Brooklyn

Film : Brooklyn (2015)

Réalisateur : John Crowley, Paul Tsan

Acteurs : Saoirse Ronan (Eilis Lacey), Domhnall Gleeson (Jim Farrell), Emory Cohen (Tony Fiorello), Jim Broadbent (Père Flood)

Durée : 01:53:00


C’est classique, très classique, peut-être trop. Mais Brooklyn parvient à rester un film original, et surprend le spectateur à chaque tournant de l’intrigue. C’est avant tout cela qui est apprécié dans cette histoire d’amour académique nommée à l’oscar du meilleur film et du meilleur scénario. La nomination à l’oscar de la meilleur actrice ne surprend en revanche pas, tant le personnage principal, incarné par Saoirse Ronan est touchant de justesse et de réalisme. Nul moment de bravoure, aucune scène par trop pathétique ou exagérée : Eilis est un personnage impressionnant par la multitude d’aventures et de moments exceptionnels qu’elle traverse, et pourtant reste une personnalité proche de nous ; elle semble même parfois si proche qu’on voudrait la conseiller, certains qu’elle entendrait notre voix à travers l’écran-barrière qu’elle transcende.

Le drame romantique n’est jamais l’occasion des meilleures audaces de réalisation, et Brooklyn n’échappe pas à l’axiome. La caméra se fait humble narrateur, rapportant l’action fidèlement sans l’orner d’aucun effet. Cela peut être loué pour la sincérité du résultat, mais l’on regrette trop souvent que les plans ne soient pas plus travaillés ; le cadrage, plus soigné, et la musique, armée de plus d’intention. On se contente d’une photographie de reportage et d’une musique absente, si ce n’est aux moments d’émotion qu’elle gatte de sa lourdeur pithiatique ; l’air de tendre un panneau « applause » ou « pleurez maintenant ».

En revanche, le film a su trouver une réelle originalité dans la résolution qu’il propose aux conflits des personnages. Là ou l’émotion, l’individualisme et l’excuse des excès a toujours triomphé dans les films du genre, la constance et le devoir semblent trouver leur place. La question de l’engagement et son aspect le plus souvent mis à mal — la fidélité — est ici traitée avec un souci de justice étonnant. Il faut révéler la fin du film pour développer le propos, aussi le ferais-je dans la suite du paragraphe. En retournant aux États-Unis vers un époux légitime qui l’attend, Eilis résiste à la tentation que les personnages ont de se faire tout pardonner par le public. Combien d’histoires romantiques s’achèvent sur la rupture d’un couple au profit d’une passion égocentrique vouée à l’échec du simple fait qu’elle est fondée sur un mal ? La victoire des égoïsmes est adulée au cinéma car le public se sent excusé — iniquement pardonné — de ses vices, là où l’art devrait plutôt opérer la catharsis. Regarder l’erreur et le mal en face, en tant que mal, pour le dépasser, l’oublier et l’éviter. Eilis, première de cordée d’un amour fait de constance et de générosité, semble proposer une alternative aux errances d’une société individualiste. Et le succès, tant du film que du roman éponyme, laisse entrevoir les attentes d’un publique en quête, non de complaisance aux malheurs, mais d’inspiration à la grandeur d’âme.

Brooklyn est un film académique et classique qui parvient, tant par les détours de son scénario que par l’originalité et l’audace de son propos, à se démarquer dans un genre moribond : le drame romantique. La beauté vaincra : telle est la sincère promesse qu’il semble avancer.