Joker ne vient pas servir de "prequel" au deuxième épisode de la trilogie Batman réalisée par Christopher Nolan il y a quelques années. En effet, dans The Dark knight (2008), l'inoubliable clown dangereux incarné par Heath Ledger menaçait par son intelligence. Ses calculs diaboliques, les odieux dilemmes moraux qu'il imposait à ses victimes, ses deux coups d'avance permanents sur ses poursuivants, son anarchie imprévisible et la prestation de l'acteur lui-même en ont fait un personnage aussi terrifiant que fascinant. "Pour faire un bon film, il faut un bon méchant" disait Hitchcock : le rôle du joker avait propulsé un Batman au rang des grands drames psychologiques mettant en scène le génie du mal, il hissait un film de super-héros au rang des drames cinématographiques inspirés du théâtre grec ; il en faisait un "vrai" film, et pas un divertissement comme le sont, pour reprendre les termes du maître Martin Scorsese, les Marvel et autres productions DC comics , issus des bandes-dessinées américaines.
Cette fascination est allé à l'excès, au ridicule et ahurissant excès, quand en 2012, à Aurora (Etats-Unis), un dingo apparut déguisé en joker au fond d'une salle de cinéma pour mitrailler les spectateurs présents pour la sortie du troisième volet de la trilogie Batman.
Après The Dark knight et le suicide d'Heath Ledger, peu après le tournage (qu'il avait préparé d'une façon jusqu'au-boutiste : un mois, seul, enfermé dans une chambre d'hôtel pour préparer le personnage...), ce méchant iconique manqua très vite aux spectateurs. Mais la tuerie d'Aurora a évidemment rendu la production d'un film sur le joker impossible, au moins pour plusieurs années. Joker, celui dont nous allons parler maintenant, a tenté le coup, sept ans plus tard.
Ce Joker-là n'a rien à voir avec le diabolique clown du Batman de 2008, alors que la tentation était grande de montrer les premiers coups d'éclats du planificateur génial et sadique vu dans The Dark knight.
Le film se penche sur les années du joker avant le joker, où il était encore un être banal.
Rien que ce choix annonce le parti pris du film : on ne naît pas mauvais. Peut-être fragile, vulnérable, moins chanceux ou éduqué que d'autres, mais pas mauvais.
Joker ravive une thématique toujours présente en filigrane dans de nombreux films récents, mais rarement centrale : la société corrompt l'homme. Ce rousseauisme a bien sûr des arguments, en montrant effectivement une société ayant plus ou moins renoncé à protéger les plus faibles ; mais il va plus loin : le joker est véritablement une création de la méchanceté, de la cruauté de cette société. La violence du joker est ici une vengeance contre une société injuste, une vengeance des laissés-pour-compte.
Le problème que cette histoire soulève, aux Etats-unis notamment, est que celle-ci semble légitimer le crime de cette catégorie de population "opprimée". De plus, il le montre d'une manière glaçante, impressionnante, à fuir pour toute personne particulièrement sensible à la violence des images.
Contrairement à l'impression que vous avez peut-être en lisant, ce Joker n'est pas vraiment communautariste : il ne présente pas un monde de minorités oppressées contre une majorité oppressante. Il ressort en revanche quelques logiques assez proches, marxistes elles aussi : les pauvres sont maintenus, selon le scénario, dans leur pauvreté, dominé par les riches... Une agression commise par trois jeunes bourgeois dans le métro en feraient rire jaune plus d'un ayant vécu une expérience similaire : c'est bien connu, les hommes en costume-cravate sont souvent de vrais sauvages dans les transports en commun. On peut regretter cette insertion pas vraiment pertinente, étant donné que ces fameux hommes-en-costume peuvent très bien passer pour des criminels, mais des criminels en col blanc, justement, donc sans violence physique.
Socialiste à l'ancienne, donc, que ce discours sur les victimes d'un système dominé par les gagnants du capitalisme ; mais l'intérêt, même si les causes sont plus que discutables, réside dans les conséquences. La "radicalisation" de ce pauvre malheureux cherchant à se venger de la société qui l'a laissé tomber peut trouver bien des parallèles : terroristes, délinquants, criminels seraient ce qu'ils sont à cause de leur situation socio-économique. La logique marxiste voulant que l'homme soit armé par sa pauvreté, et non par le fait de ne pas parvenir à trouver sa place dans le système en place, transpire ici de façon caricaturale.
