Dream House

Film : Dream House (2011)

Réalisateur : Jim Sheridan

Acteurs : Daniel Craig (Will Atenton), Naomi Watts (Ann Patterson), Rachel Weisz (Libby Atenton), Elias Koteas (Boyce)

Durée : 01:31:00


Un film au casting prometteur mais décevant tant sur la forme trop classique que sur le fond trop... léger...

Vous sentez le piège ? Le casting présente des atouts majeurs pour attirer le chaland. Tout d'abord, le très viril Daniel Craig qui a su donner un nouveau souffle à James Bond (Casino Royal de Martin Campbell, 2006) et qui enchaîne les grosses productions comme un athlète saute les haies ; à ses côtés, dans le rôle de sa femme, Rachel Weisz qui s'est notamment illustré sous la direction d'Alejandro Amenábar (Agora, 2010). Enfin, ce qui ne gâche rien, Naomi Watts s'invite sur le plateau après avoir séduit les réalisateurs parmi les plus talentueux tels que David Lynch (Mulholland Drive, 2001), Alejandro
span>González Iñárritu (21 Grammes, 2003), Peter Jackson (King Kong, 2005), Michael Haneke (Funny Games US, 2008), et bien sûr, le grand rabatteur de belles actrices, Woody Allen (Vous
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allez rencontrer un bel et sombre inconnu, 2010).

Certes on est loin de la blague Expendables :
Unité Spéciale
(de Sylverster Stallone, 2010) qui comptait une dizaine de têtes d'affiche et on se rassure en remarquant que le réalisateur de Dream House est Jim Sheridan qui a signé l'émouvant et brillant Brothers (2010). Pourtant, seul dans la salle un mercredi matin, le piège se referme sur nous...

Sans être un navet Dream House ressemble à de nombreux films. Pas grave ! On peut ressembler à un bon film ! Oui, mais...non. La principale faille est le scénario. On peut aisément classer le film dans le genre thriller, et non dans l'horreur comme ça a été fait, au mieux, on flirte avec l'épouvante ou, selon les interprétations, avec le fantastique. Pour qu'un thriller soit efficace, il faut au moins du suspens. On concède que la première partie du film est assez
prenante pour peu qu'on se laisse aller. Les personnages se mettent en place, le rêve américain s'installe au travers de la petite famille idéale de Will Atenton, ex-éditeur à succès. Avec sa ravissante femme et ses deux adorables petites filles, il vient de faire l'acquisition d'une nouvelle maison dans un quartier résidentiel bourgeois. Et on y croit !

Ce n'est donc pas tant la construction de cet univers qui pèche, mais plutôt sa déconstruction. Un exemple virtuose de déconstruction pourrait être Shutter Island de Scorsese : le héros s'enfonce dans l'obscurité de son moi, entraînant avec lui le spectateur bouleversé. On s'autorise le parallèle à cause du sujet. Dans les deux cas, un homme est prisonnier de sa maladie mentale. Mais autant Shutter Island travaille les doutes et l'
angoisse, autant
Dream House se contente de « faire  mumuse » avec ses jouets scénaristiques. La maladie psychique est en effet un artifice de scénario qui sert à provoquer un premier rebondissement. Puisque ce n'est que le premier coup de théâtre, il fallait garder des billes pour nourrir le second ! C'est pourquoi la révélation de l'identité de Will n'est pas spectaculaire et n'arrachera du spectateur qu'un vague « c'était don' ça ! ». Pire, cette première pirouette de scénario n'est pas vraisemblable. En effet, Will semble être un psychopathe, suspecté d'avoir tué sa propre famille, qui s'est créé une nouvelle identité en éludant totalement son passé au point de croire encore en l'existence de sa femme
et de ses enfants. Il est néanmoins libéré d'asile sous prétexte qu'on n'a pas de preuves tangibles contre lui. A part en France où on aime bien relâcher des fous dangereux, c'est assez dur à avaler... Mais il le fallait ! Le film devait pouvoir continuer sur l'enquête, certes originale, de ce qu'il pense être son propre meurtre.

Dès lors, logiquement, soit il a commis le crime soit il est innocent. Du point de vue de l'écriture, la voie de la culpabilité eût été relativement mauvaise ou aurait requis, à l'instar de Shutter Island, un entretien musclé du doute. L'innocence est donc la seule issue, mais la question du vrai
meurtrier demeure. Question, vous en conviendrez, assez peu intéressante, sauf lorsque le cinéaste s'évertue à rendre un personnage coupable amicale, ce qui n'est en l'occurrence pas le cas... Pourtant, malgré son peu d'intérêt, le dénouement traîne en longueur pour échouer finalement dans la facilité. Le scénariste (David Loucka) a sans doute écrit la fin en dix minutes. A vous de juger (Attention ! Révélations!) : le meurtrier est... le voisin d'en face qui a engagé un tueur pour assassiner sa femme, lequel s'est simplement gouré de maison ! Pas de chance !

