Detective Dee s'inscrit dans un
genre chinois maintenant bien célèbre en Occident, le Wu Xia Pian, film de sabre. Le réalisateur, Tsui Hark, avait déjà fait entrer ce genre dans nos contrés avec son IL était une fois en Chine, mais c'est surtout le Tigre et Dragon de Ang Lee qui a relancé le Wu Xia Pian. Depuis, les meilleurs cinéastes chinois nous gratifient régulièrement d'un film de sabre (Le secret des poignards volants, Hero, Zhang Yimou, La cité interdite réalisés par Zhang Yimou).
Ce genre permet généralement de renouer avec la quintessence de la culture chinoise au travers sa nostalgie d'Empire, ses héros légendaires, sa philosophie, son organisation politique, ses arts martiaux... Ces films méritent donc un soin esthétique tout particulier. Detective Dee est une réussite sur de nombreux points. On peut tout d'abord souligner la photographie ainsi que l'habillage numérique (images de synthèse)
élaboré qui permettent de reconstituer avec poésie un monde oublié. Les cinéastes ont manifestement pris très au sérieux le travail de la lumière, tantôt mystique, tantôt réaliste. Le soleil, de part son importance scénaristique, bénéficie d'une attention spéciale. Outre les couchers de soleil grandioses qui magnifient les décors, les ciels ne perdent jamais leurs détails même dans les contre-jours les plus violents (ce qui fait penser aux techniques HDR en photographie qui permettent de compenser les fortes différences de luminosité). On pourra cependant regretter une surenchère numérique qui manque de naturel et contraste fortement avec les scènes qui se veulent plus réalistes. Par ailleurs, certains effets spéciaux manquent cruellement de finesse empêchant ainsi une immersion totale. Pour exemple, les cerfs ont une texture trop synthétique pour être crédibles. Peut-être le budget y est-il pour quelque chose...
De même éprouve-t-on un sentiment mitigé à l'égard des combats. Ce n'est pas que les chorégraphies du célèbre Sammo Hung, également chorégraphe des Cendres du temps de Wong Kar Wai, soient ratées mais les choix de rythmeset de montage sont parfois étranges. Certains ralentis viennent maladroitement casser la fluidité des mouvements bien que l'on comprenne qu'il s'agit surtout d'accentuer l'intensité d'une action. Le spectateur se retrouve donc ballotté entre combats réalistes et rapides et chorégraphies spectaculaires, aériennes mais alourdies par le montage. L'univers martial est malgré tout bien rendu mais on pouvait espérer d'un film de cette ampleur des duels résultant davantage de la performance sportive que de la prouesse visuelle. Certaines séquences font preuve néanmoins d'une grande virtuosité technique (cf. le combat sur l'eau dans le marché fantôme).
Le scénario ne
présente pas de grandes particularités. En plus d'être un film de sabre, Detective Dee est un thriller, une enquête construite comme un film policier. Le juge Dee cherche des indices, fait des relations et parvient progressivement à démêler le complot. Le découpage est relativement simple et les événements se succèdent assez logiquement malgré quelques ellipses. Ce classicisme n'aurait pas été un mal s'il avait pris la peine d'être un peu plus profond.
En effet, le film recèle quelques messages politiques mais ceux-ci sont plus des éléments de décors que de véritables réflexions. A travers le personnage de l'impératrice, Tsui Hark vise le besoin de modernité en politique et s'attaque timidement au pouvoir dictatorial. Ici, la modernité est synonyme de féminité. Les notables du palais conspirent contre la régente car ils estiment que ce n'est pas à une femme de gouverner l'Empire. Mais en
définitive l'impératrice malgré sa beauté et ses somptueux costumes a les mêmes défauts qu'un tyran de l'autre sexe. Sa devise est que « pour accomplir de grandes choses, n'importe qui est sacrifiable ». Elle passe donc rapidement pour une « mégère » (dans la version sous-titrée) qui ne devrait pas être au pouvoir.
