Habemus Papam

Film : Habemus Papam (2011)

Réalisateur : Nanni Moretti

Acteurs : Michel Piccoli (Melville), Nanni Moretti (Brezzi), Jerzy Stuhr (Le porte-parole), Renato Scarpa (Cardinal Gregori)

Durée : 01:42:00


Un film à la réalisation faiblarde, qui infantilise le Pape et les cardinaux et présente une vue décalée de la vie vaticane.

On n'en croit pas ses yeux ! Voilà un film sur l'Église catholique qui ne prend pas les prêtres pour des pédophiles, le pape pour un coopérateur du sida et les cardinaux pour de vilains intrigants. L' Eglise n'a même pas à demander pardon pour des massacres antiques perpétrés par d'autres et les martyrs ne l'avaient même pas cherché, pas même un tout petit peu! Un ovni, vous dis-je, dans le paysage audiovisuel !

Les incrédules, mauvaises langues, diraient que ça sent le coup fourré. Interprété par un Michel Piccoli extraordinairement à l'aise, le cardinal Melville évolue au milieu d'une bande de confrères sortis tout droit d'un casting «spécial bonnes bouilles» et n'a qu'une
trouille: être élu pape. Celui ou celle dont la culture s'aventure parfois en dehors de Paris-Match pour pouvoir respirer ne peut s'empêcher d'établir immédiatement un parallèle avec le cardinal Sarto (nom de code: Saint Pie X) ou avec le cardinal Chiaramonti (alias Pie VII), qui ont tous deux joué vainement des pieds et des mains pour n'être surtout pas élus et dont le dossier de presse, reprenant un article de La vie paru le 14 avril 2011 et intitulé Histoire des pontifes qui ont craqué ou presque.. ne parle même pas. L'humilité de ces hommes, dans un monde où n'importe quel pékin peut s'auto-proclamer candidat à des postes à hautes responsabilités, faisant trébucher au passage ses petits camarades plus compétents que lui avec un sourire enjôleur, est confondante !

A ce niveau de lecture, donc, Habemus Papam est un film surprenant, édifiant, et très bien documenté, ce qui explique la satisfaction de Nanni Moretti: « Il n’y a pas eu d’attaques contre mon film, juste des réactions isolées qui ne sont pas représentatives du monde catholique. » (in Dossier de presse).

Faut-il pour autant plafonner sa réflexion au niveau de la mer ? Les lecteurs de L'écran savent bien que nous ne savons renoncer aux voluptés d'un vol en altitude, et que ce genre de film offre généralement une piste de décollage trop séduisante
pour qu'on lui résiste. Alors attachons nos ceintures et bon vol !

Car la première question qui percute l'esprit affûté est la suivante: pour quelle raison le cardinal refuse-t-il d'être pape ? Par humilité, ou par lâcheté ? Puisque nous voilà au pays des soutanes, prenons une définition religieuse de l'humilité et, pour ne pas faire de jaloux, choisissons-la dans le dictionnaire des Immortels, celui de l'Académie française, pour qui l'humilité est une «vertu par laquelle on s'abaisse volontairement devant Dieu ou devant son prochain.» Comme élément de comparaison, il suffit dès lors d'emprunter à notre cher pape de cinéma l'explication de son refus d'obtempérer (notons au passage que Pie X et
Pie VII, une fois élu, ont parfaitement accepté leur charge, quels qu' aient pu être leurs doutes au préalable, ce qui n'est pas le cas du cardinal Melville après son élection): « Dieu me prête des capacités que je n'ai pas. » Autrement dit, le pape reproche à Dieu, devant lequel il devrait se faire tout petit si l'on croit la définition communément admise, de n'avoir pas très bien mesuré la situation. Qui plus est, il ne s'agit pas d'une faiblesse passagère puisque tout au long du film (alors qu'il voit le désarroi dans lequel il plonge le monde) et jusqu'à la dernière image, il persistera dans son déni. Hum... Pas très catholique tout ça !