Le producteur James G. Robinson reconnaissait pourtant le potentiel du film : « Dans la plupart des thrillers, on prévoit très vite les rebondissements, et le réalisateur tente,
tant bien que mal, de dissimuler les traces laissées par le meurtrier. Ce qui distingue DREAM HOUSE des autres films du genre, c’est qu’il dévoile l’intrigue et le suspense au fur et à mesure qu’avance l’intrigue et qu’il adopte le point de vue d’un personnage. [...] Peu à peu, le spectateur vient à douter de sa propre perception de l’intrigue
». Cela n'a rien d'original, c'est la définition d'un film de suspense.

Heureusement, les producteurs n'ont pas fait d'erreur de casting. Il est vrai que Daniel Craig donne le change mais l'écriture de son personnage manque d’ambiguïtés et de nuances. Il fait avec ce qu'il a mais il le fait bien. Rachel Weisz, qui offre une prestation sensible et convaincante, exprime assez bien le rôle de Naomi Watz : &
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 Naomi exprime ses sentiments avec beaucoup de délicatesse. Elle a une grande profondeur émotionnelle, et c’est le genre de comédienne dont le visage est suffisamment expressif pour se passer de dialogue. » De fait, son texte doit tenir sur trois lignes. On l'a connu dans des rôles plus difficiles...

Il faut malgré tout reconnaître que la réalisation est soignée. Le montage permet d'éviter l'ennui, la photographie est très propre et la bande originale accompagne bien le contraste entre les deux mondes de Will : « Le premier est celui de la maison de rêve, et le second est celui d’une maison délabrée dont la décoration tombe en ruines. Au cinéma, c’est parfois
difficile de mettre en scène ce type de contraste. Le plus souvent, le public ne fait pas attention si on se contente de changer un élément de décor
» (Jim Sheridan, in Dossier de presse). Il y a donc un bon travail d'harmonisation de tous les ingrédients comme les décors et la musique.

Bref, Jim Sheridan sait faire des films mais ça, on le savait déjà.

Sur le fond, rien de bien méchant. L'histoire un peu tirée par les cheveux laisse peu de place à la réflexion. Le réalisateur tente de donner une portée significative à l'histoire en établissant un parallèle avec la nécessité sociale de la
fiction : «
Je pense que, très souvent, les gens se protègent des événements tragiques en se réfugiant dans des mondes imaginaires. Pour moi, la fiction, fondamentalement, est un dispositif intellectuel inventé par les hommes pour faire barrage à la réalité insupportable de la mort » (Jim Sheridan). L'imaginaire est un refuge certes, la psychiatrie ne le contredirait pas. La mort et la peur, intimement liées, suscite l'envie de fuir, mais lorsque la fuite n'est plus possible dans le monde physique, on la poursuit dans le monde des idées. Mais ces deux mondes sont biens réels comme l'affirme notre cher psychiatre ( membre du conseil scientifique de L'Ecran) : « Notre imaginaire est notre réalité psychique. Ce n’est pas du réel extérieur, c’est du réel intérieur. Ce qui se
passe en nous est vécu vraiment. Nous sommes seuls à connaître cette réalité interne, qu’autrui ne conçoit que partiellement et indirectement. Nous organisons grâce à notre imaginaire notre rapport stable avec le réel extérieur, qui prend la forme d’une pensée construite, la nôtre, toujours disponible à l’enrichissement et à la nouveauté, mais sous réserve de préserver notre équilibre, encore appelé narcissisme
 » (Philippe de Labriolle, Le Cinéma : magie ou découverte ?, disponible sur notre site). C'est pourquoi, si le monde de Will est bien imaginaire, sa folie est bien réelle. Le film est en définitive la conquête de l'adéquation entre pensée et réalité, en d'autres termes, la vérité.
Et c'est cette vérité qui lui permettra de se libérer et de libérer les siens dont on se sait plus vraiment s'ils sont imaginés ou fantomatiques (Sauf si les fantômes peuvent s'acheter un téléphone portable, la scène où Will téléphone à sa femme devant le médecin plaide en faveur de l'imaginaire ; en revanche, la séquence d'action finale montre que sa femme a une réelle action sur les objets... c'est sans doute un peu des deux). Il est assez peu probable qu'il y arrive seul mais le symbole est là. La fiction ne doit pas être un refuge mais participer à notre construction, nous apprendre à vivre nos peurs et non à les occulter. Will ne peut commencer à évoluer que lorsqu'il aura admis sa véritable identité de Peter Ward et qu'il aura accepté l'éventualité d'être un tueur.

Le spectateur peut aisément le transposer pour lui-même : on a tous tendance à se réfugier dans une vision personnelle des choses, à s'en convaincre pour mieux lutter, et à glisser insidieusement de l'erreur ou la mauvaise foi vers cette forme de folie qu'est l'obstination.