Et Villeneuve porta le Canada Dry au cinéma…

Film : Blade Runner 2049 (2017)

Réalisateur : Denis Villeneuve

Acteurs : Ryan Gosling (Officer K), Harrison Ford (Rick Deckard), Ana de Armas (Joi), Robin Wright (Lieutenant Joshi), Jared Leto (Niander Wallace), Sylvia Hoeks (Luv), Mackenzie Davis (Mariette), Carla Juri (...

Durée : 2h 43m


La difficulté de faire une suite à un film, c’est que l’attente des spectateurs est à la hauteur du spectacle initial. Aussi, donner une suite à un chef-d’œuvre en même temps qu’un film culte représente un risque considérable. Les fans l’attendront sur les mêmes critères que ce qui avait fait le succès du premier opus, et de surcroît lui en demanderont davantage, car une copie ne présente que peu d’intérêt : « toujours du nouveau » doit être le moteur de son scénario. Être fidèle à la source, et en même temps aller au-delà ; faire du neuf, et cependant s’inscrire dans une continuité. Enfin, comment ré-éditer le choc visuel du premier film, tout en restant dans son cadre – sinon ce ne serait pas une suite ? C’est à tout cela que les producteurs de Blade Runner 2049 ont été confrontés ; pour relever ce défi, ils ont confié la réalisation de leur projet à Denis Villeneuve, cinéaste talentueux qui s’est illustré récemment par Premier contact, sous les conseils bienveillants de Ridley Scott, réalisateur du premier Blade Runner.

Alors, cette suite, réussite ou pas ? Disons-le franchement : Blade Runner 2049 nous donne une fois de plus la preuve que vouloir donner une suite à un chef-d’œuvre n’est pas la meilleure recette pour en produire un deuxième. Non que 2049 soit mauvais, loin de là : en fait, il paraîtrait excellent s’il n’était la suite de Blade Runner, c’est-à-dire s’il n’avait été précédé des attentes citées plus haut.

Concrètement, l’ambiance est à peu près la même, avec ses vues plongeantes sur de grandes étendues urbaines surpeuplées et polluées, survolées par des voitures volantes (de marque Peugeot ! Le Lion voudrait-il retourner en Amérique ?...), avec des conditions météorologiques dantesques (pluie, vent, neige, brouillard…). Mais allez savoir pourquoi, l’oppression est moindre qu’en 2019 (l’année où était censé se dérouler le premier volet) : peut-être parce que la neige remplace souvent la pluie ? Parce que, tandis que tout le premier BR se passait dans les rues étroites et encombrées d’un Los Angeles fait uniquement de gratte-ciel, ici le film s’ouvre sur une vaste plaine désertique, puis se déroule dans d’autres espaces ouverts eux aussi ?

Et puis, il faudra bien un jour se décider à interdire le copier-coller aux réalisateurs ! Star Wars épisode 7 nous en avait déjà montré l’inanité, avec de trop nombreux emprunts aux épisodes 4, 5 et 6, lassant même les fans les plus acquis : « tiens, un petit droïde qui rappelle R2-D2 », « tiens, revoilà l’Etoile de la mort, mais en plus grand », « tiens, encore un jeune sorti du désert de Tatooine, mais cette fois c’est une fille », etc. Ici nous avons « tiens, les voitures volantes ressemblent beaucoup à celles du premier », « tiens, le héros passe encore du temps dans sa cuisine », « tiens, une prostituée blonde peroxydée qui ressemble à celle du premier film », « tiens, dans le premier le reclus était un savant prématurément vieilli, à présent c’est une jeune fille qui n’a pas de système immunitaire »…

Certes, nous n’avons parlé jusqu’à présent que de la forme, or le choc du Blade Runner de 1983 tenait aussi à l’originalité de son scénario et aux questions qu’il amenait à se poser : qu’est-ce qui définit l’humanité ? L’empathie ? Mais alors, si des créatures biologiques de synthèse reproduisaient les mêmes qualités, faudrait-il leur conférer une dignité égale ? Inversement, si les humains s’avèrent brutaux et tueurs, que devient leur humanité ? Toutes ces questions avaient été imaginées par Philip K. Dick, un des plus grands écrivains de science-fiction du XXe siècle, auteur de nombreux romans passés à la postérité au cinéma tels que Blade Runner, Total Recall, Minority Report, Screaming Planet… Or, n’est pas Philip K. Dick qui veut : ainsi, si BR 2049 s’évertue à mettre en scène des situations tout aussi intrigantes que son modèle, force est de reconnaître que les questions posées sont celles d’un bon élève appliqué, mais qu’on est loin du remue-méninge philosophique initial… L’enfant né d’un accouplement entre un humain véritable et une créature humanoïde de synthèse, c’est très étonnant, mais une fois qu’on a vu que les humanoïdes en question étaient pourvus d’à peu près toutes les caractéristiques psychologiques des vrais humains, et que par ailleurs dans la vraie vie naissent des quantités d’enfants nés de fécondations in vitro, on peine à se demander où est vraiment le problème. La vie est la vie, quel que soit le lieu où la reproduction cellulaire a commencé. Il aurait été intéressant de se demander qui a une âme et qui n’en a pas, mais comme d’emblée toute transcendance est absente du film, la question n’a même pas de raison d’être. Dommage…

Au final, Blade Runner 2049, c’est un peu le Canada Dry d’un excellent whisky (ou d’un vin, selon vos goûts) : ça ressemble à Blade Runner, ça a le style de Blade Runner (et ses décors ! Mais malheureusement pas la musique de Vangelis…), ça tente de poser des questions intrigantes comme Blade Runner… mais avec quelque chose en moins. La surprise ? Les idées torturées et géniales de Philip K. Dick ? Un peu de tout cela à la fois, sans doute…