The Artist

Film : The Artist (2011)

Réalisateur : Michel Hazanavicius

Acteurs : Jean Dujardin (George Valentin), Bérénice Bejo (Peppy Miller), John Goodman (Al Zimmer), James Cromwell (Clifton)

Durée : 01:40:00


Un film muet remarquable qui nous propulse dans la révolution du cinéma parlant avec grâce et humour et traite finalement avec justesse de l'orgueil et la vanité.

The Artist a fait parler de lui au dernier festival de Cannes non seulement parce que son héros, Jean Dujardin, y a décroché le prix d'interprétation masculine mais aussi pour ses qualités cinématographiques. Robert De Niro a en effet salué le film en lâchant qu'il aurait bien décerné le prix du meilleur réalisateur mais le règlement du festival interdit le double prix (Source : 20minutes). Le réalisateur, c'est Michel Hazanavicius, qui nous aura fait mourir de rire avec OSS 117 : Le Caire, nid d'espion (2005) et OSS 117 : Rio ne répond plus (2008). Si le cinéaste prend manifestement plaisir à réutiliser le couple Jean Dujardin/Bérénice Bejo, c'est pour le parachuter dans un tout nouvel univers, quittant ainsi la parodie burlesque au profit d'un véritable hommage stylistique et scénaristique du cinéma muet.

Jean Dujardin incarne George Valentin, une star du cinéma muet dans les années 20. Son sourire hollywoodien brille de mille feux sous les flash hystériques de journalistes. Sa mégalomanie n'a pas de limite, il se donne en spectacle lors d'une avant-première, n'essaie pas un instant de sauver son couple et brise l'autorité de son producteur, non moins mégalo (campé par l'excellent John Goodman), en l'obligeant à recruter une jeune figurante, Peppy Miller (Bérénice Bejo), qui deviendra le symbole de sa perte. La tête dans les étoiles, il n'imagine pas une seconde que 1927 sera l'année des désillusions. Pour ceux qui l'ignorent, 1927 est une date clé dans l'histoire du cinéma. De fait, Le Chanteur de Jazz, un film musical d'Alan Crosland, aura l'effet d'une bombe dans l'industrie du divertissement : le cinéma parlant était né ! Les producteurs, soucieux de satisfaire les caprices d'un public avide de nouveautés ont progressivement arrêté le financement des films muets, comme le montre The Artist, pour se concentrer sur le développement du parlant. Le sort de George Valentin fut celui de nombreux artistes du muet relégués du jour au lendemain au rang d' antiquités. Comme d'autres, George ne croyait pas à cette aberration, et même s'il y avait cru, personne ne souhaitait le voir parler. Un exemple parmi d'autres mais néanmoins célèbre est celui de Buster Keaton qui perdit en quelques mois tout contrôle sur son cinéma. Lui qui était parvenu au sommet de son art à la fin des années vingt, utilisant le langage de l'image avec la précision et la rigueur d'un horloger, finit par porter mieux que jamais le surnom de « The Great Stone Face » ou « l'homme qui ne rit jamais ». Malgré son travail, le déclin fut irréversible, artistiquement et psychologiquement. Lucide et n'ayant sans doute pas perdu le sens de l'ironie, Buster Keaton fera une apparition dans Sunset Boulevard en 1950 réalisé par Billy Wilder pour une scène imprégnée d'une lourde nostalgie dépressive. Et pour cause, il joue alors son propre rôle, disputant une partie de carte avec une ancienne star de muet sombrant dans la folie.

Comment ne pas penser également à la célébrissime comédie musicale Chantons sous la pluie (de Stanley Donen et Gene Kelly, 1952) qui traite finalement les mêmes thèmes que The Artist ? Le difficile passage du muet au parlant, la désillusion, le conflit passé/modernité... Ce ne sont pourtant pas ces œuvres-là, déjà rétrospectives, que va citer spontanément Michel Hazanavicius (in dossier de presse). C'est bien le cinéma des années 20 et 30 qui va nourrir son inspiration : L'Aurore (1927) et City Girl (1930) de Murnau (la scène de l'incendie est selon nous très inspirée de l'expressionnisme allemand), La Foule de King Vidor (1928), ou encore L'inconnu de Tod Browning (1927)... A regarder son film, on sent effectivement un grand travail de documentation tant sur le plan esthétique qu'historique. La recherche d'authenticité est également passée par les lieux de tournage. Jean Dujardin en était tout émoustillé : « ...même après deux semaines, je peux vous assurer qu’on continue de manger rapidement pour avoir encore un peu de temps seul sur le plateau et regarder les décors, toucher la patine des murs, marcher dans les rues des studios, tout enregistrer, se dire : « Je suis bien à Hollywood ! » (in dossier de presse). Hé oui ! Grâce à la remarquable motivation du producteur Thomas Langmann, le tournage, de 35 jours seulement, a pu se dérouler au sanctuaire de la magie du cinéma : Hollywood ! Pour que l'hommage à cette période soit cohérent, le film a été tourné en 35mm bien sûr mais en format 1,33:1 (4/3) qui est le format phare des films muets. Il a par ailleurs été enregistré à 22 images par seconde, ce qui a exigé des acteurs une légère adaptation. Outre le noir et blanc qui constitue déjà une prise de risque commercial (trouver un producteur n'a d'ailleurs pas été facile), le cinéaste a poussé le concept jusqu'au bout en proposant au public un vrai film muet avec des intertitres pour souligner quelques dialogues. De même les mouvements de caméras sont sobres et majoritairement en plan fixe. Tout devait donc se jouer au montage. Force est de constater que les 1h40 de film passe sans une minute d'ennui à l'ère du numérique, de la 3D et des téléviseurs HD ! Hazanavicius se trouvait devant un véritable challenge : raconter une histoire à un homo facebookus sans parole et sans couleur. Certes les cinéphiles et les nostalgiques se sentiront davantage à l'aise mais il semble que la recette risque également de séduire un public plus large.

