Devil Inside

Film : Devil Inside (2012)

Réalisateur : William Brent Bell

Acteurs : Fernanda Andrade (Isabella Rossi), Simon Quarterman (Ben), Evan Helmuth (David), Suzan Crowley (Maria Rossi)

Durée : 01:23:00


Un film qui se sert de l'exorcisme comme d'un spectacle, ce qu'il n'est pas.

Comme nous le rappelions lors de la sortie de Le Rite (Mikaël Hafström, 2010), le genre n’en est pas à sa première manifestation, sans doute initié par L’Exorciste de William Friedkin (1973). Nous évoquions également la difficulté pour un film d’aborder de tels sujets avec objectivité dans une œuvre de fiction. Les problématiques sont donc transposables bien que ces deux films soient sensiblement différents, tant sur la forme que sur le fond.

Ce qui frappe d’emblée dans Devil Inside, c’est la volonté très poussée de ré alisme qu’il convient cependant de nuancer dans l’analyse. Si pour Le Rite il était possible de souligner un certain réalisme davantage dans le fond que dans la forme, Devil Inside prend le parti inverse. Caméra épaule, une réalisation à la Projet Blair Witch (Daniel Myrick, Eduardo Sanchez, 1999) ou Cloverfield (Matt Reeves, 2008), les cinéastes ont donné à leur film la forme d’un reportage avec des interviews de scientifiques, médecins, et prêtres qui donnent leur point de vue sur la possession démoniaque. À croire les réactions des spectateurs durant la séance, les efforts pour que l’on croit à un documentaire sont payants. Pourquoi avoir choisi cette forme ? Dans un film comme Cloverfield, le spectateur n’est pas trompé car il s’agit bien d’une fiction simplement filmée avec une cam& eacute;ra amateur par un protagoniste du film. Le côté « film amateur » est donc clairement intégré dans la fiction. Ici, la forme documentaire est plus trompeuse. Le documentaire donne le sentiment, non pas tellement que le film se veut réaliste, mais qu’il est la réalité. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le style « faux documentaire » est utilisé (cf. par exemple Phénomènes Paranormaux, d’Olatunde Osunsanmi, 2010). C’est aussi un grand avantage commercial puisque ce genre ne coûte pas cher. Le film n’a bénéficié que d’un petit budget d’un million de dollars mais a rapidement été l’un des films les plus rentables lors de sa sortie aux États-Unis. La Paramount avait déjà expérimenté le succès de la recette (Le Dernier Exorcisme de Daniel Stamm, 2010 ou encore Paranormal Activity de Oren Peli, en 2011).

Outre la technique cinématographique, plusieurs éléments de la promotion du film viennent renforcer cet aspect. Les cinéastes n’ont par exemple pas fait de dossier de presse permettant aux critiques et aux spectateurs de prendre du recul. Au contraire, ils se sont contentés de livrer un document plus ou moins officiel qui explique de manière docte ce qu’est la possession, l’exorcisme et le Vatican. Par ailleurs, à la fin du générique (sans musique bien sûr), une information indique d’aller voir le site internet www.therossifiles.com pour continuer de suivre l’enquête. Ce site n’est en réalité qu’une grossière réalisation amateur qui balance sans hiérarchie des liens la plupart du temps idiots ou montre des vidéos de soi-disant exorcismes. On est parfaitement dans une mise en scène commerciale du film qui, nous le supposons, était censé produire un buzz. La projection du film dans une église en France procède de la même démarche.

Bref, une fois qu’on a fait le tri, il reste que le film n’est autre qu’un basique film d’épouvante qui a simplement misé sur l’ultra réalisme des formes pour faire mouche. Le réalisateur, William Brent Bell, n’en était d’ailleurs pas à son premier film d’horreur (cf. Stay Alive, 2006). Néanmoins, Devil Inside apparaît finalement moins réaliste que Le Rite au sujet duquel nous étions déjà réservé mais soulignions aussi un certain équilibre du propos. Ici, nous sommes pleinement dans le spectaculaire, le sensationnel. Tout est centré sur l’action. Les dialogues sur la foi et le doute, les débats scientifiques ou religieux sont réduits au minimum. Les scènes d’exorcisme sont systématiquement spectaculaires et violentes. À en croire les témoignages de prêtres catholiques, l’aspect spectaculaire de l’exorcisme est rarissime. Malgré son style documentaire, le film passe donc à côté d’un aspect essentiel de son sujet en éludant le véritable quotidien d’un exorciste.