Mais les rapports entre l'impératrice et le juge Dee sont assez ambigus et auraient gagné en développement. Dee finit par s'agenouiller devant la régente en la reconnaissant comme impératrice mais l'implore de céder sa place au prince héritier (ce qu'elle fera quinze ans plus tard nous informe le générique). Pour le spectateur, cette réaction de Dee doit être comprise comme un acte de sagesse montrant la supériorité de l'esprit sur la violence mais les cinéastes n'ont réellement fourni aucun effort pour faire comprendre ce passage de la révolte à la soumission. De plus, l'histoire est
hautement romancée et tend à faire passer l'impératrice Wu Zetian certes pour une « mégère », mais aussi pour une femme d'honneur qui propose au juge un poste auprès d'elle et surtout fait la promesse de se retirer au profit du prince héritier. En réalité, il semblerait qu'elle ait été forcée d'abdiquer en 705 à cause d'une nouvelle rébellion d'un ministre. Quant au juge Dee, le personnage historique dont il est inspiré aurait fini sa carrière au palais. Pire, le générique essaie de faire croire que le royaume vivait alors dans la paix, ce qui est une déformation. Tsui Hark, qui se montrait moins tendre à l’égard de la dictature dans Seven Swords, se montre étonnamment mou et imprécis. Évidemment, on sait que la Chine n'est pas connue pour être un grand défenseur de la liberté d'expression. La conséquence est une sorte de magma mystérieux qui laisse septiques ceux qui aiment comprendre... Pour les autres, l'action suffira.
On retiendra néanmoins que face à une dictature tous les coups ne sont pas permis : une injustice n'en justifie pas une autre. C'est pourquoi Dee tente de raisonner son ami, ancien camarade de révolte, qui souhaite renverser la future impératrice par la force au mépris des innocents. D'accord, mais à part le dénouement à l'eau de rose, le film ne propose pas de solution à la dictature, voire prône l'immobilisme...
Simpliste également est la relation entre Dee et la favorite de l'impératrice. Une vague histoire d'amour est censée exister mais on peine à lui trouver un intérêt. On est davantage ému par la mort du guerrier Shatuo... On effleure légèrement la problématique de la confrontation entre le devoir et le désir mais de manière tellement brouillonne qu'on ne peut rien en tirer de très concret.
Bref, Detective Dee est un film assez inégal qui ne pourra pas accéder au panthéon des meilleurs Wu Xia Pian, en raison de son absence de profondeur morale et dramatique. En revanche, c'est sans doute le plus amusant...
Jean Losfeld
genre chinois maintenant bien célèbre en Occident, le Wu Xia Pian, film de sabre. Le réalisateur, Tsui Hark, avait déjà fait entrer ce genre dans nos contrés avec son IL était une fois en Chine, mais c'est surtout le Tigre et Dragon de Ang Lee qui a relancé le Wu Xia Pian. Depuis, les meilleurs cinéastes chinois nous gratifient régulièrement d'un film de sabre (Le secret des poignards volants, Hero, Zhang Yimou, La cité interdite réalisés par Zhang Yimou).
Ce genre permet généralement de renouer avec la quintessence de la culture chinoise au travers sa nostalgie d'Empire, ses héros légendaires, sa philosophie, son organisation politique, ses arts martiaux... Ces films méritent donc un soin esthétique tout particulier. Detective Dee est une réussite sur de nombreux points. On peut tout d'abord souligner la photographie ainsi que l'habillage numérique (images de synthèse)
élaboré qui permettent de reconstituer avec poésie un monde oublié. Les cinéastes ont manifestement pris très au sérieux le travail de la lumière, tantôt mystique, tantôt réaliste. Le soleil, de part son importance scénaristique, bénéficie d'une attention spéciale. Outre les couchers de soleil grandioses qui magnifient les décors, les ciels ne perdent jamais leurs détails même dans les contre-jours les plus violents (ce qui fait penser aux techniques HDR en photographie qui permettent de compenser les fortes différences de luminosité). On pourra cependant regretter une surenchère numérique qui manque de naturel et contraste fortement avec les scènes qui se veulent plus réalistes. Par ailleurs, certains effets spéciaux manquent cruellement de finesse empêchant ainsi une immersion totale. Pour exemple, les cerfs ont une texture trop synthétique pour être crédibles. Peut-être le budget y est-il pour quelque chose...
