Adieu

Film : Adieu (2003)

Réalisateur : Arnaud des Pallières

Acteurs : Olivier Gourmet (le troisième fils), Laurent Lucas (le second fils), Michael Lonsdale (le père), Aurore Clément (l'institutrice), Axel Bogousslavsky (le premier fils), Mohamed Rouabhi (Ismaël /...

Durée : 02:04:00


Malgré sa rigueur et l’immense travail qui précède chacun de ses films, Arnaud des Pallières reste un cinéaste impulsif, en ce sens qu’il met dans son œuvre tout ce qui l’a
le plus marqué, et qu’il n’y met que cela, un peu comme si Godard avait épousé Bresson. Il avoue avoir gardé un souvenir halluciné de sa lecture de Melville et de Dostoïevski, et ces influences se retrouvent dans le film. C’est ainsi qu’Ismaël reprend presque mot pour mot le récit de l’aventure de Jonas par le pasteur du Nantucket dans Moby Dick (où Melville donnait au passage biblique un sens politique), et que le vieil agriculteur, avec son mélange de dureté et de sensibilité fait penser à un personnage des Frères Karamazov.

Le film s’ouvre sur une chaîne de montage dans une usine de camion. Tout le talent d’Arnaud des Pallières, l’un des meilleurs cinéastes français, et de sa dream team (le chef opérateur Julien Hirsch, le musicien Martin Wheeler et l’ingénieur du son Jean-Pierre Duret) éclate dans cette séquence. Les images sont superbes, trop immaculées pour être humaines. Aux sons répétitifs de l’usine vient s’ajouter, s’encastrer serait plus précis, la musique, qui souligne
encore le caractère déshumanisé de la scène. Les plans sont brefs, soignés. Aucun ouvrier n’apparaît dans le plan. L’allusion à Margueritte Duras est facile et le symbole d’une société où la mécanique ne laisse plus de place à l’homme est un peu trop évident.

Pourtant, quand on connaît l’importance qu’Arnaud des Pallières accorde à l’ouverture de ses films, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a peut-être plus que cela dans cette scène. Non pas simplement un hommage au montage cinématographique comme le pense Emmanuel Burdeau (Cahiers du cinéma n°593) mais, de façon plus générale, une image de la façon dont on raconte les histoires. Il faut en effet rapprocher cette scène du texte que lit l’institutrice (Aurore Clement) à ses élèves, sur la tradition de narrer des histoires autour d’un feu. Ainsi, de même que le spectateur n’identifiera les pièces métalliques montés sous ses yeux comme les morceau d’un camion qu’une fois que celui-ci sera terminé, et comprendra ainsi la
cohérence des opérations qu’il a vu se dérouler, de même, c’est une fois que le film sera achevé que l’on saisira sa structure et son but.

Malheureusement, et il est rare que nous soyons aussi sincères en écrivant ce mot dans nos critiques, malheureusement donc, Adieu ne tient pas les belles promesses de son ouverture. De cohérence, le film n’en acquiert guère en cours de route comme semblait l’espérer son réalisateur. La juxtaposition des deux histoires reste artificielle, et les explications qu’Arnaud des Pallières donne dans le dossier de presse (montrer que les sans papier vivent des drames pendant que la vie des français suit son cours habituel) ne convainquent pas vraiment. Cet échec est d’autant plus regrettable que le cinéma français nous a déjà offert des films fresques où l’enchevêtrement d’histoires sans réels rapports permettait le développement d’un discours très complexe (voir par exemple Code Inconnu de Michael Haneke.
On ne peut cependant
nier qu’en passant du documentaire à la fiction, Arnaud des Palières ait conservé sa puissance poétique tant chacune des deux histoires est belle et profonde. Il est peu de réalisateurs qui ne se réfugient pas derrière les protections d’un certain académisme, de la loi des genres, où même de leur propre style. Il en est peu qui osent comme Arnaud des Pallières briser le carcan des moules stéréotypés, et prendre le risque du lyrisme.

Mais à force de trop compter sur le spectateur pour faire le film à sa place, Arnaud des Palllières va dans le fossé, si bien que certaines scènes, à force de longueur et de vide narratif, sont (nous répugnons à l’écrire) d’un ennui mortel.

Comme nous l’avons déjà écrit plus haut, l’échec du film l’empêche d’avoir une thématique aussi riche qu’on aurait put le souhaiter. C’est ainsi que toute la partie d’Ismaël, malgré sa poésie n’est pas d’une grande richesse. Contrairement à ce que semble vouloir faire croire Arnaud
des Pallières, le film n’a pas grand chose de politique, et la sympathie ou la pitié que l’on éprouve pour Ismaël ne constitue pas forcément une revendication.

A l’opposé, c’est avec l’histoire de cette famille d’agriculteur qu’Arnaud des Pallières donne sa vraie mesure. C’est d’abord la révolte contre la mort, considérée comme un scandale inacceptable. C’est parce qu’il ne peut pas la comprendre que le père sombre dans une léthargie totale. Avec la révolte viennent aussi les questions éternelles et l’ardent besoin de certitude. « Dieu existe-il? », telle est la question que les frères du défunt posent au curé avec angoisse. Il est clair qu’il ne s’agit pas pour eux d’un jeu, qu’ils ne s’amusent pas à mettre en pratique le mot d’Hugo : « philosophons un peu, ça fait digérer ». Le prêtre répond à leur question en développant les arguments classiques en faveur de l’existence de Dieu. Mais Malgré leurs justesses et leur vérité, la stérilité de ces preuves le frappe cruellement. Les
deux frères attendaient autre chose. La seule certitude qu’ils emmènent, c’est celle de leurs douleurs. Le prêtre lui souffrira de douter de sa foi.

Ce serait faire preuve d’une bien ridicule petitesse de vue que de condamner moralement le film parce qu’il n’arrive pas à répondre à la question de l’existence de Dieu ou parce qu’il montre un prêtre doutant de sa foi. Le mérite d’Arnaud des Pallières est de poser de façon anxieuse les questions spirituelles, sans jamais tomber dans un prosélytisme facile. Le film n’affirme pas l’existence de Dieu ? Mais la question court tout au long de la pellicule, et il est déjà remarquable de ne pas l’avoir viciée ou écartée. Les spectateurs ont besoin de personnages forts, de phares à qui s’identifier, et donc il ne faut pas montrer un prêtre doutant ? C’est sûr qu'un tel film nous change de Maurice Cloche ! En fait le doute est l’expérience quotidienne du catholique vivant sa foi. Laissons les gourous être des rocs de certitude, et savourons
ce très beau personnage de prêtre, peut-être l’un des plus beau du cinéma.

A signaler une brève scène érotique.

Benoît d'ANDRE