Duelist

Film : Duelist (2005)

Réalisateur : Lee Myung-se avec Ha Jiwon

Acteurs : Ha Jiwon (Namsoon), Gang Dongwon (Sad Eyes), Ahn Sungki (Détective Ahn)…

Durée : 01:50:00


L’adaptation à l’écran des légendes chinoises et japonaises est devenu un exercice à la mode ; un exercice auquel s’adonne avec plaisir le cinéma coréen. Sa toute dernière importation est Duelist, une histoire policière classique qui se déroule dans une Corée que l’on a pas l’habitude de voir : la Corée du XVIIe siècle. La tentation est grande de vouloir comparer Duelist avec des œuvres comme Hero, Tigre et Dragon et tous les films
chinois des années 60/70, mais là Lee Myung-se se démarque audacieusement à la surprise ou à la déception des admirateurs du genre.

 
Duelist est une adaptation du manga (manwha) coréen Damo écrit par Bang Hakki.
 
C’est d’abord un style libre et léger qui étonnera dans Duelist (et qui pourra faire penser à Volcano High School de Kim Tae-Guyn, 2001). Le spectateur se retrouve en effet à regarder un film aux allures de tragi-comédie à la fois burlesque et émouvante. Là où un Zhang Yimou ou un Ang Lee aurait traité cette même légende de façon sérieuse et réaliste, Lee Myung-se nous sert une série de scènes comiques. L’humour est d’ailleurs parfois un peu lourd (notamment dans la scène du début) mais il peut aussi être perçu différemment par un spectateur asiatique accoutumé aux jeux grimaçants, titubants et grossiers qui s’insèrent bien dans la lignée des vieux films asiatiques : pour le
comprendre il ne faut pas oublier de prendre en compte leur tradition théâtrale basée sur le mime et l’expression. Compréhension ou ennui, au spectateur d’apprécier comme il l’entend.

 
Mais le tragique trouve tout de même sa place et le mystérieux personnage de Sad Eyes au regard bouleversant assure une belle prestation de tendresse, d’émotion et de beauté.
 
Une autre particularité, plus discrète mais intéressante à relever, en ce qui concerne le récit. La culture asiatique et, en l’occurrence, coréenne a une manière tout à fait différente de celle des occidentaux d’envisager sa construction. Alors qu’en Europe ou aux Etats-Unis la trame des scénarii est de manière générale très linéaire ; en Asie le récit s’intègre dans une logique différentielle (par opposition à ce qui est référentiel). En d’autres termes, les films asiatiques ont tendance à brouiller les repères habituels de la réalité,
ce qui peut s’avérer dangereux tant au niveau de l’entendement de l’histoire qu’au niveau moral. Quoiqu’il en soit, Duelist, bien que n’étant pas totalement linéaire, ne participe pas pleinement de ce système de pensée, du moins d’un point de vue scénaristique; le film suit donc son cours sans trop de bouleversements.

 
Peut-être est-ce parce que le réalisateur n’a pas attaché une grande importance au récit en tant que tel. Le scénario ne résulte pas d’une très grande réflexion et l’enquête policière est au service de la romance entre les deux héros. Le film est donc plus conceptuel que narratif ce qui permet une plus grande liberté dans la réalisation, liberté qui s’exprime à différents niveaux.
 
A cet égard, la caméra filme avec une agréable légèreté, à la fois aérienne, intimiste, réaliste et parfois extravagante. Les pics d’action sont riches en figure de montage et en effets (spéciaux
ou non). Travelling en tout genre, ralentis et accélérés (surtout pour servir le comique d’une situation) et arrêts sur image défilent sans retenue. Un esthétisme soigné donc, à la sauce coréenne. Les combats sont beaux sans être des démonstrations de technique pure. Il s’agit de mettre l’accent sur le côté artistique plus que sur le côté martial. Les scènes travaillées dans ce sens produisent un résultat plaisant si l’on accepte le choix du réalisateur. Le passage où les deux protagonistes s’affrontent dans une petite ruelle déserte est très réussie : une rue divisée en une partie d’un remarquable noir et une partie claire, des duellistes qui se fondent dans le décor…

 
La bande son qui accompagne le film s’inscrit dans une même logique : ici, pas de coups de gong ni de corde de cithare qui résonnent pendant de longues minutes. L’instrumentation traditionnelle laisse place à un mélange de rock, de musique classique et une B.O. : « elle est le reflet
des émotions intérieures et des situations : elle est une des voix du film et en est indissociable. Elle correspond vraiment à l'idée que j'ai de la "musique de film" qui n'accompagne pas seulement les images mais les raconte et va au-delà de la perception visuelle » (Lee Myung-se, in notes de production).

 
Duelist, une légende coréenne traitée dans une perspective résolument originale. On l’aura compris, le choix de Lee Myung-se est à la modernité.

Tout le film tourne autour de l’idée de duel et l’on peut se demander comment cette idée peut se concilier avec une histoire d’amour. En réalité, Lee Myung-se a une conception très large du duel, du conflit : « Quand on pense à la notion de « duel » qui est au coeur du film, elle semble disposer de nombreux moyens d’expression autres qu’un simple affrontement entre les personnages : les nombreuses variations dans les couleurs, les mouvements et les situations déclinent
bel et bien ce thème en filigrane.(…) La progression de l’histoire veut que certains passages traduisent une lutte intérieure des personnages avec leurs propres émotions. » (entretien avec Lee Myung-se, notes de production). Le duel ne concerne pas seulement l’affrontement de deux êtres mais il peut aussi avoir une utilité artistique. Surtout, le duel se rapporte également au conflit intérieur. Partant de là on comprend mieux pourquoi l’amour  peut cohabiter avec la notion de duel : duel des cœurs, duels des corps, duel des âmes. La jeune Namsoon doit en effet se battre contre elle-même, tiraillée entre son devoir de Damo et ses sentiments. Qui est le véritable ennemi ? Sad Eyes est lui aussi pris entre deux camps sauf que son combat n’a pas vraiment d’issue heureuse : s’il trahit son maître, il ne gagne rien parce que ses crimes passés devront recevoir justice, s’il ne le trahit pas, son amour est définitivement compromis. L’amour peut-il stopper la chute des destins ? L’amour peut-il effacer le passé ?
C’est donc une sorte de romance shakespearienne que nous livre Lee Myung-se où l’amour est impossible. Tout duel connaît une issue, fatale pour la plupart : la mort de l’adversaire, la mort d’un peu de soi.

 
Duelist est donc proche des spectateurs en ce sens que chacun de nous connaît l’expérience de l’indécision.

 

Jean LOSFELD