Travailleurs, travailleuses, avouez !
align="JUSTIFY">Avouez que votre patron(ne) vous pèse, qu'il joue au chef alors qu'il est presque parfaitement incompétent, qu'il prend des décisions qui vous hérissent le poil. Non ? Alors c'est que vous êtes le chef.
Dans Comment tuer son boss ?, les patrons sont au moins aussi importants que les salariés, et leurs caractères sont même mieux fouillés, ce qui en ferait presque un film choral. Qui n'a en effet jamais eu de patron sournois, qui compense son manque de charisme par de la sévérité, son manque d'autorité par de la contrainte ? A en voir le taux de fréquentation des salles pour ce film, cette production a très, mais alors très, bien joué ! Elle a su exploiter la résignation extraordinaire des masses laborieuses d'aujourd'hui, parfaitement résumée par quelques phrases du film : pour monter en poste, il faut accepter de se faire embêter (en vérité, le mot est moins poli,
mais nous sommes entre gens de bonne compagnie, n'est-ce pas ?). Ceux qui ne se laissent pas faire ne montent pas, c'est le triste constat d'une société rongée par l'intérêt personnel, au détriment du bien commun.
Alors que l'Histoire a vu naître de grandes figures de chefs, sincèrement persuadés d'être au service de la communauté, la société actuelle voit naître une flopée de petits chefs sans envergure, d'abord soucieux de passer leur existence dans le plus grand confort (la vie est si courte !).
C'est précisément ce que le film ne dénonce pas. En réalité, au lieu d'identifier l'égoïsme et le matérialisme qui pourrissent les relations hiérarchiques, il préfère stigmatiser les brimades, qui n'en sont que le symptôme. Pourtant il faut admettre que ce sont vraiment elles qui nourrissent le comique du film, puisque les spectateurs peuvent
parfaitement s'identifier à nos trois lurons persécutés par leurs patrons. De plus, le public averti ne manquera pas de remonter aux causes par les effets. Après tout, n'est-ce pas par égoïsme que la lubrique patronne dentiste, incarnée par la décidément bouffie Jennifer Aniston, poursuit son salarié de ses assauts sexuels ? N'est-ce pas par égoïsme et par intérêt individuel que Pellit, interprété par Colin Farrel, entreprend de sucer jusqu'à la moelle la société de son père pour s'offrir des parties fines et de la cocaïne ? N'est-ce pas par suffisance que le tonitruant directeur financier refuse à Kurt la place qui lui revient dans son entreprise ?
Avant tout comédie légère, le film cherche donc à dresser un constat qui lui servira de contexte et s'ingénie, c'est visible, à reproduire toutes les désagréments les plus courus dans nos chères entreprises.
Les situations cocasses s'
enchaînent à grande vitesse le long d'un script qui respecte à la lettre les codes des comédies américaines : discussions longues et stupides à des moments qui nécessitent une vraie prise de décision, galères en série, quiproquos et, malheureusement, bêtise et grivoiserie.
Créer un personnage de patronne nymphomane est en effet une recette à succès pour les pauvres victimes de la société de plaisir, qui ont aujourd'hui le réel besoin de se faire titiller la libido. Coucher avec la femme du patron est un fantasme reconnu que le film va donc pouvoir exploiter avec hilarité. Ajoutez à cela les entourloupettes, les mensonges et tout ce qui tresse les paniers de crabes, et la situation devient rapidement nauséabonde.
Progressivement naît donc dans l'esprit de nos trois lurons des envies de meurtre, car c'est bien de cela qu'il s'agit, et c'est
beaucoup moins drôle. Le cinéma devient alors cette catharsis que les sages dénoncent : le spectateur jubile de voir possible ce qui est très difficile dans la réalité.