Le criminiel n'est donc pas coupable, il n'est pas reponsable ; le contraire, nous le savons tous, de la version libérale qui responsabilise l'homme, oubliant sans doute de manière diamétralement caricaturale aussi le contexte et les conditionnements sociologiques (le mimétisme par exemple, est scientifiquement prouvé, ne serait-ce que par les travaux de Daniel Kahneman et Amos Tversky : un homme fait facilement des pratiques qu'il voit faire son cadre moral, d'où l'importance de l'exemplarité). Déterminisme versus responsabilité, le grand débat qui agite le monde politique et métapolitique depuis presque deux siècles, sans que l'un des camps se soit un jour posé la question (posée de manière rhétorique par la doctrine sociale de l'Eglise) : et si l'homme était à la fois coupable et victime de ses crimes ? S'il avait une part de responsabilité dans chacun de ses actes, toutefois nuancée par ses influences sociales et morales ?
La limite du raisonnement du film, au-delà du débat sur la responsabilité, est de montrer des hommes riches violents : si la violence ne peut naître que de la pauvreté, pourquoi le riche est-il violent ? Sans vraiment le vouloir, Joker casse son propre ressort marxiste : il prouve lui-même que le mal peut naître en chacun de nous. Qui sait si le personnage principal ne serait pas devenu violent en étant riche aussi ? The Dark knight allait d'ailleurs davantage dans ce sens : on y voyait le joker brûler les montages de billets qu'il avait volés : l'argent ne changeait donc rien à la question de la criminalité.
Il fait souligner une thématique relativement peu traitée par la critique, qui mérite pourtant un petit détour. Pour établir sa logique suivant les mécanismes du déterminisme social, le personnage du futur Joker concentre la plupart des généralités connues sur les quartiers "défavorisés" (une expression qui contient tout un discours, bien sûr) : son talent est limité, bien trop pour en vivre, il est malade psychiquement, il est pauvre, les aides publiques s'éteignent et l'abandonnent à son sort, il n'a presque aucune qualification. Beaucoup de misère qui nous éloigne radicalement du génie du mal entrevu dans les autres films, on l'aura compris. Mais à tous ces malheurs, s'ajoute celui de la famille : le personnage ignore qui est son père, et le recherche. Son seul repère est sa mère, l'image de la précarité : seule, peu qualifiée aussi, malade. Ce manque criant de père devient une ironie tragique intéressante, puisque pendant la sortie du film, l'Assemblée débatait de l'ouverture de la PMA pour des couples de même sexe, créant ainsi des familles sans père. Or, sans militer pourtant, le film fait de cette recherche tragique un moteur essentiel de la radicalisation du fils.
À part ce sujet, Joker soutient donc un message bien clair : il est du camp rousseauiste, et même ce joker semble victime de bout en bout, malgré l'horreur de ses actes. Malgré l'évidence peu fine de ce message distillé pendant tout le film, on peut tout de même profiter d'une prestation - forçant encore le respect - de Joaquim Phoenix, un des seuls de taille à rentrer dans ce costume de joker qu'Heath Ledger avait rendu trop grand pour le commun des acteurs.
Proclamé chef-d'oeuvre par beaucoup, le film brille en tout cas par son dernier tiers, après un très long démarrage, où les événements tournent à l'escalade. On y retrouve, comme élément de société cruel, rendant les autres mauvais, l'excellent Robert de Niro, jamais annoncé dans la com' du film afin de garder la surprise. Phoenix face à De Niro : un régal pour cinéphiles, ou pour tout amateur de bon jeu ; c'est la nouvelle génération de géants devant celle qui lui a tout appris (saviez-vous que De Niro a lancé en 1993 un jeune pousse surdoué, le petit Leonardo Di Caprio ?).
Ce dernier tiers de spectacle, dont la tension glaçante va crescendo, trouve son paroxysme dans l'émeute, la foule furieuse et rebelle, la Révolution bien sûr ! cherchant elle aussi réparation contre le "système". Les similitudes avec les émeutes que l'on connaît depuis les années 2000 en France, auxquelles s'ajoutent les jacqueries des Gilets jaunes, frappent le spectateur français assez directement. Sans justifier ces heurts, l'histoire de ce Joker semble plutôt menacer : quand la tête est pourrie, le corps se meurt en grandes convulsions.
