Hors de prix

Film : Hors de prix (2006)

Réalisateur : Pierre Salvadori

Acteurs : Gad Elmaleh (Jean), Audrey Tautou (Irène), Marie-Christine Adam (Madeleine)… (Durée 1h43).

Durée : 01:43:00


Partant d’une discussion sur « le triomphe du pragmatisme » avec son scénariste Benoît Graffin, le réalisateur Pierre Salvadori a eu l’idée de faire un film, avec les acteurs Gad Elmaleh et
Audrey Tautou, dont le choix s’est selon lui révélé payant. Audrey Tautou s’est révélée très intéressante à diriger, créant d’elle-même un contraste entre « le côté luxueux de son apparence physique et de ses vêtements et le côté modeste de ses origines sociales trahi par sa voix et ses intonations ». À la fois gouailleuse et charmante, elle incarne Irène, une jeune personne insaisissable, qui a fait sienne une certaine idée du bonheur, « qui confond luxe et sérénité ». Jean, interprété par Gad Elmaleh, « est un personnage écrasé par sa timidité, que ses désirs vont émanciper », explique le réalisateur. Le choix de Gad Elmaleh s’est fait quand Pierre Salvadori l’a vu jouer au théâtre : il possède un « vrai corps burlesque », capable de passer d’un être invisible à un personnage élégant et débrouillard. 

Admirateur déclaré de l’âge d’or hollywoodien, notamment des comédies du cinéaste allemand Ernst Lubitsch, maître du film satirique au début du siècle dernier, Pierre Salvadori nous présente
une comédie douce-amère, remarquablement servie par un Gad Elmaleh tout en retenue et en jeu d’attitude qui aurait parfaitement sa place dans un cinéma muet, et une Audrey Tautou très convaincante en jeune aventurière cynique mais irrésistible. Le cadre du film est le luxe, le jeu des classes basées sur le bonheur que procure l’argent. Si l’on pouvait craindre un étalage pesant de richesses, le réalisateur n’insiste pas trop et demeure dans une optique qui prétend plus montrer le merveilleux et la beauté des grands hôtels et des belles toilettes que stigmatiser la richesse en elle-même. Le film joue beaucoup sur l’ellipse, clé de l’humour et de la légèreté de l’œuvre (les petits parasols dans la chevelure d’Irène suggèrent le nombre de verres qu’elle a bu…).

De même la technique dite des « images expressives » permet de donner de l’importance à des objets apparemment insignifiants : ainsi la pièce de un euro, symbole des ultimes dix secondes de présence que Jean parvient à arracher à Irène,
symbole plus fort de leur liberté quand les amoureux la laissent au guichet du péage desservant l’autoroute de sud. L’usage de tels relais entre les personnages contribue à la fluidité du scénario, épurant le long-métrage dont la dégustation n’en est que plus digeste. Hors de prix n’est pas une comédie naïve en elle-même : son discours est sérieux derrière une façade drôle. Ce n’est pas non plus un film qui recherche l’humour à tout prix : le ton est mi-figue mi-raisin, les scènes drôles ont un arrière-goût amer (la leçon de séduction qu’Irène dispense à un Jean follement amoureux). Le rythme est lent, réfléchi, parfois un peu répétitif mais rien de bien grave. Bref Hors de prix est un joli film, un peu rétro, mélancolique, qui aurait sa place dans une collection des classiques du genre.

Le cadre luxueux du film, de même que son titre, pourrait laisser penser qu’il s’agit pour son réalisateur de concocter un pamphlet sur les riches et leur attitude de supériorité hautaine. L’hypothèse ne tient pas
tant ces riches personnes sont elles-mêmes touchantes dans leur solitude, qu’elles tentent de combler moyennant finances, ou même sont parfois aimables (comme le second protecteur d’Irène, qui cherche avec bonne volonté à mieux la connaître). Si Hors de prix montre les jeux parfois cruels de l’argent (Irène mise à la porte de sa chambre, grelottant au bord de la piscine dans l’indifférence générale), il passe élégamment par-dessus pour traiter plus légèrement de l’amour entre deux personnes que beaucoup de choses semblent opposer mais qui se rapprochent insensiblement tout au long d’un chemin bordé de grands sacrifices, de douloureux états d’âme et d’une douce camaraderie.

La maxime du film serait de laisser l’argent de côté car il est loin d’être indispensable au bonheur. Si cette morale très "fable de La Fontaine" recèle son lot d’enseignements profitables, elle échappe à toute controverse quant à sa justesse mais évite sans doute un peu trop soigneusement le débat quant à la réalité de ce
bonheur. S’il est déclaré qu’il ne consiste pas en la richesse, il serait subordonné au double jeu de l’amour et de la liberté, thématique légère et humaniste très culturellement correcte. En somme le film prône un bonheur simple, pas surfait, un peu trop idéalisé mais bien dans le ton léger et satirique d’un genre comique que l’on voit revivre avec plaisir.

 


Stéphane JOURDAIN

* in notes de production