Véritable dialogue entre l'univers « cartoonesque » de Joann Sfar, dessinateur de bande-dessinées, et le cinéma, ce film est un savant mélange de réalisme et d'imaginaire.
Au côté des personnages historiques comme Boris Vian, Juliette Gréco ou Brigitte Bardot, figurent des personnages sortis
tout droit de l'imagination de Joann Sfar : l'homme à tête de chou (à partir de l'album du même nom de Serge Gainsbourg, en 1976), la Patate (tirée d'une caricature antisémite), et la Gueule (grand pantin filiforme doté d'un nez péninsulaire), qui a demandé un travail considérable : « Joann Sfar refusait de recourir aux effets numériques. Il voulait du High-Tech mais du High Tech palpable. » (David Marti, Maquillages et effets spéciaux, In Dossier de Presse).
Le réalisme du personnage de Serge Gainsbourg est saisissant. Moyennant quelques séances de maquillage, un faux-ventre pour « Gainsbarre, » Eric Elmosnino ressuscite ce personnage aux manières si typiques. A noter qu'il interprète lui-même les chansons de Gainsbourg dans le film, belle gageure !
La belle Laetitia Casta interprète une Brigitte Bardot très crédible et Lucy Gordon (suicidée peu après le film), affiche au mieux
toute la fragilité et la blancheur de Jane Birkin.
Pour ces nymphettes (au coeur desquelles Bambou, dont Gainsbourg a eu un enfant, fait curieusement une apparition presque furtive), il a fallu jongler entre représentation et inexactitude.
Si, pour Juliette Gréco, « on ne voulait pas de la simple robe noire, façon robe de bure, comme en portait Gréco, c'était trop sévère, » pour Jane Birkin « Joann voulait qu'on colle le plus possible à la réalité, avec la chemise blanche, les sous-vêtements Petit Bateau, » alors que pour Brigitte Bardot « il y a eu une grande polémique sur la longueur du manteau panthère, au final on a opté pour le modèle très court pour qu'on voie les cuissardes dès le début. Ce n'est peut-être pas ce que Bardot a vraiment porté, sauf pour les cuissardes, mais ça correspond à l'image que tout le monde en a. » (Pascaline Chavanne, créatrice des costumes, in Dossier de Presse
em>).
On pourra cependant regretter que le jeu d'acteurs (il en est de même pour Boris Vian) laisse aussi peu de place à l'interprétation pour verser parfois dans le mimétisme, ce qui devient gênant dans un film fuyant officiellement le documentaire. Pour France Gall en revanche on peut se demander où est l'intention, tellement la représentation semble éloignée du modèle original.
Contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, peu de musiques du film sont des musiques originales : « nous sommes dans un conte et il ne fallait pas que je cherche à faire une bande originale pour les musiciens ou les fans de Gainsbourg, mais une musique pour accompagner l'histoire. » (Olivier Dahaud, Compositeur, in Dossier de presse).
Malgré tout la bande son
est très convaincante. Les amateurs apprécieront l'accompagnement musical de la rupture entre Gainsbourg et Brigitte Bardot qui part de la Symphonie du Nouveau Monde, de Dvorak, pour enchaîner sur Initials B. B., inspirée de la précédente.
Les spectateurs pourront également découvrir une chanson plutôt quelconque mais inédite de Gainsbourg : Antoine le casseur.
Comme son titre l'indique le film est la célébration d'un homme qui sut, tout au long de sa vie, noyer son talent dans le flot tumultueux du scandale. Il fallait, pour que
l'opération réussisse, assumer de mêler à la réalité un nombre incalculable d'inexactitudes.
Que ce message soit conscient ou inconscient, il en ressort qu'avec son air décomplexé, sa perversité, sa violence et ses manières, Gainsbourg est devenu ainsi le symbole d'une liberté qui enferme. Si la liberté est de faire selon son bon vouloir, voilà un homme qui quitte sa première compagne comme on jette une chemise, qui se nourrit du scandale au mépris des conventions sociales, qui manie une arme à feu au milieu d'un jeu avec ses enfants, qui bouscule tout interdit pour finir esclave de ses passions et de ses nerfs, enfermé dans l'alcool et dans les cigarettes, prisonnier de son « coeur d'artichaut ».
De cet état jaillit encore une liberté fantomatique, au coeur de laquelle la dépendance fait germer l'expression. Par tabagisme, Gainsbourg s'obstine à fumer malgré ses
problèmes de santé, par alcoolisme il dit tout ce qu'il pense, par concupiscence il multiplie les partenaires... et le monde applaudit... Inconscient de cette geôle et rêvant des mêmes chaînes.
Alors que le film ne fait pas l'impasse sur cette déchéance, il cède pourtant à la fascination en sous-titrant « vie héroïque. » Mais on comprend mal, au final, l'héroïsme que Joann Sfar veut montrer.
Est-ce d'oser sortir un album « Classé X » qui est un acte d'héroïsme ? De céder aux menaces d'anciens parachutistes en chantant la version originale de la marseillaise au lieu de la version reggae prévue ? De composer Les sucettes pour une France Gall qui confine à l'idiotie ?
