Captain Fantastic

Film : Captain Fantastic (2016)

Réalisateur : Matt Ross

Acteurs : Viggo Mortensen (Ben), Frank Langella (Jack), George Mackay (Bo), Samantha Isler (Kielyr)

Durée : 01:58:00


On nous promettait un croisement entre le sublime Into the Wild et le drôlissime Little Miss Sunshine. Entre ces deux balises, Captain Fantastic trace une route incertaine.   

Installés en forêt pour une raison plus dramatique – et touchante d’ailleurs – que philosophique, deux époux y fondent leur famille. Lorsque maman meurt prématurément, il faut aller en ville pour l’enterrement, et sortir donc pour la première fois les enfants de leurs bois. 

Étrangement, le contact entre ces semi bons sauvages et la culture corruptrice n’est que peu traité, si ce n’est par une scène galante que la bande-annonce spoile monstrueusement. Seul intérêt du dit contact : se rendre compte que l’éducation à coup de livres, d’entraînements quasi paramilitaires et de chasse est insuffisante pour vivre dans le monde réel.

Présenté comme un rêve qui, par essence donc, ne peut durer, cette vie exceptionnelle propose des pistes vers le bonheur, ou l’accomplissement ; jamais un mot de ce type n’est cité, d’ailleurs, alors qu’il s’agit quand même de poursuivre une finalité transcendante. Ces pistes mènent à une bouillie philosophique qui feint de tout inventer alors qu’elle se situe entre un maoïsme approximatif et la résurgence d’un rousseauisme de plus en plus en vogue au cinéma ces derniers temps. Lâchez une pincée de bouddhisme dessus, et vous obtenez une sagesse fabriquée sur un paradoxe : la table rase cartésienne, la croyance que l’esprit peut raisonner à l’infini, et le savoir par des livres édifiants mais sélectionnés avec une partialité mystérieuse (oubliez saint Thomas, en gros).

Agaçant, voire puérile dans ses petits crachats envers les religions (enfin, « les », je vous laisse deviner laquelle prend les coups), le film s’illustre en revanche par la profondeur de ses thèmes. Conscient des limites de cette éducation utopique (pardonnez le pléonasme), le père est pris de vertige quand quelques-uns de ses enfants se plaignent d’avoir été arnaqués. Comprenez-les : on leur a appris que Niké est une déesse plutôt qu’une multinationale. On ne leur a pas appris ce qu’était « la vraie vie ».         
Et c’est là que ça se complique. 
Pour commencer, la vie autarcique, relativement isolée certes, mais sociale tout de même (être en famille, ce n’est pas être tout seul…) est-elle si détachée de la nature humaine ? Est-il plus humain, si on prend les extrêmes, de vivre en famille en forêt, ou seul dans un appartement minuscule dans un Los Angeles anonyme et interminablement étalé dans le désert ? On met à tort dans le même panier cette famille vivant hors du cadre normalisé et un ermite. Alors certes, pour ce qui est de perpétuer la race, il y aura comme un hic dès la deuxième génération. Mais pour notre exemple de célibataire dans la ville des Anges, il y en aura un aussi…    

Il ne s’agit point de relativiser et de ne plus pouvoir juger. Comparons simplement, comme le fait Captain Fantastic lui-même d’ailleurs : d’un côté, le jeune homme qui maîtrise davantage Newton que l’art de parler aux jeunes filles, et l’ado inculte qui passe son temps entre le lycée et la console. En prenant l’exemple du premier qui s’humilie devant une jolie blonde à cause d’un simple manque d’expérience, le film cible la limite effective de son éducation forestière. Mais qu’aurait fait l’autre ? Que sait l’ado-type du XXIe siècle (et cliché, mais tout l’intérêt est de comparer des archétypes justement) des relations avec les jeunes filles, ou surtout ce qu’elles devraient être, de la noblesse qu’elles devraient avoir ? Qu’a-t-il vu dans ses jeux ou dans ses cours de récréation pour apprendre l’art d’aimer ?

Le problème de Captain Fantastic est là : il dialectise, sépare en deux camps deux modes de vie qui ont chacun leurs défauts et leurs qualités. C’est soit la chasse, soit le Mac Do. N’y a-t-il vraiment rien d’autre ? Pour ce qui est de ce que propose la religion, ce sont des « conneries » de toute manière, donc forcément, automatiquement, c’est exclu.


Qu’en ressort-il ? Rien, finalement : leur philosophie cuisinée dans le cadre des limites naturelles de leur intelligence et de leurs connaissances se heurte à la coutume, au mimétisme, aux événements de la fatale plume du scénariste qui nous font sortir du film tant le calcul finit par ressembler à une pensée directrice et non plus à la réalité mouvante. Alors on sombre dans un vulgaire nihilisme qui fait rire, justement, le vulgus.          

L’autre problème, c’est qu’à cause de la main tyrannique du scénario, ce qui se déroule sous nos yeux devient préparé et idéalisé. Conséquence directe, bien évidemment : on n’y croit plus. Les surprises ne surprennent plus, et certaines décisions fortes ne tiennent pas la route, calculées qu’elles sont pour provoquer d’artificielles tensions dramatiques. Bien dommage de ne pas plus profiter d’un Viggo Mortensen en verve (bien que le regretté Robin Williams y aurait trouvé un rôle sur mesure), et d’une atmosphère dépaysante. Les mécanismes tire-larmes s’accumulent pour faire monter l’émotion, mais ne fonctionnent pas ou pas assez, à cause de cette incrédulité qui gagne le spectateur. À moins d’être bon public !  

Bien plus urbain qu’Into the Wild, beaucoup moins déjanté que Little Miss Sunshine, Captain Fantastic s’embrouille dans un message philosophique confus tombant dans le dilemme d’une alternative entre deux modes de vie très imparfaits, comme s’ils étaient les seuls en ce monde.