Le cinéma coréen a encore une fois fait montre de talent dans ce film aussi beau qu’effrayant. Ce drame, adapté par Kim Jee-Woon d’un conte populaire coréen Janghwa et Hongryun qui signifie en français "Rose et Fleur Lotus", fait partie de
ces films asiatiques qui ne doivent et ne peuvent être confondus avec le genre cinématographique de l’horreur. Cependant, même s’il n’y a pas d’effusion de sang ou de monstres hideux nés de la fiole d’un chimiste audacieux, chaque image transpire d’une intensité angoissante. Certes le genre a ses précurseurs, et pas des moindres. On peut notamment citer l’incontournable Ring (inspiré du roman japonais Ringu de Kôji Suzuki et adapté au cinéma par Hideo Nakata) qui a soufflé à Kim Jee-Woon quelques idées (une pièce éclairée par une télévision brouillée ou encore la jeune fille en chemise de nuit blanche avec de long cheveux noirs qui masquent son visage…). Le réalisateur ne cache pas non plus les influences de The Village de M. Night Shyamalan (sûrement pour le travail de l’intensité de certaines séquences), de Pique-nique à Hanging Rock de Peter Weir, et enfin de Créatures célestes de Peter Jackson (dont l’éclairage de certaines scènes est remarquable).
Deux sœurs mérite
cependant d’être isolé pour sa force de suspense (n’en déplaise aux habitués de l’épouvante en quête de sensations fortes !) et surtout pour sa photographie remarquable. La peur est en effet un élément prioritaire dans la réalisation du film et on ne peut en analyser les caractéristiques sans faire de rétrospective filmographique (trop longue à reproduire ici), que ce soit le film d’horreur lambda, l’épouvante, ou le thriller psychologique. Evidemment on retrouve de nombreux éléments classiques comme le jeu lent des acteurs face à l’inconnu, les bruits de pas étouffés sur le plancher, le silence total de certaines scènes ou au contraire l’appui musical… Mais il y a des éléments un peu moins courants tels que les juxtapositions de plans fixes sur des pièces désertes et… un peu trop calmes, avec une profondeur de champ et une luminosité inquiétantes.
Comment passer à côté de ce travail de lumière ? Lumière à la fois symbolique et réaliste, effrayante et rassurante, froide et
douce qui nous frappe par l’opposition magique d’un dehors éblouissant, quasi féerique, et d’un dedans démoniaque. Kim Jee-Woon a en effet choisi ses jeux de lumière en fonction des situations. C’est pourquoi la luminosité des scènes à l’extérieur est forte et rassurante, conjuguée admirablement avec une magnifique liberté de mouvement de la caméra (la scène où les deux sœurs sont près d’un lac est splendide : un beau moment de contemplation). Evidemment ce monde extérieur fait contraste avec l’univers sombre, ou plutôt de plus en plus sombre : le réalisateur explique que l’arrivée dans la maison la première fois est éclairée de manière réaliste pour que le spectateur ne s’attende pas à des phénomènes paranormaux. Une lumière donc particulièrement efficace.
Le choix des couleurs est par ailleurs remarquable. On pourrait se montrer réticent à parler de poésie dans ce genre de film tant le sujet semble antagoniste à cette appellation, mais les images véhiculent une beauté
incontestable. A l’instar de la lumière, les couleurs sont tantôt réalistes tantôt symboliques et toujours efficaces : le réalisateur explique, pour donner un exemple, que le père est souvent placé dans un environnement de gris (c'est-à-dire ni blanc ni noir), ce qui montre que le personnage n’arrive pas à prendre position. De même, chaque pièce a sa couleur dominante et significative, imprégnant ainsi la demeure d’un charme étrange ; valse des teintes, tourbillon de lumière, Jee-Woon a, semble-t-il, réussi son objectif de « créer des couleurs que l’on n’aurait jamais vues dans le cinéma coréen ».
Le montage, quant à lui, ne se démarque pas vraiment d’autres films du même acabit. Il présente même quelques faiblesses dans le découpage qui influent sur la compréhension du scénario (le montage alterné n’est en l’occurrence pas toujours très clair). Même si de nombreuses transitions sont remarquables et justifiées, que l’usage des fondus enchaînés est sobre (en opposition à d’
autres films d’épouvante qui les multiplient pour captiver l’attention et entretenir le suspense), il n’en demeure pas moins que l’histoire est difficile, voire impossible à pénétrer tant elle est hypothétique : défaut ? Certains diront que c’est une qualité, mais il est souvent plus facile de compliquer au maximum que de clarifier en gardant une intensité.