Certains artifices du film sont tout à fait intéressants. Ainsi La Gueule devient-elle le Mister Hyde du Serge Jekyll, et le dialogue qui s'installe entre les deux personnages se fait l'écho
des rapports chaotiques entre Gainsbourg et ses contemporains.
Même s'il est exact qu'on ne peut tout montrer dans un film, fût-il documentaire, on peut regretter que tant d'épisodes de la vie de Gainsbourg soient passés sous silence. Quid du débat avec Guy Béart, défendant à la télévision contre Gainsbourg que la chanson est un art majeur ? Quid du comportement ignoble à l'égard de la chanteuse Whitney Houston, scandalisée par le « I want to fuck her » d'un homme rongé par l'ivresse ? Et, surtout, quid de la passion ouverte de Serge Gainsbourg pour Charlotte, sa fille, dont on sait la place qu'elle occupait dans sa vie ?
Les décrypteurs de l'image observeront quant à eux la récurrence du « thème juif » dans l'univers de Joann Sfar, distillé en filigrane
pendant tout le film alors que, dans la vie de Gainsbourg, le contexte juif n'était qu'anecdotique (interview de Charlotte Gainsbourg par Thierry Ardisson in Tout le monde en parle, 10 novembre 2001). S'il était effectivement important de parler de l'étoile jaune que porta Serge Gainsbourg pendant son enfance (qui le marqua profondément et qu'il appellera cyniquement « étoile de shériff » dans une émission télévisée du 3 septembre 1975), ou de la culture de ses parents, on s'étonne que le dossier de presse éprouve le besoin de préciser que Joann Sfar naît dans une famille « moitié séfarade, moitié ashkénaze.» De même pourquoi passer de longues minutes à montrer le cours que Gainsbourg donna un jour dans une école juive, pourquoi tirer le personnage de la Patate d'une caricature antisémite et pourquoi, de l'article écrit par Michel Droit contre la Marseillaise de Gainsbourg, la voix off lit-elle précisément la partie qui porte sur les juifs ?
On comprend ainsi à
quel point le film est personnel, et jusqu'où ce film est un point de vue, imprégné de subjectivité.
« Ce ne sont pas les vérités de Gainsbourg qui m'intéressent, raconte Marc du Pontavice, le producteur, mais ses mensonges. » (in Dossier de Presse)
Raphaël Jodeau
Véritable dialogue entre l'univers « cartoonesque » de Joann Sfar, dessinateur de bande-dessinées, et le cinéma, ce film est un savant mélange de réalisme et d'imaginaire.
Au côté des personnages historiques comme Boris Vian, Juliette Gréco ou Brigitte Bardot, figurent des personnages sortis
tout droit de l'imagination de Joann Sfar : l'homme à tête de chou (à partir de l'album du même nom de Serge Gainsbourg, en 1976), la Patate (tirée d'une caricature antisémite), et la Gueule (grand pantin filiforme doté d'un nez péninsulaire), qui a demandé un travail considérable : « Joann Sfar refusait de recourir aux effets numériques. Il voulait du High-Tech mais du High Tech palpable. » (David Marti, Maquillages et effets spéciaux, In Dossier de Presse).
Le réalisme du personnage de Serge Gainsbourg est saisissant. Moyennant quelques séances de maquillage, un faux-ventre pour « Gainsbarre, » Eric Elmosnino ressuscite ce personnage aux manières si typiques. A noter qu'il interprète lui-même les chansons de Gainsbourg dans le film, belle gageure !
La belle Laetitia Casta interprète une Brigitte Bardot très crédible et Lucy Gordon (suicidée peu après le film), affiche au mieux
toute la fragilité et la blancheur de Jane Birkin.
Pour ces nymphettes (au coeur desquelles Bambou, dont Gainsbourg a eu un enfant, fait curieusement une apparition presque furtive), il a fallu jongler entre représentation et inexactitude.
Si, pour Juliette Gréco, « on ne voulait pas de la simple robe noire, façon robe de bure, comme en portait Gréco, c'était trop sévère, » pour Jane Birkin « Joann voulait qu'on colle le plus possible à la réalité, avec la chemise blanche, les sous-vêtements Petit Bateau, » alors que pour Brigitte Bardot « il y a eu une grande polémique sur la longueur du manteau panthère, au final on a opté pour le modèle très court pour qu'on voie les cuissardes dès le début. Ce n'est peut-être pas ce que Bardot a vraiment porté, sauf pour les cuissardes, mais ça correspond à l'image que tout le monde en a. » (Pascaline Chavanne, créatrice des costumes, in Dossier de Presse
em>).
On pourra cependant regretter que le jeu d'acteurs (il en est de même pour Boris Vian) laisse aussi peu de place à l'interprétation pour verser parfois dans le mimétisme, ce qui devient gênant dans un film fuyant officiellement le documentaire. Pour France Gall en revanche on peut se demander où est l'intention, tellement la représentation semble éloignée du modèle original.
