007 Spectre

Film : 007 Spectre (2015)

Réalisateur : Sam Mendes

Acteurs : Daniel Craig (James Bond), Christoph Waltz (Franz Oberhauser), Léa Seydoux (Madeleine Swann), Ben Whishaw (Q)

Durée : 02:30:00


Au sujet du dernier James Bond, les critiques s’éveillent, et se contredisent merveilleusement. En se passant de Télérama, qui place le dernier Mission Impossible au-dessus (probablement un pigiste stagiaire n’ayant pas vu le premier, et qui, par conséquent, ne saisit pas la baisse de niveau), on peut lire chez le JDD que la première scène est un « plan-séquence ahurissant », laissant le spectateur sur sa faim, et que chez GQ, il s’agit d’« une ouverture ratée ». Dans la catégorie critique schizophrène, notons tout de même Télérama, finalement, qui affiche un « pour » et un « contre », l’un disant le contraire de l’autre, sans complexe, dans le même article (ils ne sont certes pas les seuls à pratiquer cet exercice absurde, mais cela n’excuse rien). Lorsque Daniel Craig est perçu comme « un bad guy de pacotille » dans les lignes de l’Obs, on y voit « une joie tenant pour beaucoup à la sobriété souveraine avec laquelle il exécute les gestes de l'espion gentleman » dans GQ. Leurs notations finales sont très proches, souvent identiques. Allez comprendre. Allez surtout imaginer le calumet qu’a dû fumer le type du Parisien, du reste plutôt élogieux, quand il voit dans le film « une Aston Martin volante » (il y a en effet un modèle d’Aston qui s’appelle « Volante », mais ce n’est pas celle de Spectre, et puis qui comprendrait la phrase dans ce sens-là de toute façon ?). C’est dire la concentration avec laquelle ils semblent gratter leurs papiers.

Il me faut tenter d’expliquer le phénomène, assez peu suivi par le public (qui apprécie plus ce nouvel opus que la presse). « La limite de Spectre, s’il faut chercher la petite bête, c’est d’arriver après Skyfall », pense le journal gratuit Métro. Dans cette logique, pourquoi ne pas attribuer les qualités de Skyfall au simple contraste avec la médiocrité de son prédécesseur, Quantum of Solace ?
En fait, la quasi-totalité des reproches faits au film vient de la comparaison avec l’épisode précédent.
Moins bonne photo dit-on. Possible, surtout si l’on n’aime guère le 35 mm. Certains préfèrent la netteté, d’autres l’aspect chic de cette vieille technologie (Interstellar avait aussi quelques scènes en 35 mm). Bon, avouons-le, certains éclairages semblent quelque peu aléatoires. Mais d’autres sont superbes. À nuancer, donc.
Moins bon méchant : il est vrai que Christoph Waltz aurait gagné à avoir plus de scènes, tout en se faisant plus inaccessible à Bond. Évidemment, certains pleurent Javier Bardem, de Skyfall. De toutes façons, ceux-là mêmes auraient reproché à Waltz de vouloir faire du Bardem, s’il avait essayé ! L’Espagnol, pourtant, avait piqué les trois quarts du personnage au Joker, incarné par Heath Ledger, dans la dernière trilogie Batman. Et ne parlons pas de la scène finale de Skyfall (que je trouve magistrale, du reste, n’allez pas croire que je suis complètement enragé), où Bardem débarque en hélico accompagné d’une musique crachée par l’appareil. Merci Apocalypse Now, pour l’idée… Mais bon, comme c’était un méchant moderne parce qu’assez ambigu sexuellement parlant, les papiers français lui ont largement pardonné. Javier Bardem avait même fait de l’ombre à Daniel Craig, comme Heath Ledger à Christian Bale. Vous comprendrez qu’on se réjouit de voir à nouveau la réalisation tourner autour du meilleur des agents britanniques.
Moins fouillé psychologiquement, aussi. Direct Matin, autre feuille gratuite, explique : « Après le coup d’éclat de Skyfall, au cours duquel le passé de James avait été exploré, "007" Spectre a du mal à lui tenir la dragée haute ». Dans Spectre, Bond rencontre un membre ignoré de sa famille, et pas n’importe lequel. Manifestement, niveau exploration du passé du héros, c’est insuffisant. À moins que ce journaliste ait aussi vu des Aston Martin volantes…
Côté psychologie, on regrette l’absence du pathos final de Skyfall. Mais après la perte de deux personnages très proches de l’espion dans deux des trois derniers opus, peut-on se permettre d’en tuer un de plus ? Faut-il absolument un enterrement tragique à la fin de chaque James Bond, désormais ? C’est pourtant cet effet de « recyclage » qui n’est pas passé chez ces critiques, dans Spectre.
En effet, le film s’évertue à réunir d’un coup ce que les gens ont préféré dans presque toute la saga, du premier au dernier. Les références aux anciens sont très nombreuses ; n’ayez crainte, le fan-service demeure bien intégré à l’histoire. Alors on met sur Spectre l’étiquette de « classique », façon de le déclarer inférieur au « moderne » Skyfall. C’est n’avoir rien compris de Skyfall, qui, parsemé de nouveautés, était essentiellement une démarche de retour aux sources, aux vieux Bond, au roman même de Fleming. Spectre vient assumer totalement ce retour, en reprenant la marche du précédent jusqu’au bout de la logique. Ainsi, les bases secrètes, les petits gadgets (juste quelques-uns, rien à voir avec l’époque pré-Casino Royale), les répliques bien senties, l’exotisme des lieux et les méchants mégalos sont de retour, pour de bon. Soit on n’aime que la « modernité » des ennemis bisexuels et d’un James Bond qui ne sait plus tirer, soit on aime aussi que celui-ci enchaîne les conquêtes féminines, les règlements de compte maîtrisés, l’originel, en un mot (et pourtant imparfait, pas invincible, en cohérence avec le 007 de Skyfall).
Manifestement, les grognards de Télérama ou du Monde ont vu James Bond contre Docteur No (le tout premier) dans le même état que l’amateur de voitures volantes, et se targuent de le connaître, sans s’en souvenir. Ce Spectre partage un nombre immense de similitudes avec cette première aventure. Pour en finir avec la déception d’une presse qui attendait probablement que Bond finisse enfin par embrasser un ennemi (en attendant Idris Elba pour l’incarner, histoire de se laisser docilement guider par une idéologie trahissant radicalement le bouquin), notons que les mêmes journaux couvraient de louanges Meurs un autre jour, qui – petit rappel – faillit enterrer la saga dans son auto-caricature, violemment disqualifiée par les trois Jason Bourne (La Mémoire dans la peau & cie) dans les années 2000…

