’évertue à nous prouver le film). 

 

Pourtant, Gurinder Chadha a bien conscience que la Grande-Bretagne ne lâche l’Inde qu’à cause des dégâts financiers de la seconde guerre. On peut en conclure que l’Angleterre est méchante parce qu’elle ne cherche que son intérêt. Il faudrait qu’elle évacue ses troupes pour cesser l’odieuse occupation, mais qu’elle les laisse pour endiguer la guerre civile. Il faudrait aussi qu’elle déguerpisse de tous les postes administratifs, mais qu’elle y reste aussi pour assurer la paix. Qu’elle soit là et pas là en même temps, en fait. Qu’elle laisse l’Inde unie, sans créer de Pakistan, alors que cette solution est la promesse de massacres entre musulmans et hindous bien plus graves que la guerre indo-pakistanaise. Qu’elle laisse donc une Inde unie qui n’a pourtant à peu près jamais existé, morcelée qu’elle était notamment quand les Britanniques en prirent le contrôle. 

 

Non seulement l’idée d’une Inde nationale était totalement nouvelle, et donc pas plus légitime que celle de colonie, mais elle était même agrandie considérablement par les Britanniques eux-mêmes (350 millions km2 en 1881, 400 millions en 1941). Et quid des divisions entre hindous et musulmans, qui n’ont évidemment pas attendu la ségrégation pour gronder ? Que penser également du fait que la belle du film ne puisse pas épouser son amant chéri non seulement parce que sa famille musulmane ne l’accepterait jamais, mais aussi parce qu’elle est déjà promise à un autre ? Sont-ce les Britanniques, qui ont dicté aux gens de l’umma qu’ils ne devaient pas épouser des non-musulmans ? Vous l’avez compris, les musulmans sont des être sous-évolués, intolérants et rabat-joie (scène de la danse), et les Anglais auraient dû non seulement lâcher le Pakistan à Nerhu, mais aussi l’Ecosse et Westminster, en réparation de leurs odieux crimes dont les origines ne sont bien sûr pas évoquées. 

 

De toute façon, au cinéma, il est bien rare qu’un film mette en cause le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mettant fin aux empires par des guerres d’indépendance à vau-l’eau, des guerres civiles, des revendications et des divisions en sous-peuples à n’en plus finir, ce nationalisme-là, qui par sa brume intellectuelle, son ambiguïté intrinsèque, légitime à la fois l’Inde sans Pakistan et la naissance du Pakistan. 

 

D’un côté donc, le pouvoir britannique ne cherchant que son intérêt (étonnant, n’est-ce pourtant pas pour cela qu’il travaille , et même pour cela qu’il existe ?), de l’autre, les pauvres Indiens qui s’entretuent et s’en déresponsabilisent aussitôt, avec quelques Anglais de bonne volonté, comme la femme de Lord Mountbatten, activiste humanitaire en avance sur son temps, Lady Diana lettrée distribuant du haut de ses talons quelques bouts de pain aux enfants indigènes affamés, et affalée le soir dans un palais qui ferait passer Buckingham Palace pour des écuries. Certains s’y trompent : parce que ces Anglais-là (le couple Mountbatten) sont canonisés par le film, ils en concluent que le regard sur les colons se veut historiquement incorrect. C’est à y bien regarder tout le contraire : les Mountbatten ne sont pas des colonisateurs, mais des « décolonisateurs », si l’on peut dire. 

 

La ligne est donc clairement pro-indienne, niaise à bien des égards puisque la non-création du Pakistan aurait très probablement ensanglanté tout le nord des futures ex-Indes britanniques. La niaiserie atteint également Lord Mountbatten, qui selon le récit n’aurait pas compris qu’il était simplement là pour signer des plans déjà achevés depuis longtemps, et pas pour inventer une solution de diplomate d’élite issue de sa petite tête de militaire marin. Le bonhomme, rendez-vous compte de sa candeur, ne sait même pas en arrivant que les effectifs armés britanniques sur place sont très insuffisants pour enrayer un début de guerre civile - façon maladroite d’en informer le spectateur, et d'insister sur la pseudo-innocence du principal intéressé. 

La niaiserie de la réalisatrice, qui veut absolument faire du gaillard un saint décolonisateur, tout en s’extasiant paradoxalement sur la splendide administration britannique, transpire aussi lourdement dans l’histoire d’amour parallèle au sujet, nos deux amants indiens, Roméo et Juliette sans Shakespeare, et faisant surtout beaucoup de bruit pour rien. L’idée était pourtant bonne : glisser entre les débats diplomatiques entre dirigeants et vie des gens du peuple. Beaucoup se sont satisfaits de cette simple bonne intention.

 

 

Orienté, le film gratte en surface en amour, en Histoire, pèse par sa musique incessante, et n’éblouit que par un bon casting, de beaux costumes et une belle photographie. Quand les débats commencent à se rendre complexes, on commence à sentir du travail. Mais le désir de nuance et de détails s’arrête trop tôt. Vulgarisateur, le scénario simplifie jusqu’à la caricature l’ensemble des protagonistes. Mélange de Bollywood et d’Hollywood, Le Dernier vice-roi des Indes avait quelques ingrédients de grande fresque historique, mais le manque de nuances, de faits historiques et sa candeur coupable l’éloignent de la hauteur de son sujet. Allez, sans rentrer dans son discours, le spectateur verra du pays, appréciera une reconstitution formelle aboutie (l’ambiance fait un peu voyager, il est vrai), de bons acteurs, et ne s’ennuiera guère, surtout en sortant de la salle pour débattre de cette drôle d’Histoire.