Cependant, pour ce qu’on comprend dans l’ensemble, le scénario est intéressant et nous plonge bien dans l’univers psychotique de la folie. Dans une des scènes clefs du film, un travelling circulaire bouleverse le spectateur par sa révélation et le met face à l’absurdité de la folie en témoignant en même temps de sa logique. Réalité ? Illusion ? Folie ? Autant de thèmes que le monde asiatique aime mettre en scène.
L’iconicité (ensemble de signes qui possèdent certaines propriétés de l’objet représenté) et la plasticité de l’image (ensemble formel de l’image) s’harmonisent dans une congruence
remarquable.
Aisance de la caméra, puissance diégétique, Deux sœurs a été sans conteste l’un des films d’épouvante coréens les plus esthétiques à sa sortie en 2003.
Une autre qualité de l’œuvre tient au fait que, malgré sa vocation à faire peur, elle ne recherche pas les sensations douteuses, les scènes grotesques qui pèsent par leur « hémoglobinisme ». Le film joue plutôt sur les phantasmes de chacun, les peurs de l’enfance, les démons des adultes, et finalement, il nous jette un défi : sommes-nous bien sûrs de nous connaître ? N’y a-t-il pas un « placard » quelque part que nous n’osons approcher ? Le noir nous effraie-t-il toujours autant ?
Une question s’impose. Est-il nécessairement malsain de jouer sur les peurs des spectateurs ? Il y a la peur, mais il y a le divertissement. Tout dépend de la manière de présenter la chose. Ce qui est vraiment malsain, c’est de prendre plaisir à voir souffrir. Ce qui est
bon c’est de voir la souffrance, le trouble, et de compatir. La peur nous apprend beaucoup sur nous-mêmes. Deux sœurs est en ce sens une bobine qu’il faut retirer du panier des films d’horreur et de certains films d’épouvante qui ne dépassent pas le premier degré.
De plus, et c’est bien le signe que ce film ne recherche pas de sensations douteuses ou honteuses, Deux sœurs ne contient aucune scène érotique ni même suggestive, ce qui décevra sans doute les admirateurs de « scream queens » (« reines du hurlement », dont Fay Wray est communément admise comme la première dans l’histoire du cinéma, dans King Kong de Cooper en 1933). Mais c’est un genre où le sexe n’a pas sa place parce qu’il ne se situe pas au niveau des pulsions érotiques de l’homme mais plutôt de ses vraies peurs.
Enfin, il ne faut pas confondre choquant et malsain. Le film affiche suffisamment son genre pour qu’on ne soit pas surpris si l’on décide de le visionner. Donc, âmes
sensibles s’abstenir !
Jean LOSFELD
ces films asiatiques qui ne doivent et ne peuvent être confondus avec le genre cinématographique de l’horreur. Cependant, même s’il n’y a pas d’effusion de sang ou de monstres hideux nés de la fiole d’un chimiste audacieux, chaque image transpire d’une intensité angoissante. Certes le genre a ses précurseurs, et pas des moindres. On peut notamment citer l’incontournable Ring (inspiré du roman japonais Ringu de Kôji Suzuki et adapté au cinéma par Hideo Nakata) qui a soufflé à Kim Jee-Woon quelques idées (une pièce éclairée par une télévision brouillée ou encore la jeune fille en chemise de nuit blanche avec de long cheveux noirs qui masquent son visage…). Le réalisateur ne cache pas non plus les influences de The Village de M. Night Shyamalan (sûrement pour le travail de l’intensité de certaines séquences), de Pique-nique à Hanging Rock de Peter Weir, et enfin de Créatures célestes de Peter Jackson (dont l’éclairage de certaines scènes est remarquable).
Deux sœurs mérite
cependant d’être isolé pour sa force de suspense (n’en déplaise aux habitués de l’épouvante en quête de sensations fortes !) et surtout pour sa photographie remarquable. La peur est en effet un élément prioritaire dans la réalisation du film et on ne peut en analyser les caractéristiques sans faire de rétrospective filmographique (trop longue à reproduire ici), que ce soit le film d’horreur lambda, l’épouvante, ou le thriller psychologique. Evidemment on retrouve de nombreux éléments classiques comme le jeu lent des acteurs face à l’inconnu, les bruits de pas étouffés sur le plancher, le silence total de certaines scènes ou au contraire l’appui musical… Mais il y a des éléments un peu moins courants tels que les juxtapositions de plans fixes sur des pièces désertes et… un peu trop calmes, avec une profondeur de champ et une luminosité inquiétantes.