« Ce n'est pas vraiment un comportement intelligent et j'espère qu'il n'y a pas de types comme ça. Nous essayons juste de faire rire. Si les gens trouvent un parallèle entre cette histoire et leur propre vie, bien. Mais je ne recommanderais pas de faire la même chose à la maison ! » explique l'acteur Jason Bateman, et Jennifer Aniston de qualifier le film de « plaisir coupable pour les personnes malheureuses dans leur travail. »
Insidieusement, le scénario fait donc cheminer la tentation (« peu importe à quel point on déteste nos patrons, se défend Dale dans le film. Nous ne sommes pas des assassins ! »), puis la justification (« de toutes façons ils
vont mourir. On ne fait qu'accélérer le processus, » dira Kurt) dans les intelligences des compères jusqu'à la prise de décision qui définit en morale l'acte intérieur, puis la mise en œuvre, qui dessine l'acte extérieur. Le bien ontologique (la disparition objective d'un salaud) se déguise en bien moral (je participe à cette disparition : « vous n'avez jamais entendu parler de meurtre justifiable ? demande Kurt. Ce serait immoral de ne pas les tuer ! ») alors qu'elle n'est qu'un mal (le meurtre). Ce cheminement meurtrier, bien rendu dans le film, renvoie le spectateur à ses propres responsabilités. Mis à part l'assassinat qui est encore solidement refusé par l'éthique ambiante (quoique ?..), c'est la question à la fois plus générale et plus quotidienne de savoir si l'on peut souhaiter de mauvaises choses, sous le prétexte bancal qu'elles sont irréalisables.
Car on ne peut parler de ce
thème majeur du film sans révéler à notre aimable et compréhensif lecteur que malgré tous leurs efforts, ces sympathiques apprentis-tueurs ne parviendront pas à leurs fins. Sont-ils dès lors lavés de tout soupçon ? N'ont-ils pas déjà commis le meurtre dans leur cœur ?
Sans répondre à ces questions, la fin du film a pourtant le mérite d'en soulever une des plus intéressantes. Alors que Nick a réussi à écarter son patron, voilà qu'il se retrouve sous les ordres d'un homme qui ne semble guère valoir mieux. Faut-il le supprimer ? Cette réflexion souligne que, selon l'adage, « nous sommes tous le con de quelqu'un. » Qu'arriverait-il alors si chacun tentait de faire disparaître ne serait-ce que son plus gros con personnel ? Et l'on retombe alors sur la question posée plus tôt : d'une manière générale (allons ! N'ayons pas peur de l'abstraction, cher lecteur
ou lectrice de L'écran !) peut-on s'autoriser à souhaiter ce qui, dans la réalité, serait un mal ?
Souvent très drôle, cette comédie bien construite pose de donc de vraies questions auxquelles elle n'a pas l'intelligence ou le courage de répondre. Dommage...
Travailleurs, travailleuses, avouez !
align="JUSTIFY">Avouez que votre patron(ne) vous pèse, qu'il joue au chef alors qu'il est presque parfaitement incompétent, qu'il prend des décisions qui vous hérissent le poil. Non ? Alors c'est que vous êtes le chef.Dans Comment tuer son boss ?, les patrons sont au moins aussi importants que les salariés, et leurs caractères sont même mieux fouillés, ce qui en ferait presque un film choral. Qui n'a en effet jamais eu de patron sournois, qui compense son manque de charisme par de la sévérité, son manque d'autorité par de la contrainte ? A en voir le taux de fréquentation des salles pour ce film, cette production a très, mais alors très, bien joué ! Elle a su exploiter la résignation extraordinaire des masses laborieuses d'aujourd'hui, parfaitement résumée par quelques phrases du film : pour monter en poste, il faut accepter de se faire embêter (en vérité, le mot est moins poli,
mais nous sommes entre gens de bonne compagnie, n'est-ce pas ?). Ceux qui ne se laissent pas faire ne montent pas, c'est le triste constat d'une société rongée par l'intérêt personnel, au détriment du bien commun.
Alors que l'Histoire a vu naître de grandes figures de chefs, sincèrement persuadés d'être au service de la communauté, la société actuelle voit naître une flopée de petits chefs sans envergure, d'abord soucieux de passer leur existence dans le plus grand confort (la vie est si courte !).
C'est précisément ce que le film ne dénonce pas. En réalité, au lieu d'identifier l'égoïsme et le matérialisme qui pourrissent les relations hiérarchiques, il préfère stigmatiser les brimades, qui n'en sont que le symptôme. Pourtant il faut admettre que ce sont vraiment elles qui nourrissent le comique du film, puisque les spectateurs peuvent
parfaitement s'identifier à nos trois lurons persécutés par leurs patrons. De plus, le public averti ne manquera pas de remonter aux causes par les effets. Après tout, n'est-ce pas par égoïsme que la lubrique patronne dentiste, incarnée par la décidément bouffie Jennifer Aniston, poursuit son salarié de ses assauts sexuels ? N'est-ce pas par égoïsme et par intérêt individuel que Pellit, interprété par Colin Farrel, entreprend de sucer jusqu'à la moelle la société de son père pour s'offrir des parties fines et de la cocaïne ? N'est-ce pas par suffisance que le tonitruant directeur financier refuse à Kurt la place qui lui revient dans son entreprise ?
