All Is Lost

Film : All Is Lost (2013)

Réalisateur : J. C. Chandor

Acteurs : Robert Redford (Notre homme)

Durée : 01:46:00


Seul sur son voilier, un homme essuie vents et tempêtes de l'Océan Indien (il vaut mieux aimer la mer, me direz-vous, pour voir cela, et vous avez raison). Est-ce pour une épreuve ? Un record ? Un pari ? Bien mieux que cela. D'après ses dires, un rachat. Ce sursaut de l'homme âgé, qui se retourne sur le bord de sa tombe et se demande ce qu'il a fait de sa vie, et s'aperçoit dans une lucidité nouvelle qu'il meurt comme une bête, et non comme un homme de bien, le fait partir au loin.

Cette aventure extrêmement périlleuse est donc l'obstacle qu'il se dresse lui-même pour se révéler dans la souffrance, pour devenir ce qu'il est dans l'adversité. Sans le citer, c'est bien le thème de la pénitence qui est mis en valeur. Dans Mission, De Niro traînait un filet rempli de ses armes de trafiquant d'indigènes pour se racheter, pour se faire pardonner. Ici, Robert Redford affronte la mer, vue sous un angle ancien : certes, il se sert d'un matériel contemporain bien sûr, ce ne sont pas les conditions des galères ou des cales de vaisseaux de ligne du XVIIe siècle, mais le fait de se mesurer à cet océan immense, capricieux et parfois cruel absolument seul demeure un défi colossal.

Le film est extrêmement silencieux. Presque dommage de ne pas plus entendre le maître acteur Redford, qui compose une sorte de loup de mer réaliste, courageux, mais limité, en force physique par exemple, et à travers quelques erreurs de navigation qui lui posent des problèmes supplémentaires ; mais surtout, faux détail insignifiant, donnant tout son réalisme au film : il ne fait rien de façon très fluide et parfaite, comme on le voit par exemple dans les thrillers. Allumer une allumette, rarement une réussite du premier coup ; se balader sur le bateau à cet âge, chose peu évidente ! On sent que ce n'est plus aussi simple pour lui : mouvements rouillés, fatigués … Et évidemment, une marque de la souffrance sur le visage qui va crescendo tout au long du film ; en un mot, une prestation authentique, de haut rang, qui contribue à cette magie qu'a le cinéma de vous donner l'impression, au générique, que vous venez d'apprendre une vraie histoire, voire même de la vivre.

L'émotion est en effet poussée dans des instants tendus, qui succèdent toujours à des calmes profonds, parfois même contemplatifs, le rythme de vagues par excellence. Notre marin est l'homme aux vertus ordinaires, qui se dépasse héroïquement face à une grande contrainte. Son but est le rachat, sa force est l'espérance. Comme pour montrer une providence trop étonnante pour être hasardeuse, c'est souvent lorsque le désespoir l'envahit qu'arrive le secours miraculeux.

Plongés dans l'étendue magnifique et menaçante, on sort de là frappé par un final poignant, avec cette sensation de venir non pas d'une salle obscure, mais de l'Océan Indien même … La France sortait il y a peu En Solitaire, film généreusement porté par François Cluzet, mais fort mal réalisé. Adieu, encore une fois pour le 7e Art, le chauvinisme national : Redford et l'expérience américaine donnent une leçon de savoir-faire dans un film fort et toujours dans la juste mesure.

Malheureusement, sa promotion n'est pas à la hauteur, et sans doute, All is Lost sombrera injustement dans l'oubli comme tant d'autres chefs-d'oeuvres … Car sans exagérer, ce que Gravity était à l'espace, All is Lost l'est à la mer. Moins virtuose certes, mais plus subtil, il montre à sa manière le courage, la force de la volonté de vivre, en plaçant l'homme en péril, l'Ulysse moderne, dans la mer aussi dangereuse que mystérieuse. Une aventure émouvante et admirable.