Bon à Tirer (B.A.T.)

Film : Bon à Tirer (B.A.T.) (2011)

Réalisateur : Bobby et Peter Farrelly

Acteurs : Owen Wilson (Rick), Jason Sudeikis(Fred), Jenna Fischer (Maggie), Christina Applegate (Grace), Nicky Whelan (Leigh)… .

Durée : 01:45:00


Une comédie parfois drôle, souvent vulgaire, qui donne de fausses solutions à de vrais problèmes.


Après Les femmes de ses rêves en 2007, les frères Farelly reviennent avec leur éternelle ambition de mêler le charnel à des réflexions de comptoir sur les grandes questions du monde.

Ce dernier film présente plusieurs niveaux de lecture.

Le premier s'adresse essentiellement à la libido de l'adolescent boutonneux qui, plutôt que d'avoir la mauvaise conscience de feuilleter des revues légères, peut flatter ses instincts en allant voir un film au cinéma. Le scénario est d'une simplicité déconcertante, les propos
grossiers, les mimes souvent obscènes, les conversations particulièrement crues. Le thème sort tout droit du fantasme masculin : ah, si ma femme me laissait butiner ailleurs ! «Rick est heureux en ménage, il adore sa femme et ses enfants. Il a un bon job, une vie agréable, mais, comme beaucoup d’hommes, il ne peut s’empêcher de reluquer d’autres femmes, ce qui irrite profondément sa sienne. » (Peter Farelly, in Dossier de presse) C'est ce que 90% des spectateurs y verront puisque, c'est bien connu, quand le jeune va au cinéma, « c'est pas pour s'prendre la tête... »


Un deuxième niveau de
lecture s'extirpe des bas instincts pour entamer une réflexion amère sur le quotidien du mâle quadragénaire moyen. Pour Peter Farelly « le film traite d’un thème universel. Si Dieu venait me dire : « Peter, tu vis avec la plus belle et la meilleure des femmes », j’aurais quand même envie d’aller jeter un coup d’oeil ailleurs. La question étant simplement de savoir jusqu’où l’on va. » Rick et Fred regrettent leurs années d'université, se sentent capables de séduire tout ce qui bouge, et oublient finalement qu'ils sont maintenant bedonnants, transpirants au moindre effort, et tout de même un peu plus matures que les barbies croqueuses de biceps. Pour leur en faire prendre conscience, les épouses n'ont qu'à accorder des « bons à tirer » à leur mari, et ceux-ci découvriront leur vraie nature, paternelle, ronronnante, posée, timide, en un mot, rouillée... Bobby Farelly s'en amuse : « on connaît tous les blagues sur le démon de midi, les démangeaisons de la septième année. Le mariage, institution sacrée s’
il en est, exige d’être évoqué avec tact… ce qui n’interdit pas de pousser l’humour assez loin. »

Cette lecture est de prime abord plus sensée, voire plus morale. Mais elle se fissure à l'occasion d'un troisième niveau de lecture plus... évolué !


En effet le constat est assez affligeant. Les hommes sont tous des obsédés sexuels, le regard rivé aux postérieurs qu'ils croisent dans la rue, fantasmant sur d'
autres femmes pendant qu'ils font l'amour avec la leur. Est-ce une fatalité ? Ce manque absolu de contrôle de ses passions est-il inéluctable ? Voilà qui laissera songeurs les hommes qui ont décidé d'accorder l'exclusivité de leurs pensées lubriques à leur femme, poussés par la force d'un amour qui semble bien absent de notre présente pellicule. Quand aux gros malins qui prétendent « regarder le menu sans vouloir manger, » on s'étonne qu'ils ne prennent pas leurs actes pour du masochisme. Un regard assez triste sur la gente masculine, somme toute, dont on espère qu'il est faussé par les obsessions des cinéastes.

Ensuite il faut traiter différemment les deux couples d'amis qui se livrent à ce genre d'expériences dangereuses. Celui d'Owen Wilson est clairement le centre du film. Il se porte bien mais
notre brave père de famille aurait besoin de «liberté. » « Le mariage de Rick tourne à la routine, et il s’imagine qu’il aurait la belle vie en redevenant libre. C’est d’autant plus illusoire que le monde a changé autour de lui. » (Owen Wilson). Quand sa femme, sur les conseils d'une amie aussi âgée que mal avisée, décide de lui donner ce fameux bon à tirer, il est embêté, gêné même. Il n'en profitera d'ailleurs pas, réalisant comme par hasard au moment fatidique à quel point il aime sa femme. Co-producteur, Bradley Thomas s'en explique : « Bien sûr, on peut toujours fantasmer une virée dans un de ces clubs qui regorgent de nanas sublimes, mais une fois sur place, on se retrouve avec personne à qui parler. La liberté totale, ce n’est pas drôle! » et Owen Wilson de confirmer «… et Rick découvre qu’il n’est pas facile de rentrer dans le circuit après vingt ans d’absence. Il commence à réaliser qu’il a bien de la chance d’avoir épousé Maggie. » Aussi bien le pessimisme sur la gente masculine était
inquiétant, aussi bien cet optimisme débordant relève de la science-fiction. Quel homme serait suffisamment fort ou crétin, selon les points de vue, pour décider de ne pas passer à l'acte avec une jeune fille superbe qu'il a travaillé à séduire pendant plusieurs jours et qui se livre à lui dans son plus simple appareil ? Ce principe du bon à tirer est tout bonnement ridicule quand on réalise qu'un peu plus éméché, il n'aurait pas hésité une seconde.

C'est d'ailleurs le problème du deuxième larron, Fred, qui va, lui, tromper sa femme pour de bon. Bobby Farelly explique : « Fred, en revanche, peut tout se permettre car il ne se situe pas dans le même registre. En outre, il n’a pas d’enfant, et sa femme est légèrement fantasque, alors que Rick et Maggie ont une vie de famille équilibrée. » Il faut supposer
que les frères Farelly donnent à l'occasion une leçon au spectateur, en montrant quelqu'un dont le comportement indique clairement qu'il faut réviser sa copie amoureuse. Mais ce passage à l'acte va en fait renforcer l'amour qu'il avait pour sa femme. Vous ne rêvez pas : on peut tromper sa femme pour réaliser à quel point celle-ci nous manque ! Magie du cinéma ? Soyons sérieux et même Christina Appelgate, qui interprète Grace, une des épouses, ne s'y laisse pas prendre : « Qui sait ? Ce BAT pourrait être un remède pour des couples qui s’interrogent sur leur avenir. Mais ne comptez pas sur moi pour tenter l’expérience! »

Il faudra d'ailleurs que les épouses se laissent aller à leur tour avec de beaux éphèbes pour que le plus crétin des spectateurs réalise qu'il nage dans la débilité profonde. Même si,
pour Peter Farelly, « c’était bidon d’imaginer que ces deux femmes se contenteraient d’attendre sagement le retour de leurs maris en espérant qu’il n’arrive rien, » on croirait entendre là les arguments de couples échangistes tout à la peine de justifier leurs frasques ! Le sexe est animalité pure, dans l'imagination uniquement puisque les hommes ne jouissent de ces désordres qu'en utilisant leurs puissances psychologiques : ce sont bien les rapports de domination, de chosification (particulièrement de la femme) et de transgression qui procurent cette jouissance dont les libertins sont si friands. Et c'est bien là que le bât blesse : l'homme n'est pas un animal et le sexe n'est jamais anodin chez les nobles représentants de la race humaine !


Raphaël Jodeau