Dreamgirls

Film : Dreamgirls (2005)

Réalisateur : Bill Condon

Acteurs : Jamie Foxx (Curtis Taylor, Jr.), Eddie Murphy (James "Thunder" Early), Beyoncé Knowles (Deena), Jennifer Hudson (Effie White)… ( 2h11).

Durée : 02:11:00


 


Nommé aux Oscars 2007 dans plusieurs catégories, Dreamgirls
est une comédie musicale adaptée d’un spectacle créé en 1981 à Broadway, dont le succès ne s’est pas démenti depuis. Le projet cinématographique a connu bien des déboires avant d’être enfin porté à l’écran, réalisé par Bill Condon, le scénariste de la comédie musicale
Chicago (2002).



L’histoire des Dreamettes est librement inspirée de celle des Supremes, mythique groupe soul des années soixante, qui a lancé la carrière de la chanteuse Diana Ross, dont le personnage de Deena est le reflet. Avec son groupe (appelé à l’origine The Primettes), Diana Ross signa avec la maison de disques Motown, et connut un succès phénoménal après avoir, sur décision du directeur de la maison de disques, supplanté Florence
Ballard, la chanteuse principale du trio. À cet épisode décisif correspond la scène-clé du film, quand le physique plus mince et la voix plus lisse de Deena sont préférés aux rondeurs et au timbre sonore d’Effie. Dès cet instant, les Dreamettes vont être pilotées par l’ambition de leur manager, et progressivement, en acquérant la notoriété, le groupe à l’origine bâti pour s’élever contre la ségrégation au sein de l’industrie musicale va lui-même se standardiser pour vendre ses tubes au plus grand nombre.

Si les nombreuses musiques du film sont à ranger dans des genres musicaux actuellement surexploités (disco, R&B…), s’enchaînant parfois jusqu’à quasi-indigestion, elles constituent le moteur du film, exprimant les émotions des personnages, balisant un scénario classique (ascension fulgurante, conflits et déchéance progressive). Hors du contexte, elles perdent un peu de leur intérêt, mais le compositeur Henry Krieger a su créer des chansons entraînantes en plus de celles du spectacle original,
le tout révélateur de la carrière des Dreamettes. Certaines sont de véritables perles, chantées lors de leurs débuts prometteurs, avec en point culminant la chanson "And I'm Telling You I'm Not Going" interprétée par Effie White, d’autres sont des mélodies standard et sans âme, quand vient l’exigence de rentabilité.

Dans l’ensemble Dreamgirls ressuscite de façon remarquable la comédie musicale en imposant d’entrée un rythme entraînant, une mise en scène haute en couleurs (grâce à un remarquable travail sur les costumes), mais perd de son élan en jouant timidement la carte de la ségrégation raciale (référence à  Martin Luther King et aux émeutes de Detroit fin 1960), ou encore en devenant non plus comédie musicale, lorsque les chansons collent à l’action, mais plutôt un concert disco sur grand écran, quand les plans de
shows se succèdent parfois avec longueur.

Les acteurs ont eux-mêmes prêté leur voix aux personnages qu’ils incarnent. Beyoncé Knowles, dont la carrière rappelle par certains aspects son propre rôle dans Dreamgirls (elle a fondé le célèbre groupe de soul Destiny’s Childs avant de poursuivre en solo en digne héritière de Diana Ross), est relativement transparente avant d’être promue soliste à la place d’Effie White, puis se métamorphose radicalement, assume pleinement son statut de premier rôle (quoique qu’il est difficile d’établir une hiérarchie), interprète remarquablement le personnage de Deena, chanteuse neutre hissée au rang de star par son mari producteur, qui lui dicte jalousement ses choix personnels et professionnels. À ses
côtés donc, l’acteur Jamie Foxx (Curtis) demeure un peu palot lorsqu’il s’agit de chanter, en revanche il reprend des couleurs dans le costume d’un businessman sans scrupule obsédé par la rentabilité de ses productions.

Surtout Dreamgirls révèle deux talents insoupçonnés. L’acteur Eddie Murphy, abonné aux rôles comiques voire clownesques, se transforme en vraie bête de scène, personnage vaniteux, tout en excès, inspiré selon le comédien « de James Brown, Chuck Berry ou Little Richard ». Il parvient à imposer au film un véritable cachet d’authenticité tant il se démène sur scène et hors des concerts.
En second lieu, l’actrice Jennifer Hudson, qui interprète Effie White, est de fait le personnage-clé du long-métrage. Sa voix hors-norme (qui lui avait valu d’être écartée lors du casting de la "Nouvelle Star" américaine) a
trouvé un terreau favorable pour exprimer une rage de vivre et de se faire entendre, au point de surpasser dramatiquement les têtes d’affiche du film.

À la manière d’un conte, le film suit un schéma bien défini, pour aboutir à une morale qui exalte les grands sentiments et souligne la médiocrité du lucre et de l’orgueil. Dreamgirls oppose d’un côté l’accès à un rêve d’enfant (former un groupe d’amies qui resterait uni sur scène et dans les coulisses), et la cruelle réalité d’une foire aux vanités (où l’art devient business). Le film reprend les thèmes et la moralité un peu facile qui a séduit le public de la comédie musicale originelle. Il est dommage que cet aspect n’ait pas été davantage fouillé, notamment
du fait que les nombreuses prestations musicales du long-métrage laissent peu de place à l’approfondissement psychologique des personnages. Ceci est d’autant plus vrai que la plupart des émotions et des sentiments étant échangés en chansons, le jeu d’acteur, plus souple, est plus limité; il faut donc forcer et simplifier de façon significative le biais musical.

Dreamgirls est un film engagé qui prétend dénoncer le système musical et la ségrégation raciale des années soixante. Ce dernier point est trop rapidement évoqué et trop politiquement correct pour constituer à lui-seul l’intérêt de Dreamgirls. L’évocation des émeutes raciales de Detroit et du discours de
Martin Luther King tente d’ancrer davantage le film dans son époque, la fiction montrant de son côté l’accueil très réservé que le public blanc réserve au groupe des Dreamettes à ses débuts. La dénonciation de la standardisation musicale est plus présente à l’écran, et veut faire la part belle à la nécessité de respecter les différences et les talents personnels, qui, une fois mis en commun, produisent une œuvre musicale plus belle, plus profonde parce qu’unique. De façon plus poussée cette idée se double d’un éloge des liens d’amitié, mettant l’accent sur leur fragilité devant les succès et les échecs personnels, face à l’appât du gain et de la célébrité. Ce message classique est ainsi porté à l’écran lors de la scène finale, lors du dernier show des Dreamettes au cours duquel Effie, mis au ban du groupe par le producteur, revient sur scène à l’appel de Deena.

Spectacle consensuel, Dreamgirls face="Cambo, arial, helvetica, sans-serif" class="Apple-style-span"> ne risque pas de choquer beaucoup. Seuls certains dialogues sont assez crus, et le film peint aussi, sans trop insister, une époque de libéralisation des mœurs : mariage arrangé entre le producteur et sa star musicale, mari volage, enfant naturel et consommation de drogue. Mais toutes ces situations, ingrédients classiques de la comédie dramatique, se révèlent bancales et s’écroulent, entraînant les personnages dans le malheur, les poussant à choisir entre se laisser aller et lutter dans un sens plus moral. Dans une optique bon-enfant, c’est ce dernier choix qui est plébiscité.


NB : citations tirées des notes de production.

 



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Stéphane JOURDAIN