Clara et moi

Film : Clara et moi (2003)

Réalisateur : Arnaud Viard

Acteurs : Julien Boisselier (Antoine), Julie Gayet (Clara), Michel Aumont (le père d’Antoine), Sophie Mounicot (Géraldine), Sasha Bourdo (Alain), Cyril Bedel (Benoît), Antoine Duléry (BT) .

Durée : 01:26:00


Ce qui marquera probablement en premier lieu le spectateur, c’est le brillant talent des acteurs, surtout des deux personnages principaux. On y retrouve la fraîcheur, la simplicité et le naturel que de nombreux réalisateurs français recherchent mais qu’ils ne trouvent que très
rarement justement parce qu’ils travaillent trop ce naturel. On est facilement séduit par le charme des acteurs : les personnages qu’ils interprètent n’ont rien d’exceptionnel, ce qui permet à de nombreux spectateurs de s’identifier et de prendre à leur compte les problèmes soulevés par la relation de Clara et « lui ». Le naturel et la réalité du film sont tels que le rapprochement avec le documentaire semble opportun. Tout est simple : le scénario n’est pas fait pour surprendre mais pour faire réfléchir, voire compatir.

Cependant, la simplicité perd parfois de son réalisme et l’histoire connaît un début quelque peu léger. En effet, tout se passe très vite, trop vite même, s’il est vrai que ce qui est important est la relation plus que la manière dont elle a commencé (qui sait ? Peut-être que ça arrive…).

La musique vient ajouter à la fraîcheur du film toujours par sa simplicité. Un passage demeure pourtant un peu douteux : on se demande
pourquoi quelques minutes du film se transforment en une sorte de comédie musicale… Comprenne qui pourra. Le réalisateur a probablement été pris d’un désir artistique fou. Évidemment le réalisme en prend un coup, mais c’est vite oublié et l’harmonie du film n’est pas perturbé.

Arnaud Viard est très à l’aise dans la réalisation, dans l’histoire. C’est un film très personnel, la vie de Arnaud Viard est très proche de celle d’Antoine. Il a commencé par faire une école de commerce et comme il le raconte lui-même, il était plus intéressé par le cinéma que par le commerce. Tout comme le héro de son film, il a eu du mal à faire accepter à ses parents son amour de la comédie. Les poins communs peuvent se multiplier mais le plus important est que, avant d’être réalisateur, Arnaud Viard est un acteur… On comprend mieux d’où viennent les qualités du naturel et d’authenticité de l’œuvre.

On connaît déjà les histoires d’amour impossible, où un Roméo ne
peut épouser une Juliette, mais on est peut-être moins habitué à ce problème moderne du sida : un amour remis en question à cause d’une maladie, amour bouleversé par la fatalité. Que ferions-nous dans une telle situation ? Le cinéaste nous met devant une question qui peut se poser à tout le monde, et c’est notre conception de l’amour qui pourra y répondre. Antoine est abattu par son sort, il déclare à Clara dans un bar : « Je ne peux pas ». Il ne peut pas assumer un amour qui se vit dans la peur de la maladie, de la mort. Egoïsme ? Prudence ? Faiblesse ? En tout cas, il ne peut pas… Peut-on l’en blâmer ? Si sa relation avec Clara était basée uniquement sur la satisfaction des besoins affectifs et des désirs sexuels, alors évidemment on comprend sa déception. Cela dit, s’il avait la volonté d’aller au-delà, de voir dans sa relation le moyen de fonder une famille et de s’épanouir avec sa femme, on comprend tout autant qu’il soit freiné. C’est dans ce dur moment qu’Antoine doit se demander quel est le but de
son amour. Sa première réaction est probablement la plus humaine, mais il se peut aussi que ce soit la plus égoïste, tout dépend de ses intentions et des espoirs qu’il avait placés en Clara. La question n’est évidemment pas de savoir si c’est immoral d’abandonner Clara à cause du sida : on a le droit de se sentir inapte à affronter une telle maladie. Le réalisateur nous balance sans cesse d’une incertitude à une autre, jusqu’à nous mettre mal à l’aise : Avions-nous réellement envie de nous poser un jour la question de notre réaction dans une telle situation ? Le courage et la prudence, l’égoïsme et la générosité sont continuellement en conflit.

Cependant l’enthousiasme pour l’œuvre s’amenuise à cause de quelques scènes érotiques, surtout quand Clara et Antoine s’avouent, pendant l’une d’elles, qu’ils sont… catholiques. Rappelons donc que la morale chrétienne n’est pas aussi laxiste en matière de sexualité que le film le montre. Pour une fois qu’un film ne cherche pas à
attaquer la religion catholique, sa vision en est erronée. De plus, le travail qu’un ami d’Antoine a proposé à Clara laisse un peu à désirer : il s’agit pour elle d’enregistrer un texte malsain et choquant (elle se présente quand même comme étant une jeune fille de 17 ans) sur un répondeur de téléphone rose. Heureusement, Antoine est très réticent à l’égard de ce travail. Il n’en demeure pas moins que si on ne fait pas attention, on peut être tenté de croire que rien n’est grave, ils sont jeunes, ils s’amusent, il n’y a pas de mal. Hé bien si, justement ! Il faut absolument lutter contre cette tendance de la relativisation où la solution est surtout de ne pas réfléchir. De fait, le film est naturel, mais il l’est justement un peu trop par certain moment, c'est-à-dire qu’il montre un certain milieu sans jamais porter de jugement critique. Si on tient compte du fait que les catholiques se retrouvent de plus en plus dans ce genre de contexte, il convient d’aborder ce film avec un regard critique et honnête car
on peut être pris par le piège du naturel et de la fraîcheur qui masque adroitement le vice et le malheur des personnes.

Ce qui est étrange chez Arnaud Viard, c’est sa manière habile de laisser toujours les questions en suspend, surtout les questions morales. En effet, plusieurs passages montrent qu’il y a un problème, puis un commencement de réponse, mais on attend toujours la chute. Par exemple, à propos du travail de téléphone rose de Clara, une dispute s’engage, Clara part et claque la porte, Antoine la rattrape et s’excuse de s’être emporté… Oui, mais qu’en est-il de l’objet de la dispute ? Arnaud Viard fera preuve d’autant de réserve jusqu’à la fin du film qui nous laisse un peu dubitatif. Ceci s’explique sûrement par le besoin de naturel du cinéaste mais un film peut-il se permettre d’être descriptif au détriment de la précision et de la clarté. A cause de cela, « Clara et moi » reste un simple film d’amour : beaucoup de questions, beaucoup de problèmes, mais peu de
réponses. Il décrit l’amour, mais ne l’analyse pas. Le spectateur risque donc d’être ému mais pas rassuré, voire perturbé.           

Jean LOSFELD