Avant tout comédie légère, le film cherche donc à dresser un constat qui lui servira de contexte et s'ingénie, c'est visible, à reproduire toutes les désagréments les plus courus dans nos chères entreprises.
Les situations cocasses s'
enchaînent à grande vitesse le long d'un script qui respecte à la lettre les codes des comédies américaines : discussions longues et stupides à des moments qui nécessitent une vraie prise de décision, galères en série, quiproquos et, malheureusement, bêtise et grivoiserie.
Créer un personnage de patronne nymphomane est en effet une recette à succès pour les pauvres victimes de la société de plaisir, qui ont aujourd'hui le réel besoin de se faire titiller la libido. Coucher avec la femme du patron est un fantasme reconnu que le film va donc pouvoir exploiter avec hilarité. Ajoutez à cela les entourloupettes, les mensonges et tout ce qui tresse les paniers de crabes, et la situation devient rapidement nauséabonde.
Progressivement naît donc dans l'esprit de nos trois lurons des envies de meurtre, car c'est bien de cela qu'il s'agit, et c'est
beaucoup moins drôle. Le cinéma devient alors cette catharsis que les sages dénoncent : le spectateur jubile de voir possible ce qui est très difficile dans la réalité.
« Ce n'est pas vraiment un comportement intelligent et j'espère qu'il n'y a pas de types comme ça. Nous essayons juste de faire rire. Si les gens trouvent un parallèle entre cette histoire et leur propre vie, bien. Mais je ne recommanderais pas de faire la même chose à la maison ! » explique l'acteur Jason Bateman, et Jennifer Aniston de qualifier le film de « plaisir coupable pour les personnes malheureuses dans leur travail. »
Insidieusement, le scénario fait donc cheminer la tentation (« peu importe à quel point on déteste nos patrons, se défend Dale dans le film. Nous ne sommes pas des assassins ! »), puis la justification (« de toutes façons ils
vont mourir. On ne fait qu'accélérer le processus, » dira Kurt) dans les intelligences des compères jusqu'à la prise de décision qui définit en morale l'acte intérieur, puis la mise en œuvre, qui dessine l'acte extérieur. Le bien ontologique (la disparition objective d'un salaud) se déguise en bien moral (je participe à cette disparition : « vous n'avez jamais entendu parler de meurtre justifiable ? demande Kurt. Ce serait immoral de ne pas les tuer ! ») alors qu'elle n'est qu'un mal (le meurtre). Ce cheminement meurtrier, bien rendu dans le film, renvoie le spectateur à ses propres responsabilités. Mis à part l'assassinat qui est encore solidement refusé par l'éthique ambiante (quoique ?..), c'est la question à la fois plus générale et plus quotidienne de savoir si l'on peut souhaiter de mauvaises choses, sous le prétexte bancal qu'elles sont irréalisables.
Car on ne peut parler de ce
thème majeur du film sans révéler à notre aimable et compréhensif lecteur que malgré tous leurs efforts, ces sympathiques apprentis-tueurs ne parviendront pas à leurs fins. Sont-ils dès lors lavés de tout soupçon ? N'ont-ils pas déjà commis le meurtre dans leur cœur ?
Sans répondre à ces questions, la fin du film a pourtant le mérite d'en soulever une des plus intéressantes. Alors que Nick a réussi à écarter son patron, voilà qu'il se retrouve sous les ordres d'un homme qui ne semble guère valoir mieux. Faut-il le supprimer ? Cette réflexion souligne que, selon l'adage, « nous sommes tous le con de quelqu'un. » Qu'arriverait-il alors si chacun tentait de faire disparaître ne serait-ce que son plus gros con personnel ? Et l'on retombe alors sur la question posée plus tôt : d'une manière générale (allons ! N'ayons pas peur de l'abstraction, cher lecteur
ou lectrice de L'écran !) peut-on s'autoriser à souhaiter ce qui, dans la réalité, serait un mal ?
Souvent très drôle, cette comédie bien construite pose de donc de vraies questions auxquelles elle n'a pas l'intelligence ou le courage de répondre. Dommage...