Carnage

Film : Carnage (2011)

Réalisateur : Roman Polanski

Acteurs : Jodie Foster (Penelope Longstreet), Kate Winslet (Nancy Cowan), Christoph Waltz (Alan Cowan), John C. Reilly (Michael Longstreet)

Durée : 01:20:00


Un film intéressant et bien réalisé, qui ne va pas complètement au bout de ce qu'il dénonce et se transforme de ce fait en mauvais esprit. Dommage !

Yasmina Reza n’a pas fini de faire parler d’elle. Comme Molière, les défauts et les travers des autres font son pain quotidien, dont elle se nourrit avec délectation pour le plus grand bonheur de ses admirateurs.

Dans sa pièce de théâtre Art, qui l’a propulsée en 1994, elle avait surpris le public par la précision de sa peinture sociale. La pièce de 2011, Le Dieu du carnage, est un huis clos par essence.

Par essence non pas parce qu’au moment où il coécrit le scénario, Polanski est assigné à résidence mais parce que, sans huis clos, sans lieu pour enfermer les psychologies, cette pièce n’est plus rien. Toute la tension vient d’un dehors inaccessible, mais intrusif par le truchement des téléphones.

En mettant en scène des gens qui réfléchissent au comportement qu’ils devraient adopter, Yasmina Reza montre une morale mondaine, une matière essentiellement relationnelle et donc sociologique, quand la morale est avant tout ontologique. Oui, je sais, il faut que je m’explique...

Si la morale est apparence (haaa ! La « facebook attitude » !), elle n’est pas ce qu’on est, elle est ce qu’on semble. Rien ne sert de paraître si on est seul au monde, mais je prétends, moi, que même si un homme est seul, il a besoin de morale, parce que celle-ci n’est pas dans le regard de l’autre, elle est dans la réalité qui épanouit comme l’immoral est dans la réalité qui dégrade. La morale n’est pas d’abord là pour l’autre, elle est là pour soi, pour son propre & eacute;panouissement. Après tout, charité bien ordonnée ne commence-t-elle pas par soi-même ?

« La question de la morale est intéressante, explique Jodie Foster, quatre adultes cherchent à savoir quelle est la position la plus juste à adopter, et peu à peu, ils révèlent leur vrai visage. »

La politesse n’est donc pas un fard, elle est splendeur du gentilhomme. Finalement, mieux vaut un rustre sincère qu’un rustre poli, parce que le poli s’éblouit tandis que le sincère s’illuminera en même temps qu’il se moralisera.

Il est dommage que le film ne montre pas de belle figure de moralité. Un être bien dans ses bottes, qui ne dirait rien mais dont on dirait qu’on veut lui ressembler, un être que les appâts de la mondanité laisseraient indifférent, qui contournerait les pièges du semblant sans même le vouloir. Un tel personnage laverait la pièce de son pessimisme ce qui, en ces temps obscurs ne serait pas du luxe !

Ce n’est pourtant pas ce que Roman Polanski voulait. Bien sûr qu’il aime à dénoncer le factice, mais sa cible est différente : « Le fun que [la pièce] m'avait procuré et le fait qu'il s'agisse d'une satire des valeurs bourgeoises conventionnelles, du politiquement correct et de l' hypocrisie des politesses mondaines avec ses sourires factices. Ces quatre personnages, au départ si courtois, se révèlent des monstres chacun à leur manière, prêts à la fin à se sauter à la gorge. » (Le Figaro, 1er décembre 2011).

Les bourgeois ! C’est donc ça, et c’est vraiment très original ! Bravo Polo ! Le postulat de départ est donc que les valeurs bourgeoises sont conventionnelles et qu’elles sont hypocrites. Je ne sais pas vous, mais personnellement je ne suis pas sûr que l’hypocrisie soit réservée au dernier étage des usines. À moins que la bourgeoisie ne soit pour le cinéaste qu’un état, et non une classe. & Ccedil;a mériterait d’être précisé !

Les quatre personnages du film sont donc assez drôles : l’excellent John C. Reilly incarne un avocat dont les sourires ne dissimulent qu’à grand-peine un fond violent et impitoyable, tandis que la bonhomie de Christoph Waltz tentent de cacher une rusticité brutale.

Du côté des femmes, ce n’est guère plus reluisant. Jodie Foster interprète une femme probablement bien démocrate, qui se sent très concernée par les problèmes du Darfour mais se met en colère dès que la situation lui échappe, tandis que Kate Winslet, bien habillée et très classe, se met à vomir au milieu du salon avant de se saouler et de s’énerver à son tour.

Le jeu n’est pas qu’individuel. Tout le long du film, les alliances se font et se défont (les femmes contre les hommes par exemple) et les couples s'ébrèchent et tentent de se rafistoler.

Mais le plus grand défi dans ce type de problématique est de savoir finir. Les deux couples vont-ils se rabibocher ? Vont-ils se quitter en se détestant ? La fin n’était pas évidente à trouver, et c’est probablement pour ça que les deux scénaristes ont préféré ne pas en mettre.

Pas de dénouement, donc, pour un film intéressant qui rate un peu sa cible et ne fait rire qu’aux dépends, ce qui est un peu dommage.