Contrairement à ce qu'on aurait pu attendre, peu de musiques du film sont des musiques originales : « nous sommes dans un conte et il ne fallait pas que je cherche à faire une bande originale pour les musiciens ou les fans de Gainsbourg, mais une musique pour accompagner l'histoire. » (Olivier Dahaud, Compositeur, in Dossier de presse).
Malgré tout la bande son
est très convaincante. Les amateurs apprécieront l'accompagnement musical de la rupture entre Gainsbourg et Brigitte Bardot qui part de la Symphonie du Nouveau Monde, de Dvorak, pour enchaîner sur Initials B. B., inspirée de la précédente.
Les spectateurs pourront également découvrir une chanson plutôt quelconque mais inédite de Gainsbourg : Antoine le casseur.
Comme son titre l'indique le film est la célébration d'un homme qui sut, tout au long de sa vie, noyer son talent dans le flot tumultueux du scandale. Il fallait, pour que
l'opération réussisse, assumer de mêler à la réalité un nombre incalculable d'inexactitudes.
Que ce message soit conscient ou inconscient, il en ressort qu'avec son air décomplexé, sa perversité, sa violence et ses manières, Gainsbourg est devenu ainsi le symbole d'une liberté qui enferme. Si la liberté est de faire selon son bon vouloir, voilà un homme qui quitte sa première compagne comme on jette une chemise, qui se nourrit du scandale au mépris des conventions sociales, qui manie une arme à feu au milieu d'un jeu avec ses enfants, qui bouscule tout interdit pour finir esclave de ses passions et de ses nerfs, enfermé dans l'alcool et dans les cigarettes, prisonnier de son « coeur d'artichaut ».
De cet état jaillit encore une liberté fantomatique, au coeur de laquelle la dépendance fait germer l'expression. Par tabagisme, Gainsbourg s'obstine à fumer malgré ses
problèmes de santé, par alcoolisme il dit tout ce qu'il pense, par concupiscence il multiplie les partenaires... et le monde applaudit... Inconscient de cette geôle et rêvant des mêmes chaînes.
Alors que le film ne fait pas l'impasse sur cette déchéance, il cède pourtant à la fascination en sous-titrant « vie héroïque. » Mais on comprend mal, au final, l'héroïsme que Joann Sfar veut montrer.
Est-ce d'oser sortir un album « Classé X » qui est un acte d'héroïsme ? De céder aux menaces d'anciens parachutistes en chantant la version originale de la marseillaise au lieu de la version reggae prévue ? De composer Les sucettes pour une France Gall qui confine à l'idiotie ?
Certains artifices du film sont tout à fait intéressants. Ainsi La Gueule devient-elle le Mister Hyde du Serge Jekyll, et le dialogue qui s'installe entre les deux personnages se fait l'écho
des rapports chaotiques entre Gainsbourg et ses contemporains.
Même s'il est exact qu'on ne peut tout montrer dans un film, fût-il documentaire, on peut regretter que tant d'épisodes de la vie de Gainsbourg soient passés sous silence. Quid du débat avec Guy Béart, défendant à la télévision contre Gainsbourg que la chanson est un art majeur ? Quid du comportement ignoble à l'égard de la chanteuse Whitney Houston, scandalisée par le « I want to fuck her » d'un homme rongé par l'ivresse ? Et, surtout, quid de la passion ouverte de Serge Gainsbourg pour Charlotte, sa fille, dont on sait la place qu'elle occupait dans sa vie ?
Les décrypteurs de l'image observeront quant à eux la récurrence du « thème juif » dans l'univers de Joann Sfar, distillé en filigrane
pendant tout le film alors que, dans la vie de Gainsbourg, le contexte juif n'était qu'anecdotique (interview de Charlotte Gainsbourg par Thierry Ardisson in Tout le monde en parle, 10 novembre 2001). S'il était effectivement important de parler de l'étoile jaune que porta Serge Gainsbourg pendant son enfance (qui le marqua profondément et qu'il appellera cyniquement « étoile de shériff » dans une émission télévisée du 3 septembre 1975), ou de la culture de ses parents, on s'étonne que le dossier de presse éprouve le besoin de préciser que Joann Sfar naît dans une famille « moitié séfarade, moitié ashkénaze.» De même pourquoi passer de longues minutes à montrer le cours que Gainsbourg donna un jour dans une école juive, pourquoi tirer le personnage de la Patate d'une caricature antisémite et pourquoi, de l'article écrit par Michel Droit contre la Marseillaise de Gainsbourg, la voix off lit-elle précisément la partie qui porte sur les juifs ?
On comprend ainsi à
quel point le film est personnel, et jusqu'où ce film est un point de vue, imprégné de subjectivité.
« Ce ne sont pas les vérités de Gainsbourg qui m'intéressent, raconte Marc du Pontavice, le producteur, mais ses mensonges. » (in Dossier de Presse)
Raphaël Jodeau