Mis à part le contexte historique qu'il faut avoir en tête pour comprendre l'esprit du métrage, l'histoire est simple et émouvante. Entre le drame et la comédie, le réalisateur raconte le déclin d'une vedette, l'ascension spectaculaire d'une inconnue, et l'amour improbable entre ces deux protagonistes. Ce sont en définitive des thèmes essentiels qui n'ont pas besoin de bavardages pour être compris. Le visage ultra expressif des acteurs, un montage clair et une musique circonstanciée donnent aux spectateurs toutes les clés de compréhension. « La mise en scène, les cadres, le découpage ne pouvaient être là que la continuité du scénario. […] Il n’était pas question de se récupérer sur les dialogues. J’aime bien composer les cadres [...], jouer sur les contrastes, les gris, les compositions, les ombres, les places dans le cadre, trouver une écriture visuelle, des codes, des signifiants... » (Michel Hazanavicius, in dossier de presse). Le traitement du noir et blanc et de la lumière est très subtil. Les nuances de gris par exemple sont en elles-mêmes chargées de sens : les blancs sont lumineux lorsqu'il s'agit de montrer l'éclat de la carrière de George et le contraste entre le blanc et le noir s'atténue dans sa phase de dépression pour se rapprocher des tons gris. Avec cette grammaire précise mais simple, les messages et les sentiments touchent directement le cœur du spectateur. Aidées par l'incontestable talent de Jean Dujardin et de son complice Uggy (le partenaire canin a aussi eu le droit & agrave; sa récompense à Cannes. Pas une saucisse, la Palm Dog !), les scènes de comédie sont rafraîchissantes tandis que les scènes dramatiques comportent une réelle tension. Néanmoins, on ne peut classer l’œuvre dans le drame à cause de la happy end.

Bien qu'ayant des qualités esthétiques remarquables, il ne faudrait pas réduire le film à un simple hommage stylistique. L'histoire a du corps. Sans pour autant inventer l'eau chaude, le scénario donne vie à des thèmes classiques tels que l'orgueil, la vanité, la célébrité, l'illusion, et évidemment l'amour. Pour un homme qui a la tête en montgolfière et qui se vautre dans son succès, il est particulièrement difficile de retomber en bas de l'échelle. Le passage du muet au parlant n'est en réalité qu'anecdotique et des situations similaires se répètent constamment. Les journaux « people » regorgent de stars en déclin, et participent, paradoxalement, à la désacralisation du Show Business. En ce sens, l'histoire est atemporelle, mais elle est également universelle. Personne n'est indispensable, et surtout personne n'est capable de briller par lui-même. La gloriole dont nous nous vantons n'est-elle pas fugace ? C'est une star qui sombre dans l'alcoolisme et qui se fait trainer dans la boue par les médias, c'est un tyran qui se fait jeter par son peuple, c'est une entreprise qui se fait ruiner par une nouvelle invention, c'est un cadre qui se retrouve à la rue... Bref, « tout n'est que vanité et poursuite du vent » lirait-on dans la Bible.

George finit par s'accepter comme il est, c'est à dire plus grand chose. Il finit par admettre que la petite figurante qu'il a introduite dans le milieu est aujourd'hui celle qui lui offre son aide. De manière synthétique mais juste, le film rappelle que l'illusion et l'orgueil rabaissent l'homme, voir l'anéantissent. Les tentatives de suicide de George en sont l'expression paroxysmique, mais également la haine de ce qu'il est lorsque, de rage, il brûle les bobines de sa carrière.