Entre deux rives

Film : Entre deux rives (2005)

Réalisateur : Alejandro Agresti

Acteurs : Keanu Reeves (Alex Burnham), Sandra Bullock (Kate Forster), Louis Burnham (Christopher Plummer) .

Durée : 01:39:00


Le duo Keanu Reeves/Sandra Bullock, onze an auparavant, se promenaient "joyeusement" dans un bus en interprétant les deux rôles principales de Speed (1994, Jan de Bont). Ils se retrouvent sur le plateau de Entre deux rives pour une nouvelle histoire d'amour moins turbulente, moins explosive mais plus surprenante.

Entre deux rives est un remake du film coréen Siworae (Il Mare) réalisé par Hyun-Seung Lee en 2000 et qui connu un large succès lors du Festival International de Pusan. Les origines asiatiques du scénario ne surprennent pas si l'on regarde de près le sujet et la trame
du récit. En effet, The lake House est une romance à la fois classique et originale parce qu'elle met en scène deux protagonistes qui se découvrent au hasard de quelques lettres mais aussi parce qu'elle joue avec les repères spatio-temporels.

La difficulté du projet est assez évidente. Tout d'abord, une histoire d'amour est un sujet risqué quoique banal car il peut vite sombrer dans l'insupportable mélo ou la caricature. Ensuite, le scénario tient en équilibre entre réalisme et impossible. Si la pellicule est parfumée à l’eau de rose dans bien des séquences, elle n’en est pas pour autant écoeurante.

La réalisation est assez souple mais elle se révèle trop académique pour un sujet qui appellerait plutôt à l'anticonformisme. Le récit suit tranquillement son cours et le suspens voulu par les quelques rebondissements est assez limité malgré l'accélération de rythme sur la fin. De plus la complicité entre les deux personnages principaux n'
est pas assez travaillé : les sentiments arrivent vite, l'absurdité de la situation ne les perturbent presque pas, et la psychologie des relations entre les héros et les personnages secondaires est un peu sacrifiée. Ce qui rend songeur en revanche tout au long du film c'est l'apparente complexité du scénario qui tient plus aux nombreuses incohérences qu'à une construction psychédélique à la Gondry (voir Eternal Sunshine, 2003, Michel Gondry). L'intérêt du concept se dissout progressivement et l'on oublie bien vite que les deux amants s'écrivent à deux ans de différence. L'idée n'est malheureusement pas poussée assez loin de sorte que ce qui aurait pu faire l'originalité de l'oeuvre est en réalité étouffé par la banalité d'une comédie romantique comme l'on en croise de temps en temps : les lettres succèdent aux gentils E-mails de Vous avez un message de Nora Ephron (1998, remake de Rendez-vous de Ernst Lubitsch en 1945).

Cependant, la plasticité de l'oeuvre est
assez soignée. La camera, assez libre, filme avec douceur une nature promenée par les saisons et suit les héros tantôt avec humour, tantôt tendresse ou complicité. La "maison du lac", construction entièrement en bois et en verre, apporte au décors une petite touche de magie et de poésie dans un paysage déjà splendide.

En outre, les acteurs sont assez convainquant et les prestations de keanu Reeves et Sandra Bullock semblent dégager beaucoup d'émotion et de fraîcheur.

Faut-il analyser l'idée d'une correspondance à deux ans de différence au delà du simple prétexte d'un récit original ? Il semble que le concept permette aussi de s'interroger sur la notion d'amour, son essence et sa finalité.

En effet, l'étrangeté de la relation naissante entre Kate et Alex s'apparente en quelque sorte au thème récurrent de l'amour impossible. Comment deux êtres qui vivent en décalage peuvent s'aimer ? Les parallèles ne
se rejoignent jamais or l'amour est une affaire de convergence. Les lettres restent alors le seul moyen de faire s'effleurer les deux existences. "Rédiger une lettre demande une vigilance particulière, exige un temps de réflexion. Vous y exposez le meilleur de vous-même, ce qu'il y a de plus intime et de plus réfléchi en vous. Vous attendez ensuite que votre correspondant la reçoive et y réponde. Un temps durant lequel l'attente renforce le désir et consolide la relation" (Keanu Reeves, in Notes de production). La lettre en effet peut entretenir des rapports de forte amitié construite à la fois dans la patience  et l'excitation. L'histoire de Kate et Alex semble alors perdre petit à petit de leur irréalisme : finalement, quelle différence y a-t-il entre deux amants séparés par 2000 lieux et deux amants séparés par deux ans ? Si l'amour peut traverser les distances, pourquoi pas le temps ? Outre la réalisation du film qui n'exploite pas suffisamment le concept, on comprend que le message
principale est que l'amitié, et a fortiori l'amour, est atemporelle.

Entre deux rives est une oeuvre sûrement plus abstraite qu'elle n'y parait à cause du dénouement du récit (malheureusement trop prévisible) : aimer au delà de toutes règles physiques, au delà des barrières des corps et du temps, au delà d'une cohérence rationnelle.

Mais faut-il pousser l'abstraction au point d'admette quelqu' entorses faites aux règles morales les plus basiques ? Rien ne montre dans le film que le flirt d’Alex et Kate lors de la soirée d'anniversaire organisé par l'ami de cette dernière soit à prendre au septième degré. Là encore, le concept aurait pu être poussé plus loin, plus haut en l'épurant de scènes résolument trop terre à terre.

 

Jean LOSFELD