Joker ne vient pas servir de "prequel" au deuxième épisode de la trilogie Batman réalisée par Christopher Nolan il y a quelques années. En effet, dans The Dark knight (2008), l'inoubliable clown dangereux incarné par Heath Ledger menaçait par son intelligence. Ses calculs diaboliques, les odieux dilemmes moraux qu'il imposait à ses victimes, ses deux coups d'avance permanents sur ses poursuivants, son anarchie imprévisible et la prestation de l'acteur lui-même en ont fait un personnage aussi terrifiant que fascinant. "Pour faire un bon film, il faut un bon méchant" disait Hitchcock : le rôle du joker avait propulsé un Batman au rang des grands drames psychologiques mettant en scène le génie du mal, il hissait un film de super-héros au rang des drames cinématographiques inspirés du théâtre grec ; il en faisait un "vrai" film, et pas un divertissement comme le sont, pour reprendre les termes du maître Martin Scorsese, les Marvel et autres productions DC comics , issus des bandes-dessinées américaines.
Cette fascination est allé à l'excès, au ridicule et ahurissant excès, quand en 2012, à Aurora (Etats-Unis), un dingo apparut déguisé en joker au fond d'une salle de cinéma pour mitrailler les spectateurs présents pour la sortie du troisième volet de la trilogie Batman.
Après The Dark knight et le suicide d'Heath Ledger, peu après le tournage (qu'il avait préparé d'une façon jusqu'au-boutiste : un mois, seul, enfermé dans une chambre d'hôtel pour préparer le personnage...), ce méchant iconique manqua très vite aux spectateurs. Mais la tuerie d'Aurora a évidemment rendu la production d'un film sur le joker impossible, au moins pour plusieurs années. Joker, celui dont nous allons parler maintenant, a tenté le coup, sept ans plus tard.
Ce Joker-là n'a rien à voir avec le diabolique clown du Batman de 2008, alors que la tentation était grande de montrer les premiers coups d'éclats du planificateur génial et sadique vu dans The Dark knight.
Le film se penche sur les années du joker avant le joker, où il était encore un être banal.
Rien que ce choix annonce le parti pris du film : on ne naît pas mauvais. Peut-être fragile, vulnérable, moins chanceux ou éduqué que d'autres, mais pas mauvais.
Joker ravive une thématique toujours présente en filigrane dans de nombreux films récents, mais rarement centrale : la société corrompt l'homme. Ce rousseauisme a bien sûr des arguments, en montrant effectivement une société ayant plus ou moins renoncé à protéger les plus faibles ; mais il va plus loin : le joker est véritablement une création de la méchanceté, de la cruauté de cette société. La violence du joker est ici une vengeance contre une société injuste, une vengeance des laissés-pour-compte.
Le problème que cette histoire soulève, aux Etats-unis notamment, est que celle-ci semble légitimer le crime de cette catégorie de population "opprimée". De plus, il le montre d'une manière glaçante, impressionnante, à fuir pour toute personne particulièrement sensible à la violence des images.
Contrairement à l'impression que vous avez peut-être en lisant, ce Joker n'est pas vraiment communautariste : il ne présente pas un monde de minorités oppressées contre une majorité oppressante. Il ressort en revanche quelques logiques assez proches, marxistes elles aussi : les pauvres sont maintenus, selon le scénario, dans leur pauvreté, dominé par les riches... Une agression commise par trois jeunes bourgeois dans le métro en feraient rire jaune plus d'un ayant vécu une expérience similaire : c'est bien connu, les hommes en costume-cravate sont souvent de vrais sauvages dans les transports en commun. On peut regretter cette insertion pas vraiment pertinente, étant donné que ces fameux hommes-en-costume peuvent très bien passer pour des criminels, mais des criminels en col blanc, justement, donc sans violence physique.
Socialiste à l'ancienne, donc, que ce discours sur les victimes d'un système dominé par les gagnants du capitalisme ; mais l'intérêt, même si les causes sont plus que discutables, réside dans les conséquences. La "radicalisation" de ce pauvre malheureux cherchant à se venger de la société qui l'a laissé tomber peut trouver bien des parallèles : terroristes, délinquants, criminels seraient ce qu'ils sont à cause de leur situation socio-économique. La logique marxiste voulant que l'homme soit armé par sa pauvreté, et non par le fait de ne pas parvenir à trouver sa place dans le système en place, transpire ici de façon caricaturale.
