'71

Film : '71 (2013)

Réalisateur : Yann Demange

Acteurs : Jack O'Connell (II) (Gary Hook), Paul Anderson (III) (Sergent Leslie), Richard Dormer (Eamon), Sean Harris (Capitaine Sandy Browning)

Durée : 01:39:00


71 nous plonge dans l’enfer de la confrontation Angleterre/Irlande du Nord, animée par une vraie petite guerre de religions, catholiques nationalistes contre protestants collabos. Pardon, fidèles à la Reine … Bienvenue à Belfast.

À travers le cauchemar vécu par un militaire lâché par son groupe pendant une émeute hors de contrôle, le film pose des questions, qui au vu de la relative légitimité des conflits modernes, font mal : être militaire, est-ce comme autrefois, le sacrifice de sa vie pour la patrie, ou depuis peu (à la mesure de l’Histoire bien sûr), le service des intérêts particuliers des gens de pouvoir ?
Cette question, qui fait souvent dire « ce n’est pas notre guerre », notamment lorsque l’on parle d’intervenir en Syrie, se retrouve dans ’71 : pour qui un soldat se bat-il ?
Sentir que l’on sert une cause juste réchauffe évidemment le cœur du guerrier. Mais lorsque les événements tournent en guerre des gangs, des communautés, dans des affrontements qui ressemblent à tout sauf à ce qu’on a connu de la guerre auparavant … on se sent comme un pion manipulé pour des motifs troubles.

Au-delà de la légitimité des conflits, il y a aussi l’instinct de conservation. « Quand mes soldats commenceront à réfléchir, aucun d’eux ne voudra rester dans les rangs » disait Frédéric II … On ressort assez écœuré du bourbier où ces hommes sont envoyés sans pitié, et d’où ils reviennent sans remerciements, parfois avec une ou deux médailles en carton …
Les Américains ont fait entendre leur colère, quant à cette ingratitude, au cinéma, à travers la vague du Nouvel Hollywood, Apocalypse Now, New-York, New-York, Voyage au bout de l’enfer et même Rambo ! Voici un exemple désormais européen, puisque c’est le réalisateur Yann Demange, Français expatrié en Angleterre, qui tient la baguette.

Son premier film est d’autant plus violent qu’il sait donner de la valeur aux vies de ses personnages, tous travaillés, particuliers, typés. Leur mort devient un vrai choc, dans le sang, les tirs ou les attentats à la bombe … La secousse est réelle, même si l’histoire est très locale, déroulée dans une petite partie de Belfast.
La démence des mouvements de foule, et l’angoisse des chasses à l’homme sont saisissantes. L’image est soignée, la direction photo rougeoyante, comme le feu de la guerre ; l’obscurité est également bien utilisée, pour stimuler l’angoisse. Balles, coups, explosions sont craints par le spectateur comme s’il y était. Le jeu du casting aux gueules atypiques (moustachus irlandais fantastiques, avec un Jack O’Connell convaincant) est impeccable : des têtes de vraies personnes, de la vraie vie. Le réalisme est au rendez-vous, l’immersion aussi.

Rythmé, sous tension permanente, électrique en somme, ’71 est un impressionnant premier long métrage. Renvoyant les deux camps dos à dos sans prendre parti, ’71 interpelle remarquablement sur les ubuesques petites guerres contemporaines, sur la place du soldat dans l’action, cherchant à servir la justice, et ne trouvant de bien nulle part, ni en face, ni dans sa propre tranchée.