Faubourg 36

Film : Faubourg 36 (2008)

Réalisateur : Christophe Barratier

Acteurs : Gérard Jugnot (Pigoil), Clovis Cornillac (Milou), Kad Merad (Jacky), Nora Arnezeder (Douce)…

Durée : 02:00:00


« Il était une fois Paris…»* Faubourg 36 fait partie de ces films français qui ont un charme, charme emprunté à une époque et bien sûr attaché à Panam.

Après
Les choristes  qui connut un franc succès, Christophe Barratier s’est à nouveau lancé dans une aventure où la musique joue un rôle prépondérant. Comme on ne change pas une équipe qui gagne, Gérard Jugnot, Kad Mérad et Maxence Perrin (Jojo) sont de la partie. Quelques surprises également se partagent l’affiche. Pierre Richard est brillant dans son rôle de  marginal poétique, fragile et obstiné,  sentimental et maladroit. Un grand acteur toujours percutant, ces intonations de voix qui mêlent détermination et candeur. Avec son air insolent et provocateur, Nora Arnezeder (Douce) se révèle être un très bon choix. Quant à Clovis Cornillac, son rôle d’idéaliste rustre à la communication plutôt directe, mais qui sait aussi se montrer sensible et généreux, lui va comme un gant. Un casting judicieux donc, qui met sur une même scène « sages » du métier et novices.

>Autre richesse du film, la photographie. Pour elle, Christophe Barratier a pu faire appel à Tom Stern qui s’occupe habituellement de la photo de Clint Eastwood (Million Dollar Baby, Mystic River, Mémoires de nos pères, Lettres d'Iwo Jima). On peut raisonnablement s’attendre à un résultat propre et de fait l’image est à la hauteur de la réputation de Stern. Un contraste fort et des couleurs chaudes qui donnent aux décors une touche de poésie, d’irréel. C’était en tout cas le mot d’ordre du réalisateur qui « assume le fait de concevoir un cinéma romanesque, sentimental, fictionnel, loin d'un certain cinéma vérité… » Il fallait suffisamment de réalisme pour la crédibilité de la reconstruction d’une époque précise et surtout pour l’identification, mais il fallait aussi du lyrisme. Les plans sont précis, le cadrage est toujours pensé en cohérence avec le contenu. Les cinéastes n’ont pas hésité à utiliser les plans séquences, parfois très long (les deux
premières minutes du film sont remarquables de virtuosité et peuvent faire penser au début de Snake Eyes de Brian De Palma), « pour renforcer l’impression de fluidité et de vie entre les personnages »* tout en donnant aux plans fixes leur rôle de témoin discret de l’émotion qui passe. C’est d’autant plus appréciable que le cinéma français est relativement frileux dans son esthétique. S’il est vrai que le fond est d’une certaine manière plus important que la forme, l’idéal est cependant de parvenir à une communion parfaite des deux.

Ici le contenu est simple et le réalisateur le résume en une phrase : « Faubourg 36, c’est la rencontre de plusieurs personnages qui, avec des motivations différentes, vont se retrouver autour d’un objectif commun : la survie de leur outil de travail ». Comme souvent pour ce type d’histoire qui met au centre de
l’action l’amitié, la cohésion et le rêve, la forme a plusieurs facettes : un recours à la comédie musicale surtout pour les scènes de music-hall (d’ailleurs le thème du « méchant » riche qui s’interpose jalousement entre les deux amants rappelle Moulin Rouge de Baz Luhrmann), au film noir (aux dires du réalisateur, la référence se limite surtout à certaines scènes nocturnes), au film d’époque grâce à un énorme travail de reconstitution. Les décors, que l’on doit à Jean Rabasse (La cité des enfants perdus, Astérix et Obélix contre César, Vatel…), suscite une impression d’irréel, parce qu’en intérieur comme en extérieur on a le sentiment d’être au théâtre : comme pour les tableaux d’une pièce, chaque scène a son décors figuratif et symbolique (la vue de Paris sur les toits juxtapose des édifices en réalité distants). Dans ce sens, pour renforcer la fiction et concentrer sur l’histoire des personnages, le scénario s’éloigne de la vérité historique en inventant des noms de
parti politique et des événements.

La musique, composée par Reinhardt Wagner et Frank Thomas, colle parfaitement à l’univers. Les chansons ont été travaillés pour avoir les couleurs de l’époque tant dans les tonalités que dans les paroles. Sans être une comédie musicale, Faubourg 36 est cependant une aventure musicale où une dizaine de chansons ont été écrites (et non reprises).

Au final, ce film comporte de nombreux atouts pour plaire même s’il est vrai que le scénario, relativement prévisible, obéit à des règles formatées et conventionnelles qui firent le succès des Choristes. Mais c’est assumé et loin d’être désagréable.

1936 est l’arrivée au pouvoir de l’éphémère Front Populaire. Le film a donc une toile de fond très politique et met l’accent sur les réformes sociales et les mouvements de grèves. Il convient de signaler un côté révolutionnaire qui ressemble beaucoup à un parti pris. La caricature est alors un écueil pour ce genre de film qui donne un résumé des faits. C’est ainsi que l’on a un milieu populaire avec ses défauts et avec ses qualités, mais l’on a aussi le très hideux homme d’affaire à moitié fasciste, vilain capitaliste.

Mis à part cet épanchement idéologique et politique, il n’y a pas dans Faubourg 36 de réel apport moral. Il s’agit plus de reprises d’ingrédients dramaturgiques que d’une vraie réflexion. Certes il est vrai que certains messages sont beaux comme le combat pour sa dignité et l’
accomplissement dans le travail (si l’on exclut les éventuelles dérives communistes), ou encore l’amour paternel  adroitement représenté par Jugnot. Mais on est loin du drame psychologique et ce n’est d’ailleurs pas le propos ici. On est en présence d’une œuvre mineure (en tout cas quant au fond) qui compose avec du déjà vu et une neutralité déconcertante.

 Rien de bien méchant (attention cependant à quelques nus) mais rien non plus d’édifiant : de l’entertainment pur.

Jean LOSFELD

 

 * cf. dossier de presse