Un choc spirituel par intraveineuse

Film : La Prière (2018)

Réalisateur : Cédric Kahn

Acteurs : Anthony Bajon (Thomas), Damien Chapelle (Pierre), Àlex Brendemühl (Marco), Louise Grinberg (Sybille), Hanna Schygulla (Sister Myriam), Magne-Håvard Brekke (Olivier), Davide Campagna (Luciano), Maïté...

Durée : 1h 47m


Pas facile de réaliser un film sur le sujet de la prière, quand on pense que presque tout et son contraire a été dit sur le sujet de la foi. Eh bien non ! Il a fallu que l'impétueux Cédric Kahn vienne mettre son nez sur les rails de l'échelle sainte, pour voir si elle avait le même pouvoir de subjugation que l'héroïne ou la méthamphétamine ! La Prière est un film culotté, d'un réalisme dur, et d'un augustinisme frissonnant. C'est une plongée dans l'enfer de l'addiction à la drogue pour y discerner la faible luminescence de l'espérance et de la survie. Il raconte l'histoire assez originale de jeunes dépendants conduits par leurs proches dans un lieu très atypique : une maison de redressement spirituel perchée dans les Alpes ! Tenue par d'anciens drogués, cette maison les accueille comme dans un pensionnat, et leur propose de se soigner grâce à une discipline très stricte, mais aussi par l'amitié et par la prière.

Cédric Kahn est culotté parce qu'il parvient à sortir presque tout le registre de la prière chrétienne (chants classiques, bénédicités, ave maria, pater noster, credo, psaumes...) sans que l'on s'en aperçoive vraiment. La prière dans son film n'est pas présentée comme un outil de pure incantation verbale répétitive adressée à une divinité sourde ou supposée absente. Elle incarne au contraire le mûrissement de la parole permettant à ces jeunes de saisir la corde de l'altruisme, de l'ouverture au monde tel qu'il est, de l'acceptation de la réalité, et de la grâce insaisissable. Ce film est presque une illustration de la vie d'un personnage comme David, connue pour ses importants contrastes, de la débauche la plus sombre aux éclairs de translucidité amoureuse et de fidélité au Dieu reconnu comme le maître de toute destinée. Bien que ce film concerne des jeunes drogués, sujet pour le moins adapté à l'actualité puisque la France en compte actuellement le plus grand nombre en Europe, il s'adresse plutôt à un public adulte. Il questionne la maturité de la foi, un peu comme L'Apparition il y a quelques semaines.

Le film possède également une grande qualité, celle de pratiquer sa propre auto-critique et d'évaluer sans cesse le contenu de la méthode proposée par cette maison unique. Le potentiel de révolte qu'elle suscite chez les jeunes arrivants, tout comme la dureté de la réinsertion par un processus spirituel longtemps incompris et seulement mimé ne sont pas laissés au hasard. L'auteur veut montrer que le sauvetage de ces jeunes déboussolés ne passe pas seulement par une récupération physique, mais aussi par une révolution éducative complète, l'apprentissage du silence, de l'écoute, de l'obéissance et bien sûr l'ouverture à la voie spirituelle. Le message passe parce qu'il ne recourt ni à la vulgarité ni à la croyance naïve. On peut dire qu'il explore les profondeurs de l'homme. Il ressort de cela que la religion chrétienne se montre sous l'un de ses visages les plus avenants, celle de la clé de libération au comportement parfois sauvage de l'homme dans l'histoire. On reste seulement un peu perplexe sur la fin du film un peu en trompe-l'oeil, comme pour insister sur les doutes que suggère le monde moderne quant à la pertinence de la voie spirituelle. Mais il s'agit là encore d'une preuve de réalisme. Une preuve de trop ?