Crazy, Stupid, Love

Film : Crazy, Stupid, Love (2011)

Réalisateur : John Requa, Glenn Ficarra

Acteurs : Steve Carell (Cal), Ryan Gosling (Jacob), Julianne Moore (Emily), Emma Stone (Hannah)

Durée : 01:58:00


Une comédie croustillante qui tente vainement de réfléchir à la nature de l'amour.

Steve Carell aime jouer les gentils pères de famille. On l'avait déjà vu à l'oeuvre aux côtés de la pimpante Tina Fey dans Crazy Night (de Shawn Levy en 2009), il revient à l'écran dans un film qu'il produit et dans lequel il tient le rôle d'un homme soumis, qu'un jeune éphèbe va aider à passer la crise de la quarantaine ainsi que le divorce. « Il doit remettre toute sa vie à plat, et trouver ce qu’il va faire. Va-t-il juste
baisser les bras ? Est-ce qu’il va se remettre en selle ? Mais ce n’est pas évident, car c’est un type qui a été marié pendant de nombreuses années. »
(Steve Carell in Dossier de presse).

Les ressorts comiques sont extrêmement classiques, à l'exception d'une surprise qu'on ne dévoilera pas au lecteur.

Au début du film, Cal n'est en effet que l'ombre de lui-même. Introverti, mal habillée, manquant de confiance en lui, il est le mec très gentil qui, phobie de l'homme du XXIe siècle, ne plaît plus aux femmes.

Jacob, quant à lui, est un jeune homme qui collectionne les femmes comme des paires de chaussures. Attendri par les déboires de Cal, il va essayer de lui faire profiter de ses conseils prétendument avisé
s.

« Ce qui m’a particulièrement plu, explique Steve Carell, c’était d’explorer les passerelles entre elles, et l’idée que même quand on vieillit, on ne détient pas toujours toutes les réponses. »

Évidemment le film met le doigt sur une vérité incontestable : l'homme marié n'a aucune bonne raison de se laisser aller. Pour Julianne Moore, « Cal et Emily sont mariés depuis longtemps, mais ils sont devenus distants, et froids l’un avec l’autre. » Un des ingrédients de base d'un mariage réussi est pourtant que chacun des époux continue de se faire beau pour l'autre, obligation (ou plaisir ?) que Cal a manifestement désertée. De plus, endosser son rôle d'homme viril (berk la th&
eacute;orie du gender, pouah !) dans le couple permet d'assumer son rôle social avec plus d'assurance, ce qui est clairement un message du film.

Mais si ce message est sensé, les sentiers qu'il emprunte sont quelque peu tortueux, pour ne pas dire tordus. Son couple envisageant le divorce, Cal va se laisser aller aux techniques de séduction de Jacob, multipliant les relations d'un soir comme si se faire enjamber par une dizaine de femmes était une thérapie, une sorte de passage obligé pour lui faire prendre conscience de son potentiel ?!

Rattrapé par la réalité, le scénario doit envisager, pour bien faire, les possibles conséquences d'une telle attitude, ne serait-ce que sur les femmes naïves et dupées par ces intrigues séductrices. Ce gros malin ne trouve en effet pas mieux que de coucher (certes sans le
savoir) avec l'institutrice de son fils, ce qui entraînera une réunion parents-professeurs quelque peu mouvementée !

De plus, les contrecoups de cette attitude ne se limitent pas aux partenaires : elles impactent directement sa vie sentimentale, bien plus en profondeur que ce que le film laisse croire. En se comportant de la sorte alors qu'il continue d'aimer sincèrement sa femme, Cal découvre ni plus ni moins qu'il est possible de séparer le sexe de l'amour, puisqu'il couche avec celles qu'il n'aime pas, et ne partage plus son lit avec celle qu'il aime... « Et alors ? » objectera certainement notre temps... Et alors comment pourrait-il, s'il se réconcilie avec sa femme, faire définitivement le deuil de ces relations charnelles fort appétissantes qu'il a déjà goûtées et dont il pourrait profiter sans avoir l'impression de ne plus
aimer son épouse ? S'il l'aime vraiment, quoi de plus beau que de lui réserver l'exclusivité de son corps ? Et comment peut-on affirmer aimer sa femme et lui mentir (puisque évidemment et contrairement au bourrage de crâne qu'on peut voir dans tous les secteurs culturels, les femmes continuent à exiger de leur homme, les infâmes coquines, d'être les seules au lit) ? Bref, ce comportement ne dresse-t-il pas plus d'obstacles sur la route de la réconciliation qu'il n'en abat ?

Cal en est tout-à-fait conscient puisqu'il considère explicitement dans le film que Jacob est un méprisable « homme à femmes. » Ryan Gosling raconte : « j’ai regardé cette série sur un roi de la drague et j’ai lu quelques bouquins avec des recettes infaillibles pour faire tomber les filles. Ils sont assez effrayants, mais j&
rsquo;ai réussi à en tirer une forme d’inspiration pour le personnage de Jacob. »

Évidemment on me reprochera une nouvelle fois mon côté « fleur bleue. » Des divorcés qui se réconcilient ! La belle idée ! Oui, sauf que d'une part on ne rappellera jamais assez que chacun des époux a promis de combattre pour toujours les misères de son alter-ego, misère dont la femme de Cal est clairement la proie, et d'autre part le film réconcilie précisément le couple à la fin, ce qui est un de ses grands messages.

Car on n'a pas encore dit que Cal et Emily sont les parents de trois enfants qui vont devoir essuyer les plâtres de cette histoire. Si l'aînée ne vit plus avec eux, les deux autres et particulièrement le cadet souffrent profond&
eacute;ment de cette relation minable. Robbie est en effet persuadé que l' « âme soeur » existe, qu'il faut simplement la trouver et ne plus s'en séparer. « C’est Robbie qui révèle le mieux le thème du film, souligne Dan Fogelman. Il incarne l’idée que plus on vieillit, plus il est difficile de garder en tête que l’amour est la seule chose qui compte, qui vaille la peine de se battre, et surtout il faut garder espoir et ne jamais baisser les bras. Robbie, qui connaît son premier amour, éprouve précisément ces sentiments-là. »

De ce fait, non seulement il croit avoir trouvé la sienne (en la personne de sa baby-sitter, elle-même amoureuse de son père, ce qui donne une idée de la température du film), mais il est persuadé que ses parents ne peuvent faire autre
chose que se remettre ensemble. « Outre l’humour, ce qui m’a plu, explique Steve Carell, c’est que le film aborde la profondeur des sentiments, et qu’il nous fait croire à l’existence d’une âme soeur et nous donne envie de nous battre pour la personne que l’on aime. »

Si cette théorie romantique n'est pas acceptable intellectuellement (d'abord elle répond à une certaine forme de prédestination et nie la complexité de l'être humain, être évolutif qui peut se transformer au point de ne plus avoir besoin des mêmes complémentarités, ensuite elle signifierait qu'au décès de la prétendue âme soeur, le remariage soit non seulement impossible mais même immoral), elle n'en est pas moins la cause d'une grande souffrance chez ce jeune garçon, qui peine à comprendre la
situation que lui imposent ses parents. Désorienté par leur attitude, il cessera d'y croire jusqu'à la réconciliation de ses parents.

Crazy, stupid, love est donc un film qui entrevoit des choses assez justes mais se perd dans des idées farfelues. Voilà qui est bien dommage.