Casino Royale

Film : Casino Royal (2006)

Réalisateur : Martin Campbell

Acteurs : Daniel Craig (James Bond), Eva Green (Vesper Lynd), Mads Mikkelsen (Le Chiffre), Judi Dench (M)

Durée : 02:18:00


Casino Royale est le premier roman de Ian Fleming, publié en 1953, et paradoxalement le 21e volet de la franchise James Bond. Il ne faut pas le confondre avec un autre Casino Royale, sorti en 1967, qui en réalité constitue davantage une parodie du livre de Ian Fleming. Ce nouveau Casino Royale inaugure un retour aux sources et met en scène un
James Bond qui vient tout juste d’obtenir son permis de tuer, portant en germe les traits futurs du célèbre agent. Sixième acteur à se glisser dans le smoking de 007, Daniel Craig a fait l’unanimité lors de son audition : « Daniel est un Bond très moderne, qui possède l’authenticité dont nous avions besoin pour redéfinir ce personnage très complexe. Il a montré un immense talent dans la gestion des émotions conflictuelles que ressent Bond. » (dixit le producteur Michael G. Wilson).

Il apparaît donc que l’enjeu de ce nouvel épisode consistait à refondre l’image traditionnelle d’un Bond machiste, froid et efficace au bénéfice d’un personnage plus brut, moins abouti professionnellement. Si le fond scénaristique (terrorisme international post-11 septembre, jeux d’argent et de pouvoir) n’est pas nouveau, c’est l’ensemble de l’univers de 007 qui est dépoussiéré.

Réalisé par Martin Campbell (qui avait déjà dirigé Pierce Brosnan dans Goldeneye en 1995)
, ce nouvel opus délaisse les fondamentaux de la série pour parcourir des sentiers battus, à peine défrichés par la saga Bourne, dans laquelle Matt Damon campe un espion au profil plus commun que le portrait de l’espion flamboyant laissé par le mythe bondien. Les ressemblances entre Casino Royale et La mémoire dans la peau sont saisissants dans la mesure où ils montrent la direction inattendue prise par les scénaristes de ce nouveau Bond. Daniel Craig est plus athlétique qu’élégant, il dégage une impression de force brute, n’hésitant pas à se servir de ses poings et de ses jambes. L’humour cynique et si british de ses prédécesseurs se fait plus direct, spontané, parfois même un rien vulgaire… En tout cas il fait mouche ! L’icône marketing aseptisée qui culminait avec Pierce Brosnan est ici largement piétinée : Bond souffre, meurtri dans son corps, laissé même au seuil de la mort, il est sans foi ni loi, casse-cou, presque un voyou qui tente de faire oublier des origines modestes. Il en ressort un agent
indécis, qui commet des erreurs de débutant, en proie à des conflits intérieurs qui lui donnent une réelle épaisseur psychologique. « James Bond apparaît ici comme un personnage plus sombre, ce qui correspond avantage à la manière dont l’a dépeint Ian Fleming à l’origine.(…). Plus physique et plus brut dans sa manière d’être, il va évoluer et devenir plus raffiné », souligne Daniel Craig. Les aficionados ne pourront que regretter l’absence des traits si familiers du James Bond que l’on connaît, cependant la transformation se fait de manière progressive, jusqu’à ce que l’agent secret lance en toute fin du film son fameux « Bond… James Bond. ». Les nostalgiques peuvent donc se consoler, le charismatique Daniel Craig s’en sort honorablement, James Bond acquiert petit à petit les traits qui feront le succès du personnage.

Que serait Bond sans ses James Bond Girls ? Aux côtés de Daniel Craig, la Française Eva Green sublime les habituels personnages féminins de la série. Toute en
finesse, femme aussi belle que d’une intelligence austère, forte de caractère autant que fragile, Vesper Lynd est un être complexe, mystérieux, qui s’épanouit au gré de son histoire d’amour avec Bond. Ce point du scénario, aussi révolutionnaire qu’il puisse paraître dans un 007, constitue la ligne conductrice du long-métrage, et va d’ailleurs conditionner les relations qu’entretiendront plus tard l’agent secret et la gent féminine. Du coup Casino Royale manque étonnamment d’action, malgré deux scènes époustouflantes à Madagascar et à Venise. Le suspense est privilégié, notamment lors de la partie de poker qui tient lieu d’affrontement psychologique entre le Chiffre et James Bond.

Ultimes points sur lesquels le mythe Bond est revisité, Casino Royale, s’il met en scène un agent secret au train de vie fastueux (Aston Martin, villa aux Bahamas…), abandonne les traditionnels gadgets, les effets pyrotechniques à grande échelle, le complot international mettant en scène un méchant
tout-puissant prêt à conquérir ou détruire le monde (c’est selon…), au profit de duels à mains nues, d’une image moins prétentieuse (le prologue est digne d’un polar), d’un banquier pris à la gorge par ses commanditaires qui lui réclament les sommes énormes englouties dans sa passion du jeu. Plus sombre et plus violent, Casino Royale est dans l’ensemble une bonne surprise et un magnifique James Bond.

Le film s’inscrit dans l’ère du temps en ce que, comme les films d’espionnage récents, il bannit tout manichéisme et intègre dans les principaux personnages une ambivalence entre bien et mal. Bien plus humain que l’habituel rôle dévolu à James Bond, notre agent 007, s’il n’hésite pas à tuer et à se montrer violent, est pris de doute sur son avenir au sein de la profession, profession qu’il abandonne pour suivre la femme qu’il aime. Si cela ne pardonne pas sa dureté, on ne peut manquer de relever que Bond est dans ce film plus un homme qui souffre, qui fuit en permanence, plutôt
qu’un agent impeccable et sans état d’âme au service de Sa Majesté. En fin de compte Casino Royale nous donne une image rassurante d’un 007 éloigné du professionnalisme et de la froideur de ses prédécesseurs, capable d’émotions et de sentiments contradictoires. Du reste, c’est en luttant contre ces émotions que Bond, au terme d’un parcours initiatique, apprend à rester maître de soi et à se conformer aux ordres qui lui sont donnés.

Cette image rassurante doit cependant être tempérée du fait que Bond ne connaît justement pas d’autres règles que les normes qu’il se construit lui-même sur la base de ses émotions. Son obéissance aux ordres est loin d’être exemplaire ; il est principalement mû par son impulsivité, son intuition, ses sentiments vis-à-vis de Vesper et son dédain pour l’existence d’autrui, n’hésitant pas à écarter comme un bulldozer quiconque se trouverait sur son chemin. Sans foi ni loi autre que sa propre volonté, Bond se comporte parfois comme un voyou brutal et
mal dégrossi, même s’il est vrai que souvent il agit en état de légitime défense et possède en lui un fond chevaleresque (sa tentative pour sauver Vesper kidnappée va lui coûter cher). La complexité de ce personnage suscitant à la fois condamnation et admiration, il faut s’attacher à la façon dont la manière d’agir de James Bond est transcrite à l’écran. Martin Campbell, s’il abandonne un peu du mythe 007, n’hésite pas à montrer, de façon parfois crue pour un James Bond, la violence et la brutalité. Certaines scènes sont en effet assez dures : Bond empoisonné et torturé, tuant à mains nues, dans un environnement parfois glauque et inquiétant (les caves d’une péniche, une maison en ruine à Venise…). Cette violence est dérangeante car si les actes de Bond peuvent trouver une justification dans ses motivations personnelles et la réussite de sa mission, le fait de les montrer de telle façon est moins défendable, Bond étant avant tout un personnage de divertissement et non une allégorie de la justification de la
violence.

Stéphane JOURDAIN