« Fortunat » est un film réalisé par Alex Joffé (1918-1995), sorti sur les écrans en 1960. Le metteur en scène se distingue dans un genre populaire, à la production abondante, dont, l'année précédent « Fortunat », du « Rififi chez les femmes » (1959). Joffé ne s'embarrasse pas de prétentions artistiques outrées, sait cadrer ses personnages. Sont rassemblés deux acteurs très connus pour les rôles principaux, Bourvil et Michel Morgan. Bourvil (1917-1970) est un des plus grands humoristes de sa
génération, connu dès avant 1940 pour ses numéros de « comique-paysan », réemployé pour son interprétation d'Honoré Fortunat, le braconnier. Ses films les plus célèbres sont aussi marqués par le contexte de la deuxième guerre mondiale, dont « La Traversée de Paris » (1956) et « La Grande
Vadrouille » (1966), en tandem avec Louis de Funès. Michèle Morgan (1920-) a rempli de très nombreux rôles de 1935 à 1990, et se distingue dès 1938 dans « Le Quai des Brumes » de Marcel Carné, puis « le Napoléon » de Sacha Guitry (1954), et interprète ici une grande bourgeoise, mère de famille plongée dans la tourmente de la France occupée avec ses deux enfants.
Le film, à un premier degré de lecture, participe largement d'une forme de patriotisme gaulliste, à son sommet en 1960, l'Homme de Londres de 1940 étant devenu président de la république en 1958. Vingt ans plus tôt, tous les Français, de toutes les classes sociales, du grand bourgeois médecin au braconnier à peine lettré et dysorthographique, en passant par l'institutrice, à des degrés divers certes, auraient soutenu la Résistance. On note l'erreur historique qui fait intervenir la Milice dès 1942 dans le film, alors qu'elle est postérieure à janvier 1944. Les germanistes déploreront aussi l'accent français net de certains officiers allemands.
Le contexte de la guerre, et surtout l'occupation, sont-ils effectivement bien rendus ? C’est un aspect discutable : dans l'ambiance du résistancialisme de 1960, la France exalte particulièrement la Résistance, de la « Bataille du Rail », modèle précoce du genre (1945) à « l’Armée des Ombres » (1969), mais« Fortunat » reste très loin de la profondeur de ce dernier film, et paraît superficiel. Le scénario fonctionne par juxtaposition : tous les éléments constituant la restitution de la France occupée s'accumulent sans consistance ni lien logique : une arrestation, un aviateur à sauver, toutes ces réalités historiques qui ici tombent comme un cheveu sur la soupe.
L'action, peu fournie en fait, s’étend sur deux heures car elle se concentre sur le traitement des deux caractères principaux, ce couple fictif pour tromper les autorités et l'Occupant, qui devient réel, quoique toujours illégitime. La profondeur de l’œuvre tient à ce que le dévouement, la gentillesse, les bons sentiments peuvent insensiblement se corrompre en une liaison des plus improbables et coupables. Relevons qu’il suffit de laisser deux personnages pénétrer dans une chambre et fermer la porte pour que le spectateur comprenne. Mais sont-ce vraiment des bons sentiments au départ? On peut effectivement se demander si le contexte de la guerre et le besoin de s'entraider excusent une cohabitation imprudente. N'étaient-ils pas coupables dès le début, malgré leurs bonnes intentions ?
L'évolution psychologique est traitée avec finesse : le plus important reste dans le non-dit, les regards, un implicite terrible. Le spectateur voit les chaînes se refermer autour de ce couple illégitime tant le temps qui passe rend plus difficile une séparation. L'attachement des enfants à ce nouveau père est à la fois naturelle et source d'un pathétique sourd. Le retour du héros disparu, en 1945, déchire violemment un noyau familial qui n'aurait jamais dû voir le jour, et jette l'opprobre sur ses parents qui, pour répondre à leurs désirs, oublient l'impact que cela a sur les enfants. Par un caractère faussement circulaire de la narration, est donc dévoilé le caractère empoisonné et pernicieux des élans sensuels illégitimes ; les personnages ne pourront revenir au point de vue initial, bonne épouse et mère bourgeoise qui n’a rien à se reprocher, ou braconnier alcoolique heureux à sa manière.