Finissons donc notre version des faits, après en avoir esquissé les grandes lignes, concernant l’esprit du film en effet qualifiable de « classique ». Le but est clairement de montrer le meilleur de Bond. 007 est donc le même que lors du dernier film, avec un peu plus d’entraînement. Niveau spectacle, on en a pour son argent, cela plaira au grand public. Quant aux irréductibles fans, ils peuvent boire du petit lait à chaque clin d’œil aux anciens épisodes, et profiter pleinement de la présence classe et virile d’un James Bond plus à son avantage qu’autrefois.
Celui-ci donne un exemple de courage permanent, bien sûr, et se prend même à devenir romantique, après une dernière conquête-consommation de plus (Monica Bellucci, dont la presse reproche le peu de scènes, et qu’on ne voit pourtant pas moins que la belle Caterina Murino dans Casino Royale – mais là, pas de problème, probablement parce qu’on n’attendait plus rien de la saga après Meurs un autre jour, justement…). On retrouve quelque peu l’agent amoureux de l’aventure contre Le Chiffre, une romance très old school, celle de nombreux et bons souvenirs de cinéma.

Ce qui peut frustrer devant Spectre, est probablement le fait que le mélange entre ADN « Bondien » et idées novatrices se fait un peu inégalement : plus on avance, plus les nouveautés s’effacent au profit des anciennetés, connues et donc prévisibles (suspense à la bombe, par exemple). Autant Sam Mendes est inspiré comme jamais au début, autant celui-ci cède à la facilité d’un suspense ultra-connu vers la fin. De plus, au fil du métrage, le réalisateur met de moins en moins en valeur les éléments imaginatifs du film : le costume mexicain de fête des morts que porte Bond à l’ouverture est peut-être déjà culte, lorsque l’imaginarium tournant autour de l’organisation terroriste (Spectre), sur le thème tentaculaire de la pieuvre, est peu développé. Le décor lié à ce réseau est aussi bien pensé que peu exposé aux yeux du spectateur. Et on le regrette, surtout qu’honnêtement, au-delà des horizons singuliers, les trouvailles fantasques de Spectre font bien plus voyager que celles de Skyfall, puisqu’il faut absolument comparer les deux. Et pourtant, j’aime profondément l’Écosse…

Qui attendait un drame, n’aura qu’à s’ennuyer devant Quantum of Solace. Qui attendait un James Bond (très) vulnérable, regardera (l’excellent) Skyfall. Qui regrette le sérieux des films d’espionnage ronflera devant (l’excellent aussi, mais si lent) La Taupe, ou Un homme très recherché. Le très idéologiquement neutre Elle, pour finir en beauté, peste : « pour un film d’espionnage intelligent et moderne, il faudra repasser ». Quel hurluberlu peut désirer voir Bond courir après Mohamed Merah, sérieusement ?
Qui attendait donc un James Bond, complet, pur beurre, ne sera pas déçu. De l’humour, des cascades, des bagnoles, du savoir-faire, de la passion, du spectacle et de l’exotisme, voilà les ingrédients historiques qui ont forgé la saga, tous réunis dans ce Spectre. La boucle Craig, même si l’acteur devrait rempiler pour un cinquième film, semble bouclée en feu d’artifice : le sombre et sérieux Casino Royale (oublions Quantum, hein), le « moderne » et théâtral Skyfall, et le « classique » et spectaculaire Spectre se complètent magnifiquement. Dommage, encore une fois, que l’inspiration mexicaine n’ait pas vraiment d’équivalent ensuite. Mais le fan exigeant qui vous parle n’a pas pour autant boudé son plaisir. Dans tous les cas, « James Bond reviendra » !