Blitz

Film : Blitz (2011)

Réalisateur : Elliott Lester

Acteurs : Jason Statham (Brant), Paddy Considine (Sergent Porter Nash), Aidan Gillen (Barry Weiss / Blitz), Zawe Ashton (Elizabeth Falls)… .

Durée : 01:36:00


Un film musclé et bien réalisé, qui confond justice et vengeance.

Elliott Lester est plus connu dans le monde de la publicité ou de la chanson que du cinéma. Habitué à réaliser des clips musicaux, il avait en effet été récompensé aux Telly Awards et aux MTV Video Music Awards, mais Blitz n'est que son deuxième long-métrage (on se souvient de la présentation de son film Love is the drug, en 2006, au festival de slamdance).

 

Pour ce deuxième travail, il a fait appel au très britannique Jason Statham, rendu populaire certes par Arnaques, crime et botanique (réalisé par Guy Ritchie en 1998), mais surtout par notre bonne vieille Gaule dans la fameuse trilogie des Transporteurs. Ce rôle lui colle tellement à la peau qu'il avait même été choisi par Sylvester Stallone pour jouer les gros bras dans Expendables : unité spéciale (2010), dont le caractère décérébré devrait être prochainement prolongé (toujours avec John Statham) par Simon West, réalisateur du Flingueur, analysé voilà quelques semaines par les services spécialisés de lecran.fr.

 

A l'acteur correspond un scénario musclé qui rappelle furieusement celui des Inspecteurs Harry ou Dans la ligne de mire, menés de main de maître respectivement en 1971 et 1993 par Clint Eastwood. Pas vraiment par les histoires elles-mêmes, qui n'ont pas grand chose à voir, mais plutôt dans certains codes. Le gentil flic ultra-violent qui traque les criminels sanguinaires (comme dans le premier) n'a certes pas l'énorme Magnum 44 du père Harry, mais le gros vilain du film fait penser au déséquilibré magistralement incarné par John Malkovitch dans le second. « Engager un grand type musclé pour jouer le méchant aurait été trop facile. Nous voulions au contraire un acteur capable de jouer Weiss avec une lueur de folie dans le regard. Il devait paraître complètement psychotique, imprévisible, extrêmement dangereux et capable de tout, parce que c’est ce qui fait le plus peur aux gens » précise Zygi Kamasa, co-producteur, dans le dossier de presse.

 

Le terme de Blitz renvoie à la notion de «  blitzkrieg » (technique hitlerienne consistant à intervenir de façon très rapide avec les chars), mais les joueurs d'échecs s'attendront évidemment au blitz des parties chronométrées. A en croire Zigy Kamasa, c'est un peu l'esprit : « il y a des séquences d’action très spectaculaires dans les rues de Londres, mais pour moi, les meilleurs thrillers reposent davantage sur cet affrontement entre deux esprits que sur les scènes d’action. » Pourtant, sauf peut-être dans la scène où les policiers se vengent, les vrais amateurs de stratégie seront très déçus : l'affrontement des intelligences est plus que limité.

 

Il fallait donc que les questions éthiques croisent également les films des années 80.

D'abord évidemment sur la question du comportement de notre bon Jason, alias Brant. Le film mélange savamment les genres. Face à quelques voyous agressifs munis de cutters, on comprend que Briant fabrique un bon hachis Parmentier fait maison et on déplore que ses supérieurs ne trouve pas ce plat à leur goût. Mais lorsqu'il intervient dans un billard pour calmer un homme certes violent, son interpellation ultra violente puis gratuite (il continue de frapper comme un sourd alors que son adversaire est à terre) est proprement scandaleuse. « Aidan est un adepte de la méthode Stanislavski, il a donc tenu à vivre dans le même environnement que Weiss durant le tournage. Il est terrifiant à l’écran. Brant est tout aussi effrayant, la seule chose qui le sépare de Weiss, c’est la loi et son badge. Ils paraissent tous deux invincibles, et Aidan était un contrepoids très intéressant face à Jason Statham. » A la différence de Monsieur Kamasa, le producteur, qui mélange un peu tout, le spectateur raisonnable doit faire la part des choses : s'il est légitime d'être brutal lorsqu'il n'est pas possible de faire autrement et dans la juste mesure de l'agression, il est hallucinant même pour un badgé de lâcher deux molosses contre un journaliste qui a mal fait son travail, ou d'humilier complaisamment un gardé à vue, combien même ce dernier serait un brigand de la pire espèce.

