Angel

Film : Angel (2007)

Réalisateur : François Ozon

Acteurs : Romola Garai (Angel Deverell), Sam Neill (Théo), Charlotte Rampling (Hermione), Michael Fassenberg (Esmé), Lucy Russell (Nora)… .

Durée : 02:14:00



Adapté du roman d’Elizabeth Taylor, Angel est un film osé en ce qu’il est réalisé par un Français, François Ozon, a été tourné en anglais et fait le portrait de l’Angleterre des années 1900 , tant au niveau des costumes, des décors, qu’au niveau du langage en vigueur à l’époque. Retour à une époque passée et peu connue, l’Angleterre edwardienne, le long-métrage tient tout à la fois du drame et de la comédie
satirique : l’héroïne est en effet un être complexe, agaçant et émouvant (à son propos François Ozon dit  avoir pensé à Scarlett O’hara dans Autant en emporte le vent), s’efforçant de se bâtir un monde selon ses rêves, mais en opposition radicale avec son temps.

Le rôle principal a été confié à une jeune anglaise inconnue du public, Romola Garai. Séduit par sa fraîcheur et son extrême investissement, le réalisateur l’a choisie aussi pour sa jeunesse, qui lui permettait d’incarner Angel de l’adolescence à l’âge adulte. L’actrice correspondait au portrait aux multiples facettes qu’Ozon entendait livrer d’Angel Deverell : en effet le film repose tout entier sur ce personnage hors-normes, anticonformiste et d’une imagination sans borne qui détonne à une époque largement fonctionnaliste.

Le romantisme exacerbé d’Angel se traduit par un état de rêve éveillé, d’idéalisme qui la conduit à se moquer de tout et de tous, émerveillée par les trésors de sa propre imagination et par les
possibilités infinies (croit-elle) que lui offre la reconnaissance de son talent littéraire. Les costumes d’Angel sont autant d’extravagances, de flamboiements de tissus de couleurs qui tranchent insolemment avec les décors et les habits de teinte unie et classique de ses contemporains. Uniquement mue par le plaisir, Angel s’offre le château de ses rêves d’enfant, qu’elle entreprend de personnaliser à sa manière, le résultat étant d’un baroque aussi assumé qu’il est de mauvais goût. Persuadée de son infaillibilité, elle épouse Esmé, un peintre endetté et marginalisé par la noirceur de ses œuvres, embauche la sœur de ce dernier comme secrétaire, et fait vivre tout son petit monde à Paradise, le manoir qu’elle a acquis. Entourée de sa cour, domestiques, admirateurs et animaux de compagnie, sans oublier sa mère, elle joue son propre rôle de maîtresse de maison aux décisions aussi justes que sans appel, de femme de tête qui étouffe un mari volage et joueur invétéré. Aussi considère-t-elle le départ d’Esmé à la
guerre (la Première Guerre Mondiale) comme un affront personnel, s’enflamme aussitôt dans des écrits pacifistes qui ruinent sa réputation auprès de sa clientèle, friande de romans merveilleux. Le fossé se creuse davantage entre le monde enchanté de Paradise et la réalité extérieure qu’elle ne peut saisir ;  bientôt s’annoncent les vaches maigres et la misère.

Splendide visuellement, par ce jeu de contraste entre rêve et réalité, le film raconte une histoire autant par son rôle principal que par ses décors et ses costumes. François Ozon n’a pas recherché à dépeindre l’époque edwardienne de façon très réaliste, il a plutôt insisté sur un style fort et audacieux, « jusqu’au grotesque », pour accentuer la ressemblance du long-métrage avec une pièce de théâtre. Angel est elle-même une actrice, surjouant extrêmement bien une pièce qui est celle de sa vie, de son ascension à sa déchéance. La réalisation obéit aussi à cette recherche de la théâtralité : dans un premier temps, les plans sont larges,
les décors et la musique baroques et colorés, la caméra se meut de façon ample. Détail pittoresque, François Ozon a eu recours à un procédé désuet en filmant devant des décors qui défilent les trajets en voiture… Puis, Esmé parti à la guerre, Angel au désespoir, le cadre se fait plus intime, costumes et décors abandonnent largement leurs artifices (Angel apparaît dévêtue de ses parures somptueuses, dans des habits épurés, diaphanes), la lumière devient tamisée, voilée. Le personnage perd de sa superbe jusqu’à arracher au spectateur de sa déchéance finale un frisson que seule la représentation théâtrale peut provoquer… C’est que ce spectacle émouvant et cruel est remarquable de justesse et de sincérité.

 

Oscillant entre drame et satire, Angel a été longuement mûri au préalable par François Ozon, qui y voyait une occasion de se « confronter à un univers romanesque dans la tradition des mélodrames des années 30-40, racontant la destinée d'un personnage
flamboyant… ». Il s’est particulièrement intéressé au jeu de séduction de l’héroïne, qui, consciente de son charme insupportable, se fait manipulatrice. La satire porte autant sur le personnage en lui-même, sa mégalomanie, sa causticité et sa mièvrerie, que sur le genre cinématographique en lui-même, à savoir le mélodrame à la sauce hollywoodienne. À prendre au second degré, Angel est donc en soi un film parodique et un rien subversif : Angel n’a rien d’un ange sauf le physique, est résolument immorale puisqu’elle se sert des autres et de son talent pour son seul ego, bref le film se veut être une critique de l’arrivisme, une incitation à la prudence face à une ascension trop rapide pour être honnête et durable, un conseil qui dirait de garder les pieds sur terre en toute occasion… Et il égratigne le vernis d’apparence vertueuse de la société anglaise à l’époque, jamais à court de perfidies derrière les belles manières (la femme de l’éditeur londonien en est le flambeau).

En somme
Angel se rapproche d’une comédie à la Molière : la peinture de caractère y est comique tout en évoquant une faille plus profonde, en l’occurrence celle de la vanité et de l’égoïsme. Angel est autant à dénoncer qu’à plaindre et ce double niveau de lecture fait toute la richesse de cette œuvre cinématographique étonnante.

 

NB : citations tirées des notes de production.

Stéphane JOURDAIN