Démineurs

Film : Démineurs (2009)

Réalisateur : Kathryn Bigelow

Acteurs : Jeremy Renner (Sgt William James), Anthony Mackie (Sgt JT Sanborn), Brian Geraghty (Owen Eldridge), Guy Pearce (Sgt Matt Thompson) .

Durée : 02:04:00


Réalisatrice, productrice et scénariste du film, Kathryn Bigelow, déjà au générique de Pointbreak extrême limite (1991) et de K-19, le piège des profondeurs (2002), signe ici un film d'excellente économie dont le sort n'était pas évident.

Difficile en effet de parler de Démineurs sans penser immédiatement à la prolifique filmographie faite autour de la guerre du Vietnam ou, plus récemment, au film The Kingdom (Le Royaume, 2007), dans lequel Jamie Foxx doit démanteler un réseau de terroristes en Arabie Saoudite.
Tourné en Jordanie pour des raisons de sécurité, à quelques pas parfois de la frontière irakienne, ce film s'intègre bien dans cette veine et cette plongée au coeur de l'enfer est admirablement bien orchestrée. Le spectateur oscille entre les sentiments de sécurité ou d'insécurité au gré des plans fixes ou, au contraire, des balancements d'une caméra-épaule (format super-16 !) omnisciente. La musique est maniée avec circonspection : ni trop, ni pas assez.

Sublimé par un contexte extrêmement bien travaillé et très réaliste, le jeu est remarquable, probablement dû au fait que « les acteurs ont suivi un entraînement dans des bases militaires. Ils ont pu rencontrer des spécialistes du déminage. Ils ont appris leur langage et les rudiments du maniement des explosifs. » (Kathryn Bigelow, in Entretien vidéo sur Allocine.fr).
Déjà à l'origine de Dans la vallée d'Elah de Paul Haggis, dans lequel Tommy Lee Jones incarne un père enquêtant sur la disparition de son fils, soldat en Irak, le scénariste du film, Mark Boal, déclenche un beau jour l'esprit créatif de Kathryn Bigelow en publiant dans la revue Playboy un article intitulé Death and dishonor.

« Lorsque Mark Boal est rentré d'un reportage en Irak, il m'a parlé de ces soldats qui désamorcent des bombes en pleine zone de combat ce qui, de toute évidence, est une mission réservée aux hommes les plus qualifiés qui s'en acquittent au péril de leur vie. Quand il m'a raconté qu'ils étaient totalement exposés et qu'ils n'utilisaient rien d'autre que des pinces pour désamorcer une bombe suffisamment puissante pour faire des victimes à 300 mètres à la ronde, j'ai été sonnée... » (Kathryn Bigelow, Allocine.fr).
La réalisatrice demande à Mark de s'associer au projet, afin d' « apporter de l'authenticité à l'action » : succès indéniable.

Jeremy Wenner, notamment au casting de SWAT, unités d'élite (2003), incarne quant à lui un officier tout à fait crédible qui ne fait pas regretter un seul instant Colin Farrel, pressenti à l'origine pour le rôle.

 

 

Pour James Cameron, ex-mari de la réalisatrice, le film « pourrait devenir le Platoon de la guerre en Irak. » (in Allocine.fr) Peut-être... A la différence que cet opus est moins sombre que son homologue de 1987. Même si la blancheur de la pellicule renforce le caractère réaliste du point de vue, l'assurance du Lieutenant (« j'assure ! »), l'humour et le très présent comique de situation désamorcent sûrement les mines du désespoir. Le suspens est engagé de façon intense mais parcimonieuse, et la dureté des images réveillera à n'en pas douter la conscience politique du spectateur.

Alors qu'il aurait été tellement simple pour Kathryn Bigelow de faire de ce film un nouvel outil de propagande américaine, celle-ci se contente de dépasser les clivages en décrivant le quotidien difficile de milliers de soldats engagés dans des conflits usants et violents, dans un anonymat angoissant pour eux, coupable pour nous autres. On retrouve à n'en pas douter les vieux démons de la guerre du Vietnam. Les deux équipiers du lieutenant, Sanborn et Eldridge, ont beaucoup de mal à accepter leur sort, à l'instar des protagonistes du film Full Metal Jacket (contemporain de Platoon). Le premier, que l'é preuve aide à mûrir son désir de paternité, tremble à la moindre idée de remonter dans son véhicule d'intervention et le second, dont le manque de réactivité à déjà coûté la vie à un camarade, essaie tant bien que mal de ne pas décrocher psychologiquement. C'est presque rassuré qu'on assiste à son évacuation par hélicoptère, loin de cette région dévastée par la mort et la peur.
La peur... « La peur a mauvaise réputation, mais je pense que ce n'est pas justifié. La peur permet de clarifier les choses car elle vous oblige à vous focaliser sur ce qui est important, en laissant de côté ce qui est accessoire. » (in Allocine.fr) C'est ainsi que la réalisatrice conçoit ce sentiment partagé par tant d'individus, sans pour autant se perdre dans un voyeurisme hors de propos.
Face à cette peur, la passion. Alors que le début du film préfigure les traits d'un héros de western sans peur et sans reproche, la suite évite avec dextérité l'écueil de la caricature pour se pencher sur la passion irrationnelle d'un soldat pour son métier, difficile entre tous, qui ne peut être vécue que par des destins choisis. Jamais l'opiniâtre William James (pas plus que le film lui-même d'ailleurs) ne parviendra à expliquer ni à son équipier ni à son épouse, qu'il ne voit que de manière lapidaire, le feu qui l'anime. Et pourtant ce n'est qu'en débarquant de l'avion de transport de troupes pour reprendre les armes qu'il a le sourire aux lèvres.

« Lorsque j'ai découvert que ces hommes se portent volontaires pour ce type de mission extrêmement dangereuse, et qu'ils y prennent tellement goût qu'ils ne pourraient pas concevoir de faire autre chose, j'ai compris que je tenais là le sujet de mon nouveau film. » (Kathryn Bigelow, Allocine.fr).

Pour autant cette « guerre du miséreux » reste torturante en ce qu'elle échappe aux spécificités des guerres asymétriques pour prendre les traits de la folie, qui conduit à tuer un jeune enfant pour en faire un cadavre piégé, qui mène un bon père de famille à revêtir une ceinture d'explosifs pour le regretter quand il sera trop tard, qui entraîne la nécessaire irrévérence à l'égard de la population autochtone, et qui pousse un officier supérieur à exécuter sans état d'âme un prisonnier agonisant qu'il aurait pu sauver.

Sale guerre en effet, au coeur de laquelle germe imperturbablement la brillance de grands destins, ultimes témoins d'une humanité traîtresse à sa noirceur.