De plus, William Brent Bell a manifestement pris un malin plaisir à faire mourir les prêtres qui s’attaquent au diable. Dans la théologie catholique, le diable ne peut agir que sur autorisation de Dieu. À notre connaissance, il n’existe pas dans l’histoire de l'Église de cas similaires de meurtres en série orchestrés par un démon. En fait le film mélange les vraies et les fausses informations au profit du sensationnel. Un film à ne donc pas trop prendre au sérieux.

Les cinéastes s’attardent davantage sur les symptômes de la possession que sur ses causes, ce qui, dans une démarche scientifique, est assez faible. On comprend que parler des causes n’est pas intéressant dans l’optique d’un film d’horreur. Pour rappel, le Saint-Siège considère qu’il y a trois principales causes de possession ou de manifestations diaboliques : faute du possédé qui s’est adonné à une pratique illicite (occultisme, spiritisme, messe noire, etc.) ; faute d’un tiers, comme un membre de la famille qui pratique la sorcellerie, ou d'un sortilège d’une personne malveillante (selon les exorcistes cette hypothèse est la plus fréquente, notamment dans les cas de vaudous) ; épreuve expiatoire autorisée par Dieu pour éprouver la vertu d’un homme ou d’une femme. En revanche, les symptômes de la possession sont détaillés et expliqués dans le film, ce qui permet de participer au diagnostic des prêtres pour davantage d’immersion. Le film reprend alors les signes principaux de possession donnés par les théologiens : parler ou comprendre une langue inconnue du possédé ; connaître des faits secrets du passé ; révéler une force physique anormale par rapport aux capacités de la personne. Bref, les symptômes offrent plus de spectacle à l’écran !

Il n’en faut pas plus pour se convaincre de l’objectif du film : faire peur, jeter le trouble.

Les cinéastes semblent également s’intéresser de près au Vatican. Les distributeurs aussi puisqu’ils s’amusent à annoncer sur les affiches : « le film que le Vatican ne veut pas que vous voyez ». Pour la petite histoire, ce slogan serait une réponse des producteurs à l'Église qui aurait refusé de s’impliquer dans le projet. Faut-il en déduire un esprit critique à l’égard du Vatican ? Les deux jeunes prêtres du film travaillent en fait sans autorisation de Rome parce qu’ils sont persuadés que leur hiérarchie n’est qu’une bureaucratie qui ferme les yeux sur beaucoup de cas graves. Ce type de propos ne sont pas anodins et reflètent en réalité le point de vue de quelques membres de l'Église qui s’étonnent du laxisme du Vatican sur la question de l’exorcisme. Les personnages du film vont même jusqu’à préciser un détail que seul les initiés peuvent connaître : Rome aurait changé il y a quelques années le rite de l’exorcisme, ce qui aurait eu pour effet de le rendre moins efficace. Le père Amorth, ancien exorciste officiel du Vatican, que nous citions à l’occasion du Rite, fait partie de ceux qui sont assez virulents à l’égard des décisions de Rome sur ce problème. En tout cas, les scénaristes et le réalisateur sont bien documentés. Contrairement à l'image presque bienveillante que véhiculait Le Rite sur le Vatican, Devil Inside reprend une position plus habituelle où l’obscurantisme prédomine (locaux peu avenants, bureaucratie douteuse...).

On remarque d’ailleurs que le réalisateur prépare déjà un film intitulé The Vatican, dont on sait peu de chose. C’est une obsession ? C’est vendeur ? En tout cas, ce soudain engouement pour la Place Saint-Pierre est étrange.