Le criminiel n'est donc pas coupable, il n'est pas reponsable ; le contraire, nous le savons tous, de la version libérale qui responsabilise l'homme, oubliant sans doute de manière diamétralement caricaturale aussi le contexte et les conditionnements sociologiques (le mimétisme par exemple, est scientifiquement prouvé, ne serait-ce que par les travaux de Daniel Kahneman et Amos Tversky : un homme fait facilement des pratiques qu'il voit faire son cadre moral, d'où l'importance de l'exemplarité). Déterminisme versus responsabilité, le grand débat qui agite le monde politique et métapolitique depuis presque deux siècles, sans que l'un des camps se soit un jour posé la question (posée de manière rhétorique par la doctrine sociale de l'Eglise) : et si l'homme était à la fois coupable et victime de ses crimes ? S'il avait une part de responsabilité dans chacun de ses actes, toutefois nuancée par ses influences sociales et morales ?
La limite du raisonnement du film, au-delà du débat sur la responsabilité, est de montrer des hommes riches violents : si la violence ne peut naître que de la pauvreté, pourquoi le riche est-il violent ? Sans vraiment le vouloir, Joker casse son propre ressort marxiste : il prouve lui-même que le mal peut naître en chacun de nous. Qui sait si le personnage principal ne serait pas devenu violent en étant riche aussi ? The Dark knight allait d'ailleurs davantage dans ce sens : on y voyait le joker brûler les montages de billets qu'il avait volés : l'argent ne changeait donc rien à la question de la criminalité.
Il fait souligner une thématique relativement peu traitée par la critique, qui mérite pourtant un petit détour. Pour établir sa logique suivant les mécanismes du déterminisme social, le personnage du futur Joker concentre la plupart des généralités connues sur les quartiers "défavorisés" (une expression qui contient tout un discours, bien sûr) : son talent est limité, bien trop pour en vivre, il est malade psychiquement, il est pauvre, les aides publiques s'éteignent et l'abandonnent à son sort, il n'a presque aucune qualification. Beaucoup de misère qui nous éloigne radicalement du génie du mal entrevu dans les autres films, on l'aura compris. Mais à tous ces malheurs, s'ajoute celui de la famille : le personnage ignore qui est son père, et le recherche. Son seul repère est sa mère, l'image de la précarité : seule, peu qualifiée aussi, malade. Ce manque criant de père devient une ironie tragique intéressante, puisque pendant la sortie du film, l'Assemblée débatait de l'ouverture de la PMA pour des couples de même sexe, créant ainsi des familles sans père. Or, sans militer pourtant, le film fait de cette recherche tragique un moteur essentiel de la radicalisation du fils.
À part ce sujet, Joker soutient donc un message bien clair : il est du camp rousseauiste, et même ce joker semble victime de bout en bout, malgré l'horreur de ses actes. Malgré l'évidence peu fine de ce message distillé pendant tout le film, on peut tout de même profiter d'une prestation - forçant encore le respect - de Joaquim Phoenix, un des seuls de taille à rentrer dans ce costume de joker qu'Heath Ledger avait rendu trop grand pour le commun des acteurs.
Proclamé chef-d'oeuvre par beaucoup, le film brille en tout cas par son dernier tiers, après un très long démarrage, où les événements tournent à l'escalade. On y retrouve, comme élément de société cruel, rendant les autres mauvais, l'excellent Robert de Niro, jamais annoncé dans la com' du film afin de garder la surprise. Phoenix face à De Niro : un régal pour cinéphiles, ou pour tout amateur de bon jeu ; c'est la nouvelle génération de géants devant celle qui lui a tout appris (saviez-vous que De Niro a lancé en 1993 un jeune pousse surdoué, le petit Leonardo Di Caprio ?).
Ce dernier tiers de spectacle, dont la tension glaçante va crescendo, trouve son paroxysme dans l'émeute, la foule furieuse et rebelle, la Révolution bien sûr ! cherchant elle aussi réparation contre le "système". Les similitudes avec les émeutes que l'on connaît depuis les années 2000 en France, auxquelles s'ajoutent les jacqueries des Gilets jaunes, frappent le spectateur français assez directement. Sans justifier ces heurts, l'histoire de ce Joker semble plutôt menacer : quand la tête est pourrie, le corps se meurt en grandes convulsions.