C'est donc une lâcheté (parfaitement assumée dans d'
autres moments du film et particulièrement lors de son discours final où il renonce à sa charge, expliquant qu'il n'a «ni la force, ni le courage») qui motiverait ce refus. Est-ce ce même manquement qui motive les courtes mais grosses colères («je n'y arrive pas!» Fulmine-t-il) que pique ce pape décidément bien faible à tout point de vue ?

Évidemment, on objectera avec raison que le pape est avant tout un homme, faible comme tous les hommes, pauvre pécheur même, qui a le droit de souffrir du poids de ses responsabilités...

Certes, et c'est indéniablement sur cet aspect que le film a souhait&
eacute; insister. Car outre les sautes d'humeur, ce nouveau pape est montré sous toutes ses coutures, physiquement et psychologiquement. Comme s'il s'agissait du réveil du roi Soleil, la caméra nous projette au moment où le nouveau pape se fait palper le bidon par un médecin perplexe. Après une fugue du Vatican, voilà Sa drôle de Sainteté se promenant dans Rome en simple civil comme tout un chacun, déambulant en pyjama dans un hôtel et apparaissant (par l'opération du Saint-Esprit ou par l'insuffisance du script) dans des lieux insolites (un théâtre lors des répétitions, ou une cuisine de boulangerie)... Vous êtes encore sceptique ? C'est que vous n'avez pas vu les cardinaux dans tous leurs états.

Ces derniers, qui maternent littéralement le pape, pr&
eacute;sentent en l'effet d'étonnantes similitudes avec des gamins de 10 ans : non seulement ils ne font rien de leurs journées (ce qui s'explique très partiellement par le fait qu'ils ne doivent avoir aucun contact avec l'extérieur du Vatican tant que le résultat de l'élection n'a pas été publié), mais ils copient les uns sur les autres au moment du vote, sont mauvais joueurs (et rougissent quand ils sont pris en faute), ignorent ce qu'est un pari, et se mettent à danser en regardant le ciel comme de gros abrutis inspirés quand ils entendent de la musique dans les appartements du pape (une sorte de slow qui tranche avec le décor !).

Peut-être serait-il utile de rappeler à la joyeuse troupe que les cardinaux sont de véritables chefs d'entreprise, chargés de gé
rer des services de parfois plusieurs centaines de personnes, confrontés au quotidien à des problèmes majeurs, souvent d'ampleur internationale... Pourquoi seraient-ils plus ridicules («nous ne savons pas quoi faire!» pleurniche l'un d'eux) que le Directeur général de TF1 ou de France 3 (qui a financé le film) ou même que le grand Nanni Moretti lui-même ?

En tout cas, vu l'âge mental de ces éminences pas très grises, rien d'étonnant donc à ce que le Directeur de communication du Vatican fasse appel à un psychanalyste pour les remettre d'aplomb ! Alors qu'il est déjà fort surprenant qu'une doctrine forgée par plusieurs milliers d'année d'intelligences échoue devant un obstacle aussi ridicule
qu'un caprice de cardinal, on se prend à pouffer de rire à voir une petite science d'à peine une petite centaine d'années venir donner des leçons. Mais Nanni Moretti n'a pas peur du ridicule. Le voilà justement, incarnant un psychanalyste brillant bien entendu, modeste cela va sans dire, d'une grande finesse et d'un sentiment tout paternel pour ces gentils cons qui lui servent de cardinaux. C'est un athée à l'esprit forcément ouvert, qui écarte avec aisance les quelques remarques que peuvent lui faire les cardinaux sur ses idées ou sa vie d'homme divorcé. Qui le lui reprocherait ? Alors qu'un cardinal lui explique qu'une séparation (d'avec sa femme) renforce l'amour, un autre, espiègle comme tout, lui demande ce qu'il en sait. De plus à quoi cela servirait-il d'être catholique puisque, selon les mots d'un cardinal qui semble ignorer son petit catéchisme de bon catholique, &
laquo;personne n'ira en enfer, l'enfer est désert.»
Par ailleurs, pour expliquer l'opposition de l'Église catholique à la psychanalyse (ce qui est plus que douteux puisque l'Église compte parmi ses évêques, à tort ou à raison, quelques éminents psychanalystes), un cardinal assène que «le concept d'âme et d'inconscient ne peuvent coexister,» ce qui est parfaitement inexact puisque tout le monde doit reconnaître dans l'Église comme ailleurs, qu'il se produit en permanence dans l'homme des choses sans qu'il en ait conscience (d'où le rôle de la mémoire, qui fait rejaillir au seuil de la conscience des souvenirs qui ne sont lui sont pas présents, quoique pas oubliés pour autant). En réalité c'est surtout sur certaines définitions seulement de l'inconscient mais surtout du subconscient que l'Église catholique participe
au débat qu'elle n'a même pas créé, puisque les philosophes en discutent depuis fort longtemps. Quoiqu'il en soit, d'un point de vue purement technique, on se demande bien pourquoi des catholiques prenant la psychanalyse pour une supercherie feraient appel, même démunis, à un de ses ambassadeurs pour soigner le pape !