Comment passer à côté de ce travail de lumière ? Lumière à la fois symbolique et réaliste, effrayante et rassurante, froide et
douce qui nous frappe par l’opposition magique d’un dehors éblouissant, quasi féerique, et d’un dedans démoniaque. Kim Jee-Woon a en effet choisi ses jeux de lumière en fonction des situations. C’est pourquoi la luminosité des scènes à l’extérieur est forte et rassurante, conjuguée admirablement avec une magnifique liberté de mouvement de la caméra (la scène où les deux sœurs sont près d’un lac est splendide : un beau moment de contemplation). Evidemment ce monde extérieur fait contraste avec l’univers sombre, ou plutôt de plus en plus sombre : le réalisateur explique que l’arrivée dans la maison la première fois est éclairée de manière réaliste pour que le spectateur ne s’attende pas à des phénomènes paranormaux. Une lumière donc particulièrement efficace.
Le choix des couleurs est par ailleurs remarquable. On pourrait se montrer réticent à parler de poésie dans ce genre de film tant le sujet semble antagoniste à cette appellation, mais les images véhiculent une beauté
incontestable. A l’instar de la lumière, les couleurs sont tantôt réalistes tantôt symboliques et toujours efficaces : le réalisateur explique, pour donner un exemple, que le père est souvent placé dans un environnement de gris (c'est-à-dire ni blanc ni noir), ce qui montre que le personnage n’arrive pas à prendre position. De même, chaque pièce a sa couleur dominante et significative, imprégnant ainsi la demeure d’un charme étrange ; valse des teintes, tourbillon de lumière, Jee-Woon a, semble-t-il, réussi son objectif de « créer des couleurs que l’on n’aurait jamais vues dans le cinéma coréen ».
Le montage, quant à lui, ne se démarque pas vraiment d’autres films du même acabit. Il présente même quelques faiblesses dans le découpage qui influent sur la compréhension du scénario (le montage alterné n’est en l’occurrence pas toujours très clair). Même si de nombreuses transitions sont remarquables et justifiées, que l’usage des fondus enchaînés est sobre (en opposition à d’
autres films d’épouvante qui les multiplient pour captiver l’attention et entretenir le suspense), il n’en demeure pas moins que l’histoire est difficile, voire impossible à pénétrer tant elle est hypothétique : défaut ? Certains diront que c’est une qualité, mais il est souvent plus facile de compliquer au maximum que de clarifier en gardant une intensité.
Cependant, pour ce qu’on comprend dans l’ensemble, le scénario est intéressant et nous plonge bien dans l’univers psychotique de la folie. Dans une des scènes clefs du film, un travelling circulaire bouleverse le spectateur par sa révélation et le met face à l’absurdité de la folie en témoignant en même temps de sa logique. Réalité ? Illusion ? Folie ? Autant de thèmes que le monde asiatique aime mettre en scène.
L’iconicité (ensemble de signes qui possèdent certaines propriétés de l’objet représenté) et la plasticité de l’image (ensemble formel de l’image) s’harmonisent dans une congruence
remarquable.
Aisance de la caméra, puissance diégétique, Deux sœurs a été sans conteste l’un des films d’épouvante coréens les plus esthétiques à sa sortie en 2003.
Une autre qualité de l’œuvre tient au fait que, malgré sa vocation à faire peur, elle ne recherche pas les sensations douteuses, les scènes grotesques qui pèsent par leur « hémoglobinisme ». Le film joue plutôt sur les phantasmes de chacun, les peurs de l’enfance, les démons des adultes, et finalement, il nous jette un défi : sommes-nous bien sûrs de nous connaître ? N’y a-t-il pas un « placard » quelque part que nous n’osons approcher ? Le noir nous effraie-t-il toujours autant ?
Une question s’impose. Est-il nécessairement malsain de jouer sur les peurs des spectateurs ? Il y a la peur, mais il y a le divertissement. Tout dépend de la manière de présenter la chose. Ce qui est vraiment malsain, c’est de prendre plaisir à voir souffrir. Ce qui est
bon c’est de voir la souffrance, le trouble, et de compatir. La peur nous apprend beaucoup sur nous-mêmes. Deux sœurs est en ce sens une bobine qu’il faut retirer du panier des films d’horreur et de certains films d’épouvante qui ne dépassent pas le premier degré.
De plus, et c’est bien le signe que ce film ne recherche pas de sensations douteuses ou honteuses, Deux sœurs ne contient aucune scène érotique ni même suggestive, ce qui décevra sans doute les admirateurs de « scream queens » (« reines du hurlement », dont Fay Wray est communément admise comme la première dans l’histoire du cinéma, dans King Kong de Cooper en 1933). Mais c’est un genre où le sexe n’a pas sa place parce qu’il ne se situe pas au niveau des pulsions érotiques de l’homme mais plutôt de ses vraies peurs.
Enfin, il ne faut pas confondre choquant et malsain. Le film affiche suffisamment son genre pour qu’on ne soit pas surpris si l’on décide de le visionner. Donc, âmes
sensibles s’abstenir !