Le cinéma entre morale et puritanisme


Ces signalétiques sont une sorte de résurgence puritaine au milieu d'un grand n'importe quoi. Ces quatre soeurs (-10, -12, -16 et -18) sont attribuées pour la télévision par le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) et pour le cinéma par le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée) qui décident de façon arbitraire en-deçà de quel âge les images sont nocives.

Or, disons-le franchement : ils n'en savent rien. Il n'y a en effet pas un ado de 12 ans qui ressemble à un autre ado de 12 ans. Déjà, comme le disait mon prof de psychiatrie : « il y a deux races différentes : les hommes et les femmes. » N'en déplaise aux égalitaristes fou-fous, j'ai pu effectivement constater que le public féminin ne recevait pas du tout un film de la même façon que leurs homologues masculins. Disons-le même franchement : à 12 ans les garçons sont des gros bourrins.

 

C'est à cela qu'on reconnaît le puritanisme. Celui-ci est à n'en pas douter une forme de rigorisme moral caractérisé, dans le domaine de l'éducation, par une extrême rigueur sur les moyens d'épanouir nos chers boutonneux. En gros, ce qui est bon l'est pour tout le monde (vous le reconnaissez, l'impératif catégorique kantien ?), et donc ce qui est mauvais aussi. C'est pratique, reconnaissons-le. Il n'y a plus qu'à distribuer des « -10 » à la pelleteuse et hop, le tour est joué !

Il s'agit d'une maladie qui frappe dans les meilleurs milieux : ce film m'a marqué, je le voue aux Gémonies et condamne ceux qui le recommandent. Oui mais non ! Pourquoi l'autre recevrait-il nécessairement comme je l'ai reçu ?

 

Cette question dépasse même le cadre de la jeunesse. Il m'est souvenance d'un jour où notre professeur de psychiatrie (oui oui, c'était le même. Pas qu'il m'ait particulièrement marqué, je vous assure mais enfin, sur ce coup là il était vraiment intéressant !) nous a recommandé de visionner le film Requiem for a dream, de Darren Aronofsky (2001). D'ordinaire je ne recommande pas ce film hormis, ce qui m'accorde avec lui, à des professionnels de l'addiction comme les criminologues en herbe que nous étions. Ce qui est bon pour les uns ne l'est pas forcément pour les autres...

Précisons d'ailleurs, pour rigoler jaune, que ce film était interdit par le CNC au moins de 12 ans. C'est ainsi que les solutions extrêmes finissent par mordre ceux-là même qui y recourent. Quoi de plus naturel ? Le parent montre ce film à son ado de 13 ans, et PEUT ainsi le scandaliser profondément en parfaite bonne conscience : c'est le CNC qui l'a dit !

Voilà comment des jeunes finissent traumatisés (j'ai des exemples précis en tête !) ou affaiblis. Comme on est en France, dévastée par une idéologie qui nous rend un peu con-cons sur les bords, on a plus tendance à l'admettre pour la violence que pour l'érotisme, mais en réalité c'est exactement la même chose. Comment un adolescent en construction affective va-t-il appréhender un érotisme captatif, voire violent ?

 

 

Y'a t-il, donc, une alternative à cette conception puritaine ? Ne peut-on rien recommander ou désapprouver ?

 

Maintenant que j'ai fustigé les recommandations et interdictions, je peux relativiser. Non que le problème de fond soit résolu, mais il serait malhonnête de ma part de ne montrer que les œillères du CSA ou du CNC. Dans une brochure de ce dernier par exemple, publiée en 2007 et intitulée La Commission de classification des oeuvres cinématographiques, il est clairement mentionné qu'« au-delà du classement, les adultes qui accompagnent des mineurs dans les salles de cinéma sont invités à bien s’informer sur les films et à se forger une opinion personnelle. »

Le fait est que personne ne le fait et que je vois chaque mercredi des petits aller se faire déglinguer la tête, mais enfin, c'est déjà ça !

 

C'est d'ailleurs exactement la position que nous défendons à L'écran. Au risque de radoter (la sénilité nous guette tous, alors ne me jetez pas la pierre !), je rappelle donc que L'écran met un point d'honneur à informer les éducateurs en profondeur, sur l'aspect formel du film (violence, érotisme, etc.), mais également sur sa dimension éthique (message véhiculé, et moyens utilisés).

Mais curieusement (nous vivons une époque formidable !), il se trouve quelques gogos pour taxer L'écran de... puritanisme ! Vous ne trouvez pas ça cocasse ? Moi si, et il ne me reste plus qu'à montrer que ce sont ces braves gens-là qui ouvrent la porte au puritanisme.

 

Car en réalité, il existe en France et dans le monde une conception viciée qui consiste à prétendre que tout le monde devrait penser la même chose des films. Pour commencer cela laisse assez peu de place à la créativité, mais surtout cela revient à imposer aux autres sa conception de la moralité.

Or il est une différence fondamentale entre amoral et immoral.

Prenons l'exemple de ce que les cotations de L'écran signalent sous le vocable « baiser sobre. » Il est des personnes qui se gaussent en se poussant du coude lorsqu'ils voient que les « baisers Walt Disney » sont signalés.

Or dans la conception que je viens d'exposer, c'est tout à fait normal. Les cotations permettent à un éducateur de se faire une opinion quelque soit son niveau d'exigence. Personnellement, ce genre de baiser ne me choque pas, mais mon métier est de faire en sorte que les parents qui ne veulent pas de baiser dans un film (pour une raison qui ne regarde qu'eux) puissent avoir le choix. Ceux qui refusent cela sont en réalité des personnes qui confondent la morale spéculative avec la morale pratique. Ils veulent qu'il ne soit jamais mauvais en aucune circonstance de montrer cela à un enfant. Ils font sans le savoir de la morale kantienne en voulant imposer leurs exigences à tous, et se bidonnent en méprisant ceux qui se choquent d'un rien. Mais ceux-là ont, eux aussi, des exigences que d'autres n'auront pas, et voilà tout le monde qui rit de tout le monde, qui se jaugent et se condamnent.

Ces gens sont généralement assez réceptifs aux signalétiques, c'est-à-dire au puritanisme, pourvu bien sûr que celle-ci soit en accord avec leur niveau d'exigence qui, de plus, varie avec le temps !

 

Cela veut-il dire, pour finir, que tout est acceptable si le public est averti ?

On touche cette fois au cœur de la philosophie morale. On se penche sur le vrai problème de savoir s'il existe des choses intrinsèquement perverses (c'est-à-dire mauvaises en tout et pour tout) ou si tout est le jeu des circonstances.

 

Voilà une question qui nous faudra résoudre un jour, mais pour ce faire, il faudra en envisager d'autres auparavant !..


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