Amour

Film : Amour (2012)

Réalisateur : Michael Haneke

Acteurs : Jean-Louis Trintignant (Georges), Emmanuelle Riva (Anne), Isabelle Huppert (Eva), Alexandre Tharaud (Alexandre)

Durée : 01:27:00


Le film commence sur un contre-champ. L'intérêt n'est pas simplement de voir, mais de voir ceux qui voient, de remarquer, debout au milieu d'une foule assise au théâtre, les deux destinées que le spectateur va suivre pendant 1h27.

Le concert commence, puis finit, mais sa musique est devenue extra-diégétique. On suit Georges et Anne, deux personnes âgées, assis dans le bus jusqu'à leur appartement. Ils sont normaux pour de vrai, ceux -là  : ils tremblent de voir que leur serrure a été forcée, ils n'ont pas de futur et sourient au passé...

Puis le drame se déclenche. Madame a des absences, début d'une dégénérescence pénible qui finira en paralysie.

 

Le film est si bien fait qu'il retranscrit tant le réalisme de la situation que les longueurs abyssales d'une vie ennuyeuse. La caméra s'attarde et les acteurs, excellents au demeurant, se figent puis transmettent quelques mous d'ennuis. Tout cela est aussi lent qu'une vie de retraité.

Ce n'est pas beau, une femme élégante qui glisse peu à peu dans le cauchemar. On sent que les moindres détails de l'horreur ont été minutieusement ciselés, et cette noirceur recueillie sert de support à un film qui peut, dès lors, se parer d'idéologie.

 

Car cette situation normale est baignée de lumière noire. Ce cinéma-là ne sublime pas, il décrit. Au travers de la pellicule, apparaît, presque subliminale, la désespérance... Georges souffre mais ce qui est frappant, c'est l'attitude d'Anne, qui ne supporte pas qu'on la voie ainsi, qui ne veut pas en parler, qui refuse d'accepter sa situation. Peu à peu elle s'aigrit, puis raidit sa volonté. Sous prétexte de ne pas imposer ce spectacle à ses proches, c'est elle-même qu'elle protège. Elle n'accepte pas d'être âgée, d'être impotente, d'être l'ombre d'elle-même. Elle se révolte contre la nature. Il faudrait que la mort n'existe pas, que la maladie soit joyeuse.

 

Ce doit être ça, vouloir mourir dans la « dignité ». Apothéose de l'orgueil. La vieillesse remet les comptes à zéro. Riches et pauvres se côtoient dans la souffrance parce que la nature n'épargne personne. Elle rappelle à l'ordre celui qui croyait être quelqu'un. Est-il honteux d'être corruptible ? Est-il indigne d'être faible ? La dignité n'est-elle pas d'endurer avec sagesse, de montrer aux jeunes générations que c'est l'humilité qui prépare à endurer la sortie ? Le panache n'est-il pas d'enseigner cette dernière leçon magistrale avant le coup de sifflet final ?

Je me rappelle de ce qu'on disait des mourants avec la fierté de jadis : « il est resté digne jusqu'à la fin... »

 

Mais ici, rien de tel. Georges souffre, souffre de voir Anne souffrir, et la tue... Ni plus, ni moins. Il s'occupe bien d'elle mais n'a pas cette persévérance qui couronne les âges, et craque. Il étouffe sa femme sous un oreiller. Drame d'autant plus horrible qu'il est rendu compréhensible. Le film a gagné. La clé de l'amour est la mort. Pour que ces situations cessent, l’homicide est la seule issue possible, tant il est trop tard pour être courageux. Et le spectateur n'a plus qu'à tirer la conclusion fatale : mourir dans la « dignité » doit être fait dans la « dignité ». Dans la réalité de nos hôpitaux, préfigurée par le film, la piqûre viendra utilement remplacer l'oreiller. Homicide silencieux, moins sale, indolore...

 

Est-ce pour sa réalisation ou pour son message que ce film fut couronné de la Palme d'or par Cannes ?

Il est en tout cas un fait connu : le festival est peuplé de gens qui se croient quelqu'un, et qui ont fait de l'apparence plus qu'un métier : une sagesse... suicidaire...