Au Prix du Sang

Film : Au Prix du Sang (2013)

Réalisateur : Roland Joffé

Acteurs : Charlie Cox (Josémaria Escriva), Wes Bentley (Manolo), Olga Kurylenko (Ildiko), Dougray Scott (Robert), Rodrigo Santoro (Oriol)

Durée : 01:48:00


Porté sur les écrans français par la société Saje Distribution (la même qui a distribué Cristeros), ce film a le mérite de traiter un sujet plutôt rare au cinéma : la guerre civile d’Espagne, opposant les républicains aux nationalistes de 1936 à 1939, dont sortira vainqueur le général Franco. Une guerre fratricide, dont le bilan s’élève à près de 500 000 morts. Comme le conflit en Syrie aujourd’hui, la guerre civile espagnole s’est déroulée sous de fortes influences étrangères, les nationalistes bénéficiant du soutien de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste, les républicains comptant pour leur part sur l’aide militaire de l’URSS et de la France, alors dirigée par le Front populaire. 

Pellicule sous influences

La plupart des films réalisés sur ce sujet ont été des films de propagande. Un certain nombre de métrages réalisés par les Italiens de l’Instituto Luce célèbrent d’abord à chaud le soutien de Mussolini aux Phalanges nationalistes espagnoles (Arriba España !, 1937 ; Los Novios De La Muerte, 1938 ; No Pasaran !, España Una, Grande, Libre !, 1939). Une fois la victoire acquise, les franquistes se consacrent de leur côté à l’héroïsme du fondateur de la Phalange, Primo de Rivera, fusillé en 1936 (Presente !, 1939). D’autres films viennent raconter la bravoure de jeunes phalangistes, comme Rojo Y Negro (Rouge et Noir, 1942), ou l’une d’entre eux infiltre les Jeunesses socialistes avant de se faire démasquer puis persécuter. Ce long métrage sera finalement censuré et redécouvert en… 1996.

Et puis il y a d’autres films étrangers commémorant quant à eux la défaite républicaine face à Franco. Ainsi l’Américain Joris Ivens, aidé du célèbre Ernest Hemingway, signe le plaidoyer The Spanish Earth (La Terre d’Espagne, 1937) pour une République espagnole. André Malraux y va de son « requiem pour l’Espagne républicaine » dans Espoir (1939). Frédéric Rossif, autre Français, s’engage pour une cause résolument internationaliste dans Mourir à Madrid (1963). Avec un peu de recul, le britannique Ken Loach, dans Land And Freedom (1995) se pique d’intérêt pour un soldat de la reine parti rejoindre les marxistes pour combattre le fascisme espagnol.

Anges et démons de l’objectivité

Tout ça pour dire que jusqu’à présent, le récit de la guerre d’Espagne n’a que trop rarement trouvé le chemin de l’objectivité ! Qu’en est-il à présent du dernier film du réalisateur britannique Roland Joffé, l’auteur magistral de Mission (1986) ? Au prix du sang raconte le destin du Père Jose María Escriva, phalangiste durant la guerre d’Espagne, puis fondateur de l’Opus Dei, canonisé par Jean-Paul II en 2002. Le film met l’accent sur l’aspect fratricide de la guerre. Il suit en parallèle le cheminement d’un ami d’enfance de Jose María, Manolo, qui s’est engagé pour sa part du côté des républicains anarchistes et se prend les pieds dans un triangle amoureux sans espoir. S’inspirant des écrits de José María Escriva, Roland Joffé cherche à restituer l’héroïsme de la vie quotidienne prôné par ce jeune prêtre qui assiste plusieurs fois, impuissant, aux persécutions anticléricales menées par les révolutionnaires. Les dialogues font ressortir des thèmes plutôt classiques sur la contradiction entre l’Evangile et la guerre, sur la permission de la souffrance par le Ciel. Surgit enfin l’idée que la guerre civile produit un tel bouleversement dans une société que chacun se retrouve à combattre ses propres « dragons » intérieurs, devant la difficulté d’accepter certains choix, de les subir ou de les assumer. Ceux qui demeurent fidèles à leur foi sont présentés comme les plus à même de vaincre leurs démons.

Héritage et contrefaçon

Pour insister sur l’impact transgénérationnel des conséquences de la guerre, Roland Joffé encapsule son récit dans le témoignage d’un survivant de la guerre, l’un des héros de l’histoire, qui transmet à son fils un lourd secret, révélé peu avant le générique de fin. L’héritage de la guerre d’Espagne, ainsi laissé par Roland Joffé, apporte quelques éclairages sur un sujet presque inconnu du grand public. On découvre avec étonnement une incroyable restitution des décors à laquelle s’ajoute un casting de haut vol. Malheureusement, le film est traversé de lourdes erreurs techniques et victime de mauvais choix. Les efforts gigantesques de restitution historique sont anéantis par la préférence pour des acteurs exclusivement américains. Pas un mot en espagnol. 

Voilà qui nuit singulièrement à la compréhension des événements pour un conflit civil sous influences internationales qui aurait dû être raconté à travers plusieurs langues pour paraître crédible, dont l’espagnol bien sûr. Ensuite le superbe thème musical composé pour l’occasion est très mal ajusté et ne respecte pas le rythme des séquences, soit en les surjouant soit en devançant leur issue scénaristique. Au final, on n’arrive toujours pas à identifier pleinement la guerre d’Espagne vécue par les Espagnols. De lointains étrangers continuent de la raconter à leur manière. L’intérêt d’Au prix du sang est de mettre la focale sur les phalangistes autant que sur les rebelles. Mais il faudra quand même un jour que les Espagnols nous donnent leur point de vue. Si bien sûr il reste des Espagnols en Espagne !