Tendance, à défaut d'être tentant !

Film : Marie Madeleine (2018)

Réalisateur : Garth Davis

Acteurs : Rooney Mara (Mary Magdalene), Joaquin Phoenix (Jesus), Chiwetel Ejiofor (Peter), Ariane Labed (Rachel), Ryan Corr (Joseph), Tahar Rahim (Judas), Hadas Yaron (Sarah), Charles Babalola (Andrew), Tsahi...

Durée : 2h 0m


Le film Marie Madeleine aborde les derniers instants de la vie du Christ. Il adopte de façon originale le point de vue subjectif de celle que l'Eglise a toujours reconnu comme étant à la fois une grande pécheresse, mais aussi une grande sainte, notamment parce que le Réssuscité lui est apparu la première et qu'elle manifestait beaucoup d'amour autour d'elle, selon le témoignage des Evangiles. En réalité cette production ne sort pas tout à fait par hasard sur nos écrans, puisqu'elle fait suite à la décision prise par le pape François en juin 2016 d'élever la célébration de sainte Marie-Madeleine au rang de fête dans le Calendrier Romain Général (22 juillet). Le pape a ainsi souhaité une nouvelle ère consacrée notamment au rôle des femmes dans l'évangélisation. En rehaussant le caractère de cette fête, il a voulu ériger Marie-Madeleine au même rang que les apôtres, c'est-à-dire la reconnaître comme une "disciple du Christ", bien qu'elle ne l'ait pas suivi autant que les Douze. Cette mesure symbolique s'apparente à un message d'encouragement pour les femmes d'aujourd'hui, sans être véritablement révolutionnaire en lui-même, car l'Eglise connaît déjà un certain nombre de porteuses d'Evangiles telles que Marthe et Marie-Salomé, elles aussi témoins de la Passion, et parties évangéliser le sud de la France.

Tout ça pour dire que le film s'engage résolument dans ce sillage, celui de la sainteté selon la femme. Curieusement, il entend aller plus loin que le décret du Vatican, en essayant de montrer que Marie-Madeleine n'a pas été une pécheresse, contrairement à ce qu'en a pensé la tradition de l'Eglise depuis saint Grégoire le Grand, mais simplement une malade. Cette théorie repose sur le fait que le fameux passage "Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre"(Jean VIII, 7) ne mentionnne pas explicitement le nom de Marie-Madeleine, et qu'on aurait par erreur assimilé trois femmes mentionnées dans les évangiles : celle à qui furent chassé une douzaine de démons, celle qui essuya les pieds de Jésus avec ses cheveux, et celle qui vit le Ressuscité la première. Un autre argument serait de dire qu'on avait l'habitude d'associer maladie et péché dans l'Ancien Testament, alors qu'en réalité Marie-Madeleine pouvait être seulement malade de troubles dépressifs...  

Une réhabilitation nécessaire ?

Sans rentrer dans une nouvelle glose exégétique, on ne voit pas très bien l'utilité de la démarche qui consiste à gommer/revoir/réhabiliter le passé de cette femme. L'apôtre Paul, dernier venu parmi les disciples, a lui-même coupé des têtes avant sa conversion sur le chemin de Damas. Pierre, quant à lui, a appartenu à une secte activiste qui était proche de celle du criminel Barabbas. Bref, on ne voit pas en quoi le fait de lui enlever son statut de pécheresse apporte une plus-value. Malheureusement, le film de Garth Davis s'engage avec trop d'assurance dans cette interprétation. Il propose certes une belle histoire avec des plans assez esthétiques sur les rives du lac de Tibériade, mais la relecture historique du rôle de ce personnage diminue sensiblement son relief et sa profondeur. Lavée de son statut de pécheresse, cette Marie-Madeleine est assimilée à une disciple accompagnant Jésus au même titre que les Douze. Ce qui ne tient pas franchement la route historiquement, car les femmes avait l'habitude de rester entre elles, et les Évangiles les mentionnent quasiment toujours ensemble. Mais bon pourquoi pas à la rigueur. Oui, si le Christ profère des paroles exceptionnelles et des gestes miraculeux, pourquoi ne pas le suivre, homme ou femme ? 

Le problème de cette interprétation scénaristique est qu'elle boîte assez rapidement. Les apôtres sont présentés comme des êtres angéliques sachant déjà ce que signifie le fameux "Royaume" dont parle le Christ. Or une simple lecture des Évangiles montre au contraire qu'ils ne comprennent à peu près rien à ce que Jésus leur dit, notamment parce que la plupart d'entre eux espère toujours l'avènement d'un prince terrestre favorisant la gloire du peuple d'Israël. Réaction normale, si l'on considère les millénaires d'attente qui précédent la venue du Messie. Bref, le film se hasarde en dialogues plutôt éthérés, durant lesquels la présence d'une femme ne crée pas plus d'interactions que ça, alors que tous les disciples ont abandonné la leur pour suivre le Christ. Côté casting, Rooney Mara endosse logiquement le costume d'une Marie-Madeleine qu'on peine à reconnaître tant elle paraît éloignée de la représentation de Monica Bellucci dans La Passion du Christ de Mel Gibson (2004). Mais pourquoi pas, encore une fois ! Il ne sont pas nombreux les films qui se consacrent à la relation entre Jésus et cette femme, dont on voit ici une passion évangélisatrice peu représentée ailleurs. Joachin Phoenix incarne quant à lui le Christ avec une certaine intensité, avec un regard même qui ne laisse pas indifférent, bien que laissant toujours échapper des lueurs d'inquiétude... 

Au final, l'approche de ce nouveau film axé sur la Passion et la Résurrection se veut innovante. Elle questionne le rôle des femmes dans l'entourage de Jésus, souvent réduites à de la figuration dans les représentations artistiques. Mais cette interprétation éclipse du coup des passages marquants des Évangiles, tels que la lapidation évitée de justesse ou la scène du parfum de nard. Cette Marie-Madeleine est plus pure et plus sainte dans sa vie. Mais on ne rechignait pas à la voir sortir des enfers. Cette oeuvre en tout cas faiblit du manque de contrastes. Elle a tout de même le mérite d'explorer la sainteté de la femme à côté d'hommes parfois omniprésents. On dira que c'est "tendance", à défaut d'être véritablement tentant !