« Fortunat » est un film réalisé par Alex Joffé (1918-1995), sorti sur les écrans en 1960. Le metteur en scène se distingue dans un genre populaire, à la production abondante, dont, l'année précédent « Fortunat », du « Rififi chez les femmes » (1959). Joffé ne s'embarrasse pas de prétentions artistiques outrées, sait cadrer ses personnages. Sont rassemblés deux acteurs très connus pour les rôles principaux, Bourvil et Michel Morgan. Bourvil (1917-1970) est un des plus grands humoristes de sa
génération, connu dès avant 1940 pour ses numéros de « comique-paysan », réemployé pour son interprétation d'Honoré Fortunat, le braconnier. Ses films les plus célèbres sont aussi marqués par le contexte de la deuxième guerre mondiale, dont « La Traversée de Paris » (1956) et « La Grande
Vadrouille » (1966), en tandem avec Louis de Funès. Michèle Morgan (1920-) a rempli de très nombreux rôles de 1935 à 1990, et se distingue dès 1938 dans « Le Quai des Brumes » de Marcel Carné, puis « le Napoléon » de Sacha Guitry (1954), et interprète ici une grande bourgeoise, mère de famille plongée dans la tourmente de la France occupée avec ses deux enfants.
Le film, à un premier degré de lecture, participe largement d'une forme de patriotisme gaulliste, à son sommet en 1960, l'Homme de Londres de 1940 étant devenu président de la république en 1958. Vingt ans plus tôt, tous les Français, de toutes les classes sociales, du grand bourgeois médecin au braconnier à peine lettré et dysorthographique, en passant par l'institutrice, à des degrés divers certes, auraient soutenu la Résistance. On note l'erreur historique qui fait intervenir la Milice dès 1942 dans le film, alors qu'elle est postérieure à janvier 1944. Les germanistes déploreront aussi l'accent français net de certains officiers allemands.
Le contexte de la guerre, et surtout l'occupation, sont-ils effectivement bien rendus ? C’est un aspect discutable : dans l'ambiance du résistancialisme de 1960, la France exalte particulièrement la Résistance, de la « Bataille du Rail », modèle précoce du genre (1945) à « l’Armée des Ombres » (1969), mais« Fortunat » reste très loin de la profondeur de ce dernier film, et paraît superficiel. Le scénario fonctionne par juxtaposition : tous les éléments constituant la restitution de la France occupée s'accumulent sans consistance ni lien logique : une arrestation, un aviateur à sauver, toutes ces réalités historiques qui ici tombent comme un cheveu sur la soupe.
L'action, peu fournie en fait, s’étend sur deux heures car elle se concentre sur le traitement des deux caractères principaux, ce couple fictif pour tromper les autorités et l'Occupant, qui devient réel, quoique toujours illégitime. La profondeur de l’œuvre tient à ce que le dévouement, la gentillesse, les bons sentiments peuvent insensiblement se corrompre en une liaison des plus improbables et coupables. Relevons qu’il suffit de laisser deux personnages pénétrer dans une chambre et fermer la porte pour que le spectateur comprenne. Mais sont-ce vraiment des bons sentiments au départ? On peut effectivement se demander si le contexte de la guerre et le besoin de s'entraider excusent une cohabitation imprudente. N'étaient-ils pas coupables dès le début, malgré leurs bonnes intentions ?
L'évolution psychologique est traitée avec finesse : le plus important reste dans le non-dit, les regards, un implicite terrible. Le spectateur voit les chaînes se refermer autour de ce couple illégitime tant le temps qui passe rend plus difficile une séparation. L'attachement des enfants à ce nouveau père est à la fois naturelle et source d'un pathétique sourd. Le retour du héros disparu, en 1945, déchire violemment un noyau familial qui n'aurait jamais dû voir le jour, et jette l'opprobre sur ses parents qui, pour répondre à leurs désirs, oublient l'impact que cela a sur les enfants. Par un caractère faussement circulaire de la narration, est donc dévoilé le caractère empoisonné et pernicieux des élans sensuels illégitimes ; les personnages ne pourront revenir au point de vue initial, bonne épouse et mère bourgeoise qui n’a rien à se reprocher, ou braconnier alcoolique heureux à sa manière.