7h58, ce samedi-là

Film : 7h58, ce samedi-là (2006)

Réalisateur : Sidney Lumet

Acteurs : Philip Seymour Hoffman (Andy), Ethan Hawke (Hank), Albert Finney (Charles)…

Durée : 02:00:00


Sorti aux États-Unis sous le titre original « May you be in heaven half an hour... before the devil knows you're dead » (« Puisses-tu atteindre le paradis une demi-heure avant que le diable n'apprenne ta mort »), 7h 58 ce samedi-là est le quarantième film de Sidney Lumet, 84 ans et toujours aussi vif et acéré. Le réalisateur reconnu de Serpico (1973) et du Prince de New-York (1981) signe un film violent relatant l’effondrement apocalyptique d’une famille de banlieue. Si l’histoire est simple, absurde même, le réalisateur parvient à en tirer profit pour distiller une ambiance lourde, une tension de plus en plus pressante au fur et à mesure que la situation se fait désespérée pour les deux fils prodigues.
Le film est construit sur la base d’une narration en flashback, qui, si elle demeure intéressante car alternant les points de vue des personnages, montre ses limites en lassant rapidement (certaines séquences sont ainsi revisitées plusieurs fois, seul change l’angle de vision) et en laissant se dérouler une intrigue dont on sait déjà qu’elle s’achèvera de façon dramatique. S’impose alors un rythme languissant déchiré par quelques scènes brèves et violentes (meurtres, disputes familiales), filmées sans artifice aucun (Sydney Lumet tient à s’accommoder de la lumière naturelle). Il en ressort une sorte de fatalisme mélancolique, impression encore renforcée par l’absence quasi-totale de musique.
7h 58 ce samedi-là s’appuie sur un casting trois étoiles : le récemment oscarisé Philip Seymour Hoffman (pour son interprétation du journaliste écrivain Truman Capote), Ethan Hawk, saisissant, et Albert Finney, magistral dans son rôle de mari déchiré par le chagrin et la vengeance. Il est cependant regrettable que la supériorité de Hoffman sur Hawk soit si ostensible à l’écran, au point de forcer le trait concernant la domination du frère aîné, Andy, sur son cadet Hank. Le premier est un personnage aussi séduisant que répugnant moralement ; le second est davantage au désarroi, lâche et insignifiant, caractères qui se manifestent surtout par de trop nombreux tics, qui chargent inutilement le personnage jusqu’à le rendre agaçant.
S’appuyant sur une mise en scène réaliste, sans fioriture, à la fois lancinante et brutale, Sidney Lumet livre un film dérangeant, tant par les références qu’il cultive que pour les questions qui en découlent.

« On est tous des monstres en puissance ». Ces propos du réalisateur soulignent son intérêt pour l’authenticité et la peinture des milieux sociaux, de façon à montrer la brutalité et l’égoïsme des hommes. Dans son film, on retrouve tout ce qui fit la bassesse et la faiblesse de l’homme : cupidité, trahison, vengeance…le tout filmé avec en fil d’Ariane la peur de ses semblables : peur des deux frères acculés au désastre, peur de Hank vis-à-vis de son aîné, peur de la colère du père… et panique de tous ces personnages pressés par la fatalité. Ce noir tableau est mis en scène avec une froide ironie : on sait parfaitement où va mener la course éperdue des frères coupables, qui s’acharnent à faire les pires choix chaque fois que se présentent diverses alternatives.

Sidney Lumet critique à la fois une société déracinée, à l’image de cette famille new-yorkaise partie s’exiler en banlieue, dont les enfants n’hésitent pas à flouer les parents, et l’illusion du rêve américain, avec son confort précaire et ses bas instincts de richesse facile et d’individualisme. Le tout se mêle de manière sordide : le film s’ouvre sur une scène érotique qui donne le la, l’argent, la sensualité, bref les penchants les plus animaux de l’homme, tout cela est évoqué de façon allégorique – prenant tout son sens par la suite.
7h 58 est donc un de ces films noirs qui incarnent une tendance marginale mais intéressante du cinéma américain : il condamne les dérives de la société de consommation à l’américaine, la peur et l’égoïsme rampant. Mais il pêche aussi en ce qu’il se complait dans des démonstrations malsaines de son propos (érotisme, références bibliques mal troussées – notamment les fils prodigues et le châtiment vengeur du père…). S’il a sans nul doute le mérite de souligner les failles d’une société sans foi ni loi, il n’apporte aucune réponse et se satisfait d’un propos réactionnaire, pessimiste mais peu constructif.

*Citations tirées des notes de production.

Stéphane JOURDAIN