Blood Father

Film : Blood Father (2016)

Réalisateur : Jean-François Richet

Acteurs : Mel Gibson (John Link), Erin Moriarty (Lydia), Diego Luna (Jonah), Michael Parks (Preacher)

Durée : 01:28:00


Quand Lydia, 17 ans, camée, débarque en sueur devant la caravane de son père sorti de taule (Mel Gibson), c'est "jour de fête pour les loosers de la planète" ! Car si John Link regrettait amèrement sa fille disparue, il n'imaginait pas une seconde qu'elle reviendrait... avec des cadeaux pas très "cools" dans ses converses. Drogue, revolver, et scalp d'un fils du cartel mexicain : John n'avait pas prévu que l'enfer reviendrait par elle. Mais John a de la ressource, de l'humour, et une bonne expérience de vieux roublard sur les routes tortueuses.
Road movie empoussiéré de la terre friable du Nouveau Mexique, Blood Father nous fait retrouver un Mel Gibson très à l'aise dans le rôle du taulard un peu déjanté mais lucide sur la "descente" vécue par sa fille. On n'est pas très loin de l'ambiance des premiers Mad Max et de l'Arme Fatale ! Protéger sa fille à tout prix de tueurs anonymes : l'ombre de Taken plane sur notre histoire, valorisant bien sûr l'amour paternel. Au détail près que le personnage principal est bien la fille (Erin Moriarty) et non le père, héros musculeux ramassant un paquet de casseroles laissées par elle en chemin ! Et ceci à son importance dans la trame scénaristique de l'auteur Peter Craig. En effet celui-ci a voulu attirer l'attention sur les écarts sociaux qui se creusent dans le coeur de l'Amérique, notamment entre une jeunesse aisée s'abandonnant inconsciemment à la drogue, et une génération plus ancienne d'entrepreneurs et de prolétaires, gagnant le pain à la sueur de leur front. Blood Father est le théâtre d'un conflit générationnel qui interroge l'avenir proche des Etats-Unis, à présent concernés par d'importants flux de migration en provenance du Mexique, mais également rattrapés par le déclin économique des Etats du centre.

De belles valeurs humaines tentées par le nihilisme

Le réalisateur français Jean-François Richet (Mesrine, 2008) n'a de cesse de souligner la valeur sacrificielle de ce père qui donne tout sans attendre en retour. Mais son histoire fait triompher la désillusion et le concept du sacrifice inutile. Ses plans très aériens (i.e. avec beaucoup de ciel dans l'image) façonnent un monde humain proche du ciel : "Plus d’une fois, quand je tenais la caméra, j’avais en mémoire le principe « 1/3 de terre, 2/3 de ciel, l’homme et Dieu omniprésent », principe inspiré de John Ford. Malheureusement, il n'en ressort que la cruelle sensation d'une absence du divin par l'idée que tous les efforts réalisés en vue du bien ne servent finalement à rien. Et si justice n'est pas faite sur terre par le ciel, il faut bien se débrouiller tout seul.
La libération émane alors de la volonté de puissance, donc de la violence. On retrouve dans ce cinéma très classique, aspirant à la libération par la révolte meurtrière, une trace devenue presque indélébile aujourd'hui de la philosophie nietzschéenne : le monde n'est pas ce qu'il devrait être ; nos vies elles-mêmes, avec ce passage en prison injuste (John Link a payé pour un autre), ce foutoir de la coke, et ces ennemis toujours plus nombreux en chemin (dealers, criminels, néo-nazis, clandestins), ne sont pas telles qu'elles devraient être ; alors il est normal de nier ce monde et d'en expurger nos vies avec tout l'arsenal nécessaire. Révolte terrible et victorieuse, presque semblable à celle joliment décrite par Albert Camus si on lui soustrait l'aspect sexuel, mais révolte sanguinaire qui autorise beaucoup de destructions en chemin, jusqu'à l'anéantissement du sujet lui-même, si besoin est. La gloire enrobe le vainqueur par destruction. A ce moment, la caméra n'a d'yeux que pour sa prise de risque énorme, son courage renversant. Mais ce que l'on oublie de dire en chemin, c'est qu'un tel vainqueur a gagné de cette façon, par la force des bras et par la violence, justement parce qu'à l'instar de ses adversaires, il avait éradiqué le ciel de son champ de vision. L'héroïque "Père de sang", victime inutile d'un monde tragique ne devant pas être, devient alors l'image du Dieu incompris permettant la mort au milieu de la vie, ce Dieu qui, s'il a existé, est forcément mort. En définitive, la révolte effrénée, justifiée par l'omniprésence aléatoire du mal, reste le meilleur moyen de remplacer le Dieu démissionnaire, absent dans la nécessité humaine. A moins que vous ne préfériez directement la mort car, affirme magnifiquement l'un des taulards du film : "celui-là a eu de la chance mourir, car ç'aurait pu être bien pire pour lui de rester en vie"!
Et voilà comment une banale histoire de course-poursuite nous amène à délirer sur l'origine de la misère de l'homme ! La faute à Richet & Craig, joyeux pessimistes.