Collateral

Film : Collateral (2003)

Réalisateur : Michael Mann

Acteurs : Tom Cruise (Vincent), Jamie Foxx (Max), Jada Pinkett (Annie), Bruce McGill (Pedrosa), Peter Berg (Richard Weidner), Emilio Rivera (Paco), Barry Shabaka Henley (Daniel), Richard T. Jones (le policier...

Durée : 02:00:00


Collateral a tous les ingrédients d’un bon polar : un scénario intriguant et bien ficelé, des personnages attachants à la psychologie
figée, un flic malin essayant de coincer un tueur génial, sans parler de la présence de Tom Cruise au générique, exceptionnel dans son rôle de méchant mal rasé. On pourrait croire un moment être simplement devant un bon produit de ce cinéma de qualité made in Hollywood, où une équipe de professionnels planchent pour faire du neuf avec les poncifs du genre. Certes Collateral est un honnête divertissement, mais il est sans doute plus que cela.

Dés le début du film, une promenade dans Los Angeles la nuit donne le ton. Collateral est d’abord un film d’errance. On prend un réel plaisir à vaquer dans les rues au gré de la caméra. Michael Mann filme avec une réelle poésie le tourbillon de la nuit, mais aussi son calme et sa douce tristesse. Combien de réalisateurs ont su rendre la mélancolie d’un feu qui passe au rouge, puis au vert, dans une ruelle déserte, ou d’un immense Néon qui clignote toute la nuit, et que personne ne regarde ? Qui mieux que Michael Mann a su
fêter la façon dont la ville quand elle s’endort se met à briller de tous ses feux, comme pour vaincre les ténèbres ?

On se serait bien promené une heure et demie durant en compagnie de Michael Mann, mais puisqu’il y avait un pistolet sur l’affiche, il fallait bien raconter une histoire. Comme souvent, le scénario est entièrement construit sur une idée de départ très simple ; la collaboration forcée d’un chauffeur de taxi et d’un tueur à gages. Mais les scénaristes n’ont pas cherché à rendre cette idée crédible outre mesure en la compliquant artificiellement d’une foule de petits détails réalistes. Il faut d’ailleurs s’imprégner de cette idée : le réalisme n’est jamais une obligation. Si le film a décidé que Max ne pourra s’échapper des griffes de Vincent avant la fin, comment pourrait-il en être autrement, et quelle nécessité y a-t-il de justifier un tel postulat, puisque de toute façon une fiction demande toujours l’acceptation d’un contrat de la part du
spectateur ?

Si le scénario est en partie fantasmé, la réalisation l’est encore plus. Deux scènes sont particulièrement remarquables. Tout d’abord, la scène finale dans la bibliothèque, où les trois principaux protagonistes sont perdus au milieu des miroirs. Michael Mann s’amuse à perdre le spectateur, à lui faire confondre les personnages avec leurs reflets, exactement de la même manière dont un bonimenteur de foire vous fait perdre de vue la pièce qu’il avait placée sous l’un de ses trois gobelets. Le passage de la boîte de nuit est quant à lui le moment le plus brillant du film. La scène est complètement irréelle. Ainsi, bien que tout le monde essaye de sortir dès les premiers coups de feu, il reste toujours autant de personnes à s’agiter à l’intérieur et à courir dans tous les sens après plusieurs minutes. La mise en scène est frénétique, on aperçoit un visage ennemi furtivement, entre deux civils, des coups de feu sont tirés, sans que l’on parvienne à savoir
leurs origines et leurs effets. Michael Mann épousant ici le point de vue de Max et celui-ci étant mis en danger, il semble que ce soit le film lui-même qui perde le contrôle de la situation. Les teintes bleutées ajoutent encore à l’atmosphère d’onirisme.

Ainsi, à partir d’un sujet classique, en respectant les lois d’un genre particulier et sous le déguisement du divertissement, Collateral est un film d’une grande poésie formelle. Et si c’était précisément cela le génie du cinéma américain ?

Le film ne rentre pas dans les canons du divertissement américain en développant une morale gentillette et un peu niaise. Bien plus, les scénaristes semblent se moquer de cette tendance, comme lorsque Vincent s’amuse à raconter des bobards sur son parcours (« c’est parce que mes parents ne m’ont pas éduqué que je suis devenu un tueur »). En fait, la psychologie des personnages restant très simple, des tels discours
moralisateurs ne peuvent pas se développer.

Max et Vincent incarnent chacun de manière hiératique une attitude morale dans laquelle ils se cambrent. Vincent c’est la volonté et l’action, Max c’est l’immobilisme et le rêve. Ainsi, au début du film, Vincent est beaucoup plus sympathique que Max, mais l’histoire se développant, il apparaîtra que l’activisme de Vincent est vide de sens, puisqu’il ne repose que sur l’égoïsme. Max entre temps aura acquis juste ce qu’il faut de volonté pour prendre son destin en main et affronter Vincent. Le double triomphe final de Max (la défaite de Vincent et la séduction de la reine du bal) est aussi la victoire des principes qu’il incarnait, la générosité, l’ouverture aux autres, la patience.

Louis-Marie CARLHIAN