A history of violence

Film : A history of violence (2005)

Réalisateur : David Cronenberg

Acteurs : Viggo  Mortensen (Tom Stall), Maria Bello (Edie Stall), Ed Harris (Car Fogarty). (Durée 1h35).

Durée : 01:35:00


En marge des films d'horreur qui ont forgé sa réputation (La Mouche2988, eXistenZ2999, Spider-2002...), David Cronenberg réalise un thriller remarquable, par sa maîtrise, son intelligence, et les interrogations qui s'en dégagent...

Le projet d'origine est tiré de la BD éponyme de John Wagner et Vince Locke. Il s'agit d'un film de commande, le réalisateur ayant eu peu de choix en matière de casting et de scénario. Le film a été
présenté cette année à Cannes, au grand étonnement du réalisateur, qui le jugeait « trop classique et trop commercial… » (notes  de  production).

Le classicisme de ce film en est en effet l’élément le plus apparent. Le scénario est simple, efficace et va droit au but, sans fioritures. L'histoire commence tranquillement : la caméra suit en travelling deux hommes qui quittent le motel où ils ont passé la nuit, deux hommes fatigués par la longue route qui les attend... Mais, quand l'un d'eux retourne au motel, la caméra l'accompagne jusqu'à une scène d'horreur : deux cadavres sanglants, bientôt rejoints par celui d'une petite fille, témoin du massacre perpétré par ces deux individus. Retour à une scène typique du rêve américain : celui d'une famille attendrissante, où les parents s'aiment, les enfants sont beaux et sportifs, l'endroit calme et à l'écart du chaos du monde. Tout est rangé, lisse et idéalisé. Mais soudain la violence apparaît quand, dans un
réflexe étonnant de légitime défense, Tom, le père et époux modèle, abat les deux malfaiteurs déjà aperçus pour protéger une employée. S'installe alors une angoissante duplicité entre la tranquillité d'une petite vie bourgeoise et la violence sadique aux échos de plus en plus forts, entre apparence et réalité séparées par un espace infime... deux thèmes entre lesquels Cronenberg effectue des allers-retours bouleversants. Certaines scènes, peintes sous un angle paisible, émouvant de douceur, trouvent ainsi leur écho dans des scènes de violence ou de conflit, dans lesquelles les mêmes personnages, dans des circonstances de situation semblables, réagissent à l’opposé.

Propulsé dans un premier temps au rang de héros par ses amis et sa famille, Tom semble perdu comme le spectateur : d'où a surgi un tel déchaînement de violence, que rien ne semblait  annoncer chez un tel homme? D'où lui viennent une si meurtrière habileté et un tel sang-froid? Cet acte serait-il le premier
symptôme d’une folie furieuse? Les personnages se trouvent soudain sur le fil du rasoir, au bord de l'irrationnel : la violence s’étend par contagion au fils aîné de la famille ; les relations conjugales se brouillent, le père s'affermit en tueur rapide et brutal... Le réalisateur filme sans détour une violence de plus en plus insistante : les meurtres sanglants se succèdent, on assiste à une scène d'amour très crue entre des époux déchirés... « Je voulais que la violence soit réaliste, brutale… » (Cronenberg, in notes de production). Mais montrer la violence d’une telle manière est-il le meilleur moyen de la combattre ou tient-il plutôt d’un exhibitionnisme malsain ? L’impact du film, montrant la violence sous son jour le plus noir, autorise à pencher pour la première option. Et David Cronenberg de se justifier : « Je voulais montrer que la violence est une chose mauvaise, mais une part très réelle et inévitable de l’existence humaine ». Mais à vouloir le montrer le film en fait un peu trop : certains
détails sont pénibles (gros plans sur des plaies béantes…).

Toujours dans l’esprit de dualité apparence-réalité, le film pastiche certains clichés de l'idéal américain, pour mieux souligner l'horreur qui bouillonne derrière une façade soigneusement entretenue… Toute la famille y va de son argument pour consoler la petite dernière, attendrissante, effrayée par les monstres dans le noir (la métaphore n'est-elle pas marquante?); Tom, le fusil à la main, garde sa maison dans la grande tradition des westerns, les maffieux tiennent eux de l’humour noir, par leurs manières et leur langage.

Avec ironie, David Cronenberg nous dévoile cet interstice parfois mince, parfois inexistant, entre l'homme de bien et le monstre qui dort en lui. Se pose alors la question de l'identité d'un tel homme et de la manière dont elle se définit.

Le jeu des acteurs est bien mené, soulignant cette ambivalence en chacun d'eux. Viggo
Mortensen, monumental Aragorn dans Le Seigneur des Anneaux, rayonne de tout son charisme, convaincant en père et époux aimant comme en meurtrier au professionnalisme effrayant. Maria Bello est la mère avocate, sûre d'elle, un peu rude, soudain exposée à la brutalité au sein de sa propre famille. Elle se fait alors plus féminine, émouvante en femme éperdue et solitaire : « Elle a une énergie presque masculine, elle prend les choses en main. Puis les choses changent, elle est forcée de revenir à une place féminine plus réceptive, plus vulnérable », explique David Cronenberg.

Le film a le grand intérêt de peindre l'œuvre de la violence qui sommeille en chacun de nous, du mal qui, en germe, n'attend que le terreau favorable pour croître et s'étendre comme un virus malfaisant. Le Chrétien peut être séduit par une telle idée, y voyant la marque du péché originel. L'homme doit en effet sans cesse lutter contre un ennemi tenace, lui-même.

Le
danger peut venir aussi du monde : de là viennent les malfaiteurs et les hommes de main, envoyés par un personnage mystérieux, retiré en sa sombre demeure de Philadelphie d'où il dirige la maffia locale.

Si les angoisses et les troubles inhérents à notre nature humaine sont la clé du film, il est regrettable que la seule solution envisagée pour y remédier soit de combattre le mal par le mal. Du même coup, la frontière entre bien et mal est brouillée, et le spectateur ne trouve pas dans le film les réponses à toutes les questions qui y sont posées.

Le cinéaste apporte une vision de la famille pour le moins réconfortante : émouvante de simplicité et d'amour tout d'abord, elle s'ébranle sous le choc de la violence, mais s'adapte avec la collaboration et le pardon de chacun envers tous. Le rôle des enfants, soutien et réconfort des parents mis à l'épreuve, est merveilleusement rendu dans la scène finale. La famille survit, se réinvente loin
des clichés trop faciles du cinéma actuel.

Le film pêche cependant par un certain excès en voulant trop étaler malgré tout cette violence qu’il a le courage de montrer. Les scènes sont parfois choquantes, notamment une scène d’amour qui tient du viol. Il ressort aussi du film une certaine complaisance à observer cette horreur, si ordinaire semble-t-il…

 

Stéphane JOURDAIN