Propre sur lui, souriant et affable, ce cher docteur Brezzi ne pourra pas travailler correctement puisqu'il n'a pas le droit (quelle étroitesse d'esprit !) de parler au pape de sa mère, de ses pulsions, etc. Il aura de plus la grande humilité de reconnaître qu'il ne peut rien faire pour le pape parce qu'il sait qui il est. Bref, un saint athée au pays des cinglés croyants. «Mes parents étaient croyants et j’ai reçu une éducation
catholique (sans exagération…)
, explique Nanni Moretti. Moi, non, je ne suis pas croyant.» On prêche donc pour sa chapelle, à ce que je vois !

Pourtant la psychanalyse n'en sort pas complètement indemne. «Dans mes films, je me suis moqué de la gauche, explique le réalisateur, de ma génération (lorsque j’avais vingt ans, puis trente, puis quarante …) je me suis moqué du rapport entre parents et enfants, de mon milieu social, de l’école, du monde du cinéma, dans Journal intime, je me suis même moqué d’un cancer que j’ai eu il y a vingt ans. Je pense qu&
rsquo;il est permis de se moquer également de la psychanalyse. »

D'abord Brezzi souffre réellement de son divorce d'avec sa femme. Ensuite il se moque ouvertement d'elle qui, psychanalyste elle aussi, est obsédée par la «carence de soins,» délaissement maternel pendant la petite enfance, qu'elle essaie effectivement de coller de façon ridicule sur la situation du pape.

De son côté le pape fugueur découvre le monde comme pour la première fois. A croire qu'il est né pape et enfermé au Vatican, notre brave petit bonhomme ! Comme l'explique le réalisateur, « Fuyant le conclave de cardinaux qui est
le fruit de notre imagination, mais dont nous avons respecté les vrais rituels et les liturgies, le Pape s’enfuit du Vatican. Il se promène dans la ville, où il entre en contact avec des réalités auxquelles il ne se confrontait pas depuis longtemps. Son errance dans Rome les portera, lui et le public à se poser des questions. »

Alors que, dans la réalité, le chef de l'Église est un homme d'âge avancé, d'une grande expérience puisqu'il a été prêtre, puis évêque, puis cardinal et enfin pape, notre brave Michel Piccoli parcoure alors le monde en ouvrant des yeux comme des soucoupes, en bouffant le monde comme un boulimique à l'ouvrage, en découvrant (il serait peut-être temps !) que la misère s'est jetée sur ses
brebis avec la férocité d'un loup affamé. Alors qu'il est sensé enseigner, le voilà qui doute : « depuis quelques temps notre Église a du mal à comprendre certaines choses. » Peut-être est-ce pour cette raison qu'il compare sa situation à celle d'un acteur, qui enchaîne les représentations ? Peut-être ce pape là n'a-t-il pas la foi...

Qu'à cela ne tienne, le festival de Cannes l'a déjà canonisé !