C'est toute la différence, assurément, entre les Inspecteurs Harry et ce film. Clint était violent mais cessait de l'être quand il avait son information, et sa violence était à la mesure de son « public. » Jason est non seulement violent mais aussi injuste et sadique. Cette imperfection du policier semble assumée par la production : « Brant est un personnage unique parce que bien qu’il soit un policier, on sent qu’il y a en lui un côté sombre et que la loi est la seule chose qui le retienne. Il fait ce qu’il pense être le bien, il croit en la justice de la rue et ne respecte pas toujours les règles, il viole même souvent les lois, mais au fond de lui c’est un bon flic. » (Zygi Kamasa, co-producteur).

Faut-il rappeler que la riposte proportionnée fait partie intégrante de la légitime défense dans le code pénal français ? Cette prescription étant justifiée, et même si les faits se passent à Londres, bien piètre exemple que celui d'un policier qui l'enfreint ! Qui plus est, le spectateur en jugera,  Brant intervient souvent dans les bagarres à la façon d'un lâche, c'est-à-dire par derrière et en assénant un coup visant à résoudre définitivement la polémique.

 

Le deuxième thème éthique est celui, inépuisable, de la justice. Le problème se pose de la façon suivante : soit un gros méchant tueur de flics qui échappe à la justice pour manque de preuve. Soit deux policiers qui savent pertinemment que l'homme est coupable. Ceux-ci peuvent-ils tuer le gros méchant pour éviter des tueries ? A l'évidence, cette question est déjà orientée, car elle suppose que c'est pour éviter les tueries que nos deux fonctionnaires de services vont le tuer. Or, tout compte fait, cela ne semble pas du tout être le cas. Le film, intimiste, emmène doucement le spectateur non seulement dans la vie privée des policiers-victimes, mais aussi dans le spectacle révoltant de ces agressions. Le public prend donc progressivement partie pour la vengeance, et montre une certaine empathie pour ces policiers verts de rage à l'idée que l'assassin ne soit pas inquiété. De plus l'arrogance du coupable, s'exhibant sans retenue devant les médias, renforce sa révolte légitime. Mais le métier des policiers est d'arrêter les suspects et de les présenter à la justice, ce qui contredit par nature toute idée de vengeance, fût-ce très agréable de s'y livrer.

Et si ces policiers (jouons les avocats du diable), n'agissaient pas par vengeance mais par esprit de justice ? Là, la question mérite d'être défendue, car l'intention serait alors clairement droite. Mais les moyens utilisés par les deux policiers le sont-ils ? La façon dont ils font durer l'exécution renvoie à nouveau à l'idée de vengeance et la question devient celle-là : la torture est-elle un moyen légitime pour rendre justice ? Évidemment non.

Si le moyen de rendre justice ne peut être que de tuer le coupable (les deux hommes n'ayant aucun moyen de le faire enfermer), alors cette mort pourrait être justifiée, mais était-ce le seul moyen ? Pour deux fonctionnaires de police, il semble que non. Ils ont la compétence et le pouvoir de mettre le suspect sous surveillance, de le traquer et de l'interpeller en flagrant délit, voire en train de préparer un assassinat. De plus, sans tomber dans le piège de la morale universelle pour autant, que serait-ce si tous les policiers faisaient justice eux-mêmes ? Steve Chasman, co-producteur, résoud la question de façon surprenante : « Brant est un type qui suit ses propres règles. Il fera tout ce qui est nécessaire pour accomplir sa mission. Il a son propre code moral et sa propre conception de la justice. Brant est un personnage imparfait et ses défauts devraient permettre au public de s’identifier à lui. Je crois que nous aimerions tous connaître quelqu’un comme lui – s’il y avait plus de flics de ce genre dans nos rues, le monde serait probablement un endroit meilleur ! » On hallucine ! Qu'est-ce qui empêche les policiers (la question est tellement actuelle!) de tuer les interpellés que les juges relâchent ? Incontestablement l'idée civilisatrice que les tribunaux, fussent-ils faillibles, doivent être les seuls à pouvoir condamner, à défaut de quoi les sociétés seraient livrées à la vendetta, pour un monde bien au contraire bien pire !