Blue Ruin

Film : Blue Ruin (2013)

Réalisateur : Jeremy Saulnier

Acteurs : Macon Blair (Dwight), Devin Ratray (Ben Gaffney), Amy Hargreaves (Sam), Kevin Kolack (Teddy Cleland)

Durée : 01:32:00


Un homme errant, lamentable, veut se venger d’un assassin. D’emblée, la justice de la peine endurée par l’ex-détenu n’a nulle importance aux yeux de cet anti-héros, ce malheureux faible et médiocre qui agit avant de réfléchir.

L’instinct de violence, ajouté à celui de la protection familiale, le poussent d’une façon désordonnée à croire que les dix ans de taule, pour l’autre, ce n’était rien. On a vu avec un film comme le récent Les Poings sur les Murs que pourtant, derrière les barreaux, ce n’est pas le Club Med. Est-ce parce que d’une façon instinctive (naturelle pourrions-nous dire ?), ce vengeur ordinaire sent que ceux qui prennent la vie doivent à leur tour la perdre ?

Le fait est que ce bonhomme tombe dans la tentation tentaculaire de la vengeance. C’est le cœur du film. Dans un suspense parfois digne d’Hitchcock, deux groupes se rendent coup pour coup. L’affrontement sauvage, dans un Kentucky décrit comme un lieu où loi et justice sont des mots pour les lâches, est shakespearien. La haine et la soif de vengeance se heurtent à la fois à l’envie de pardonner, d’oublier, mais aussi à la peur. Cela tourne au massacre : pour éviter d’être tué, il faut neutraliser par prévention. La force passionnelle de la vengeance se mêle à la faiblesse qui nous l’a fait choisir. La fureur de gens banals devient terrifiante. Les tribunaux sont loin, pour ces gens déchirés par les pertes, c’est la loi du Far West qui s’applique. Chacun choisit d’être bourreau plutôt que d’être victime ; ainsi, un engrenage se met en place. Et le premier qui veut l’arrêter risque plus que jamais d’y laisser la vie …

Certes, faire une intrigue fondée sur la spirale de la vengeance est assez quelconque. La leçon est connue depuis des lustres : se venger non seulement ne satisfait en rien, mais en plus, peut apporter l’Enfer sur terre. Mais Jeremy Saulnier sait y mettre la manière. Il signe une réalisation de maître : esthétique des plans larges, direction photo, mystère et angoisse des angles de vue lors des scènes de tension … Là-dessus, c’est un régal.

Tous n’y trouveront pas leur bonheur : le film est noir, très dur, violent, et le héros est un imbécile qui accumule les erreurs. Il est, malgré cet aspect, fort bien interprété, dans une atmosphère réaliste, froide et sombre comme celle que l’on trouve dans The Place beyond the Pines. Tout respire le vrai, ce qui facilite l’immersion. L’humour, en revanche, tape à côté, à moins d’être profondément cynique. Mais pour sa réalisation parfaitement maîtrisée, son suspense et ses rebondissements assez nombreux, Blue Ruin est une sacrée réussite. Le mangeur de pop corn sort déçu ? Attention, il ne s’agit guère d’un film divertissant, mais plutôt saisissant. C’est d’ailleurs ce que veut dire thriller, non ?