De même éprouve-t-on un sentiment mitigé à l'égard des combats. Ce n'est pas que les chorégraphies du célèbre Sammo Hung, également chorégraphe des Cendres du temps de Wong Kar Wai, soient ratées mais les choix de rythmeset de montage sont parfois étranges. Certains ralentis viennent maladroitement casser la fluidité des mouvements bien que l'on comprenne qu'il s'agit surtout d'accentuer l'intensité d'une action. Le spectateur se retrouve donc ballotté entre combats réalistes et rapides et chorégraphies spectaculaires, aériennes mais alourdies par le montage. L'univers martial est malgré tout bien rendu mais on pouvait espérer d'un film de cette ampleur des duels résultant davantage de la performance sportive que de la prouesse visuelle. Certaines séquences font preuve néanmoins d'une grande virtuosité technique (cf. le combat sur l'eau dans le marché fantôme).
Le scénario ne
présente pas de grandes particularités. En plus d'être un film de sabre, Detective Dee est un thriller, une enquête construite comme un film policier. Le juge Dee cherche des indices, fait des relations et parvient progressivement à démêler le complot. Le découpage est relativement simple et les événements se succèdent assez logiquement malgré quelques ellipses. Ce classicisme n'aurait pas été un mal s'il avait pris la peine d'être un peu plus profond.
En effet, le film recèle quelques messages politiques mais ceux-ci sont plus des éléments de décors que de véritables réflexions. A travers le personnage de l'impératrice, Tsui Hark vise le besoin de modernité en politique et s'attaque timidement au pouvoir dictatorial. Ici, la modernité est synonyme de féminité. Les notables du palais conspirent contre la régente car ils estiment que ce n'est pas à une femme de gouverner l'Empire. Mais en
définitive l'impératrice malgré sa beauté et ses somptueux costumes a les mêmes défauts qu'un tyran de l'autre sexe. Sa devise est que « pour accomplir de grandes choses, n'importe qui est sacrifiable ». Elle passe donc rapidement pour une « mégère » (dans la version sous-titrée) qui ne devrait pas être au pouvoir.
Mais les rapports entre l'impératrice et le juge Dee sont assez ambigus et auraient gagné en développement. Dee finit par s'agenouiller devant la régente en la reconnaissant comme impératrice mais l'implore de céder sa place au prince héritier (ce qu'elle fera quinze ans plus tard nous informe le générique). Pour le spectateur, cette réaction de Dee doit être comprise comme un acte de sagesse montrant la supériorité de l'esprit sur la violence mais les cinéastes n'ont réellement fourni aucun effort pour faire comprendre ce passage de la révolte à la soumission. De plus, l'histoire est
hautement romancée et tend à faire passer l'impératrice Wu Zetian certes pour une « mégère », mais aussi pour une femme d'honneur qui propose au juge un poste auprès d'elle et surtout fait la promesse de se retirer au profit du prince héritier. En réalité, il semblerait qu'elle ait été forcée d'abdiquer en 705 à cause d'une nouvelle rébellion d'un ministre. Quant au juge Dee, le personnage historique dont il est inspiré aurait fini sa carrière au palais. Pire, le générique essaie de faire croire que le royaume vivait alors dans la paix, ce qui est une déformation. Tsui Hark, qui se montrait moins tendre à l’égard de la dictature dans Seven Swords, se montre étonnamment mou et imprécis. Évidemment, on sait que la Chine n'est pas connue pour être un grand défenseur de la liberté d'expression. La conséquence est une sorte de magma mystérieux qui laisse septiques ceux qui aiment comprendre... Pour les autres, l'action suffira.
On retiendra néanmoins que face à une dictature tous les coups ne sont pas permis : une injustice n'en justifie pas une autre. C'est pourquoi Dee tente de raisonner son ami, ancien camarade de révolte, qui souhaite renverser la future impératrice par la force au mépris des innocents. D'accord, mais à part le dénouement à l'eau de rose, le film ne propose pas de solution à la dictature, voire prône l'immobilisme...
Simpliste également est la relation entre Dee et la favorite de l'impératrice. Une vague histoire d'amour est censée exister mais on peine à lui trouver un intérêt. On est davantage ému par la mort du guerrier Shatuo... On effleure légèrement la problématique de la confrontation entre le devoir et le désir mais de manière tellement brouillonne qu'on ne peut rien en tirer de très concret.
Bref, Detective Dee est un film assez inégal qui ne pourra pas accéder au panthéon des meilleurs Wu Xia Pian, en raison de son absence de profondeur morale et dramatique. En revanche, c'est sans doute le plus amusant...