Apocalypto

Film : Apocalypto (2006)

Réalisateur : Mel Gibson

Acteurs : Rudy Youngblood (Patte de Jaguar), Raoul Trujillo (Zero Loup), Dalia Hernandez (Sept)… (Durée 2h18). Interdit aux moins de 12 ans.

Durée : 02:18:00


Véritable défi technique, le tournage d’Apocalypto s’est déroulé au Mexique, dans une jungle dense battue par des pluies diluviennes, et a nécessité l’édification d’une véritable cité maya, avec l’aide de spécialistes de la civilisation. Le souci d’authenticité, qui semble être une préoccupation
majeure du réalisateur Mel Gibson, lui a de plus suggéré d’engager une majorité d’acteurs non-professionnels, voire, dans le cas de Rudy Youngblood, de donner le premier rôle à un néophyte. Ce long-métrage atypique est tourné dans un dialecte maya, le yucatèque.

Film d’aventure dont la clé est une chasse à l’homme, Apocalypto a été filmé de façon à ne laisser aucun répit, à « toucher les spectateurs au plus profond d'eux-mêmes, viscéralement et émotionnellement » (Mel Gibson). De fait, autant les paysages que les scènes de guerre et la poursuite dans la jungle sont un choc constant. Filmée en lumière naturelle grâce à la haute définition, la pellicule brille d’une beauté sauvage. L’univers impitoyable de la jungle est totalement immersif, allant jusqu’à modifier les comportements des personnages, les chasseurs devenant proies, l’homme se faisant bête, uniquement préoccupé par sa survie et par celle de son clan. Il est intéressant de noter que la transformation du courageux et intelligent
Patte de Jaguar en animal traqué se fiant à son instinct est sensiblement comparable aux mutations que la jungle opère sur les soldats, sombrant dans une folie furieuse, comme on peut le voir dans les œuvres mémorables portant sur la guerre du Vietnam (Apocalypse now ou Platoon). D’une manière plus générale, les acteurs sont parfaitement convaincants, très réalistes (un effort considérable a été fourni au niveau des accessoires guerriers et des maquillages).

L’éclat des images et le souci du réalisme apparaît aussi dans des scènes de rare violence, qui, si elles ajoutent indiscutablement une tension et une force brute au film, n’en sont pas moins à la limite du supportable. Les scènes de carnage sont très dures, les morts sont violentes et sanglantes, au point que l’on peut se demander si Mel Gibson n’a pas utilisé à outrance le ressort de la brutalité pour frapper le spectateur. Chasse à l’homme oblige, le suspense entretient efficacement la tension, secondée par une caméra
nerveuse et de légers ralentis filtrant l’action. Le scénario, simple en soi, ajoute à cet aspect rude une pincée de tendresse et de grands sentiments (la soirée autour du feu est magnifique, filmée en lumière naturelle et touchante de sincérité). La caméra filme avec douceur la chaleur du foyer familial, tenu par la femme de Patte de Jaguar, une très belle figure maternelle. Entre réalisme violent et beauté paradisiaque, Apocalypto est une œuvre épique remarquablement perspicace.

Pour Mel Gibson, le véritable ennemi de Patte de Jaguar ne consiste pas en ce commando maya lancé sur ses traces, mais « c’est le concept même de la peur. Pour pouvoir se dépasser, le héros doit apprendre à surmonter ses propres peurs. Un peu comme nous tous… ». Cette réflexion sur la peur oppose deux mondes : la civilisation maya, monstre aux pieds d’argile qui menace de s’effondrer, et le village des « bons sauvages », paisible et attendrissant. Faut-il y voir une thèse
rousseauiste, qui affirmerait que le danger pour l’homme réside dans sa corruption par la société, dans son passage de l’état de bon sauvage à celui d’homme civilisé ? Mel Gibson ne semble pas y adhérer. La civilisation n’est pas en elle-même mauvaise, elle symbolise même l’avenir de l’homme (l’arrivée salvatrice de la civilisation européenne sur les côtes américaines en est le témoignage). Pourtant la civilisation chrétienne opère sur Patte de Jaguar la même répulsion que la cité maya : loin de s’en rapprocher, il s’enfonce avec sa famille dans la jungle, hors de vue des galions espagnols. Par conséquent, le dépassement de l’homme n’est pas affaire acquise : s’y oppose sa peur viscérale du changement qui le fige dans une inertie destructrice.

Jouant sur le choc des cultures (maya, indigène et européenne), Mel Gibson souligne l’universalité de sa réflexion… Il remet l’homme à sa place, simple fétu de paille dépassé par les événements et par ses propres passions. Loin d’être misanthrope, ce message&
nbsp; permet d’espérer en la capacité de l’homme à contribuer à sa rédemption, en se détachant d’un monde menacé par la corruption et, d’après l’exemple de l’effondrement des Mayas, une urbanisation galopante et étouffante et les croyances fausses. Si le spectre d’une civilisation sur le déclin agité par Mel Gibson a alimenté la polémique, loin de « jouer les pères Fouettards », (dixit le réalisateur),  ce dernier montre que le destin de la société est entre ses propres mains, il lui appartient d’en prendre conscience. En langage grec, Apocalypto signifie « un nouveau départ »…

NB : Les citations sont issues des notes de production.

 

Stéphane JOURDAIN